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pour les soignants et les soignés

7. L'attraction-répulsion dans la relation médecin-patient

5.1 Discussions des résultats

5.1.1.3 Une relation qui n’est pas une mais multiple

Concernant le type de relation médecin-patient mis en œuvre par un médecin donné, que ce soit dans les romans ou dans la vraie vie, nous nous attendions à ce qu’il y en ait un seul, ou du moins un qui soit prépondérant ; avec une préférence pour l’approche centrée sur le patient pour les médecins dans la vraie vie en 2019. Les médecins interrogés, plus que les romans de médecins, nous indiquent au contraire une variabilité de leurs relations avec leurs patients. Ils nous montrent qu’ils oscillent en permanence entre les trois types de relation déjà cités : paternaliste, centrée sur la maladie et centrée sur le patient. Cette variabilité intra-individuelle chez un même médecin concernant la relation médecin-patient a également été décrite par Mabeck et Kragstrup (125). D’après ces deux auteurs, une telle variabilité est nécessaire, et reflète la subjectivité du médecin. De plus, la difficulté de savoir quand adopter un type de relation plutôt qu’un autre, évoquée par un participant, est également exprimée dans leur article. Variabilité et subjectivité vont de pair avec la vision que la médecine est un art ; aucun médecin n’exerçant de manière identique à un autre. L’expression de « singularité au pluriel », formulée

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par Jean Cocteau (126), pourrait tout à fait regrouper cette singularité et cette variabilité intrinsèques et indissociables du médecin.

5.1.1.4 Le paternalisme

5.1.1.4.1 Du paternalisme autoritaire au paternalisme bienveillant

De même, concernant le paternalisme, nous n’avions en tête que le paternalisme médical autoritaire et historique, dont un exemple très critiqué est le « mensonge miséricordieux », qu’on retrouve à plusieurs reprises dans Le Passage de Reverzy. D’autres romans écrits par des écrivains, pas forcément médecins, attestent de cette pratique : Le grand métier, troisième volume des Hommes en blanc d’André Soubiran (25), La Mort d'Ivan Ilitch de Léon Tolstoï (6),

Regarde les lis des champs d’ Érico Veríssimo (6). Romans et interviews de médecins nous

montrent cependant qu’il existe une autre forme de paternalisme envers les patients, celui-là bienveillant, et qui n’aurait jamais cessé d’exister. Il s’agit d’un autre résultat inattendu, mais qui concorde avec la position exprimée par Christine Loignon et Alexandrine Boudreault- Fournier, sur la notion « d’encadrement bienveillant » (127). D’après les résultats de notre étude, dans le paternalisme bienveillant, le médecin s’autorise à exprimer son désaccord et ses émotions à son patient dans trois circonstances : 1/ le patient se met en danger, ou met en danger la vie de ses proches ; 2/ le patient ne respecte pas le temps ou l’avis que son médecin lui donne, ou la « juste distance » impartie par le second au premier ; 3/ le patient met systématiquement en échec le médecin. Mais contrairement au paternalisme autoritaire et finalement irrespectueux du patient, le paternalisme bienveillant met un point d’honneur à respecter en toute circonstance le patient. Ces émotions ont une valeur d’alerte inestimable pour le patient, qui est un être non seulement de raison, mais également d’émotions. Lorsque les données factuelles ne suffisent pas à convaincre, s’adresser au corps émotionnel peut représenter une forme irremplaçable, et autrement plus persuasive de communication. Rita Charon confirme que poussé à l’extrême, le modèle autonomiste risque d’inciter les médecins à ne pas prendre position, et donc abandonner leurs patients (8). Charon estime que les désaccords dans les relations de soins sont parfois inévitables, et que les médecins ne doivent pas avoir peur de ceux-ci, sans toutefois souscrire à une logique de confrontation (8). Il n’y a pas que l’autorité, l’aspect autoritaire dans le paternalisme. Il y a aussi le côté protecteur que représente le médecin pour son patient. Rita Charon l’évoque de la manière suivante : le médecin « fait son travail en absorbant et en

contenant la détresse singulière du patient » (8). On peut faire un rapprochement intéressant

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Pour rappel, dans ce holding, c’est la relation dyadique mère-enfant et plus particulièrement l’amour de la mère pour son enfant qui permet la constitution progressive d’une enveloppe psychique et narcissique protectrice pour l’être en devenir. La mère offre une contenance protectrice pour son enfant (128). Pour Charon, il semble donc que le médecin puisse être investi d’une authentique qualité parentale de protecteur pour son patient, via cette contenance psychique habituellement donnée par les parents.

5.1.1.4.2 Le mensonge du médecin au patient

Concernant la place du mensonge dans la relation et la communication médecin-patient, on note une évolution entre la pratique médicale paternaliste du mensonge miséricordieux ou charitable du début du XXe siècle (74), et la pratique médicale actuelle qui fait théoriquement de ce

mensonge une exception très encadrée (73,75). Cependant, on peut se demander si ce mensonge très encadré ne constitue pas une réminiscence et une survivance du paternalisme. Par ailleurs, un écueil de notre étude est que nous n’avons pas interrogé spécifiquement les médecins interviewés sur la place du mensonge dans leurs pratiques de la médecine. Il serait intéressant de mener des études à grande échelle pour voir s’il y a un décalage entre la théorie – le mensonge médical est et doit demeurer une exception – et la réalité de la pratique médicale de nos jours, pour voir à quelle fréquence les médecins ont recours au mensonge et à la duperie dans leur communication avec les patients.

5.1.1.4.3 Les femmes médecins et la société

Le paternalisme renvoie également à une vision historiquement masculine ainsi que patriarcale du métier de médecin et de la société. D’après les résultats de notre étude, les femmes médecins avaient, et ont parfois encore à l’heure actuelle des difficultés pour asseoir leur autorité sur leurs patients, notamment masculins. Cela renvoie plus largement à la problématique des inégalités de sexe et leurs conséquences chez les médecins qui, si elles se sont beaucoup améliorées, perdurent encore pour certaines d’entre elles. L’accession des femmes au métier de médecin est toute récente : 1860 aux États-Unis, années 1870 en France (129). Aujourd’hui encore, les femmes médecins sont moins bien payées ; subissent des discriminations à l’embauche ; accèdent moins aux postes à responsabilités ; subissent plus d’intimidations, d’agressions, de remarques sexistes et de harcèlement sexuel que leurs confrères masculins (130-134). Or, certaines études indiquent pourtant que les femmes médecins soigneraient mieux leurs patients que les médecins hommes (135), et qu’elles seraient plus empathiques que les hommes (136).

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Reflet également de la féminisation tardive du métier, on trouve en 2019 encore plus de noms de médecins-écrivains hommes, que de médecins-écrivains femmes (129), ce qui explique pourquoi il n’y a que deux femmes dans les écrivains-médecins sélectionnés dans notre étude. Cependant, on peut se demander si les femmes médecins-écrivains, par leur plus grande sensibilité ; parce qu’elles portent et donnent la vie, n’ont pas quelque chose à nous dire de plus que ne peuvent pas leurs homologues masculins. Quand bien même il s’agit d’un Martin Winckler exprimant le plus, de tous les auteurs masculins, sa part féminine dans La vacation. Comme l’écrit L.P. Fischer, les productions littéraires des femmes-médecins mériteraient une étude spécifique (129).

La variabilité des relations médecin-patient et la réhabilitation du paternalisme bienveillant nous incitent à pondérer et relativiser l’importance des modèles théoriques de la relation médecin-patient, position partagée par Clarke et al. (137), et Rita Charon (8).