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pour les soignants et les soignés

7. L'attraction-répulsion dans la relation médecin-patient

4.4 Souffrances ordinaires des patients 1 A la question de savoir ce que c’est

4.4.3 Rôle de psychologue du médecin

Face à cette souffrance ordinaire, polymorphe et universelle, le médecin peut se sentir facile- ment désarmé et impuissant à trouver une réponse. Mais en fait, souvent, il ne s’agit pas telle- ment d’une réponse dont le patient est à la recherche, mais avant tout d’un confident à qui il peut parler librement et qui puisse l’écouter.

Cette écoute est en elle-même puissamment thérapeutique.

4.4.3.1 Le médecin se sent-il psychologue ?

Tableau XIII : Faculté du médecin de s'investir comme un psychologue non dit et officieux

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Oui, le médecin est un psychologue

non dit et officieux de son patient Marie "Quand elle me quittera, après une Didier, Contre-Visite : heure de face-à-face, elle dira : « je veux revenir, je suis bien avec vous… […] » Je suis dégoûtée de

M1 : "C’est le rôle d’un médecin.

Urgentiste, cardiologue, réanima- teur, orthopédiste."

M2 : "quand les gens viennent de-

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Non, le médecin n’est pas un psy- chologue officieux de son patient

ce réconfort qu’elle a apparem- ment pêché ici. Je n’y suis pour rien."

Winckler, La Maladie de Sachs :

"quand on est partis, vous nous aviez gardé longtemps et […] elle allait mieux. […] Je ne l’avais ja- mais vue comme ça depuis le début de sa maladie, elle a repris cou- rage"

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours : "je suis plutôt bienveil- lante, et plutôt sincèrement intéres- sée par la vie de mes patients"

Sommerset Maughan William, Ser-

vitude humaine (non traité) : "Pas de sentiment avec les malades. Je n'attends d'eux aucune gratitude, je leur demande de me régler mes ho- noraires, et c'est tout"

deuil, je dis : moi, je ne sais pas soi- gner le chagrin. […] Il n’y a pas de médicaments. Il y a… à traverser ça. Il y a aider l’autre à traverser."

M3 : "je pense que oui, on a un

rôle. Après, je suis pas, je me pré- tends pas psychologue, ni psy- chiatre"

M4 : "J’ai un de mes confrères qui,

un jour je lui racontais une histoire d’un problème psychologique d’une dame. Et il m’a répondu : mais, c’est pas du tout ton pro- blème, ça. Pourquoi tu t’impliques comme ça ? […] ce médecin-là était complètement fermé à ce genre d’attitude."

M5 : "l’aspect psychologique est

indéniable. Le médecin est un psy- chologue officieux.[…] Les gens […] ils parlent en premier lieu à leur médecin. […] c’est comme un confessionnal."

M6 : "moi j’essaye d’avoir une ap-

proche psychologique des situa- tions."

M7 : "Ah, bah complètement […].

On est à l’écoute de l’autre, c’est déjà le premier pas de la psycholo- gie »"

M8 : "Oui et non. Oui, parce que

forcément, je suis très dans le dia- logue, essayer de faire exprimer aux gens ce qu’ils ont. Mais je suis pas psychologue."

M9 : "Moi, il y a certains patients

que je vois que pour des entretiens"

M10 : "Le médecin est un déversoir

de tout ce qui n’a pas été dit au curé. Aujourd’hui il n’y a plus de curé"

M2 : "pour moi, la psychologie, ça

n’existe pas. […] je pense que la psychanalyse c’est une hypothèse qui n’a jamais été vérifiée, et c’est une expérience d’un homme, qui a eu ses traumas"

100 % des médecins interrogés se sont plus ou moins reconnus un rôle à la marge de psycho- logue non dit et officieux de leurs patients (tableau XIII). Une même médecin (M2) s’est à la fois reconnue et non reconnue dans ce rôle, en niant la validité et les apports de la psychanalyse, qu’elle a confondue avec la psychologie. M8 et M9 ont avoué voir ou suivre en consultation des patients uniquement pour les soutenir psychologiquement. Quatre médecins interrogés (M3, M4, M8, M10) ont tenu à pondérer leur implication en tant que psychologues, en soulignant

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qu’ils n’étaient pas formés à la psychologie ou la psychiatrie. Nous n’avons pas retrouvé ce rôle chez les auteurs du début du XXe siècle.

Les ressources du médecin, et en particulier le médecin généraliste, pour faire face à ces souf- frances ordinaires, sont les suivantes : son écoute (M7), son expérience et son vécu personnels (M3, M5, M6, M8), sa préparation/formation psychologique (M9), sa neutralité et le secret médical (M5, M10), sa vision diachronique de ses patients (M7, M8).

Ce que peut faire le généraliste face à cette souffrance ordinaire : accompagner et soutenir psy- chologiquement ses patients (M2, M6), accorder des consultations longues (M7), respecter cette souffrance ordinaire (M4), aider son patient à ne pas la banaliser (M9), ou au contraire à la relativiser (M4, M6).

4.4.3.2 La difficulté du rôle de psychologue chez les médecins

Tableau XIV :difficulté du rôle de psychologue chez les médecins

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Valeur des conseils

Conseils sur l’éducation des en- fants quand le médecin n’en a pas

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours :

"Qu’est-ce que j’ai à dire, moi, sur l’éducation des enfants, ou sur le chagrin d’amour, qui vaille davan- tage que ce que pourrait en dire le boucher ou la coiffeuse ?"

M3 : "je suis peut-être pas mieux

que la boulangère, c’est vrai ! Mais je les écoute, et j’essaye de faire avec le peu que j’ai vécu"

M5 : "Il y a des patients qui me de-

mandent des conseils pour l’éduca- tion de leurs enfants. Alors, j’ai pas d’enfant, et j’ai l’impression d’être dans l’imposture. Et je fais de mon mieux pour les conseiller, en leur expliquant ce que j’ai appris avec ma maigre expérience."

M8 : "quand j’étais jeune médecin,

maintenant, ça va, les enfants sont un peu plus grands… les gens me demandaient des conseils d’éduca- tion. Mon fils ne fait pas ça, ne veut pas dormir, tout ça : qu’est-ce que vous en pensez, Docteur ?"

Concernant ce rôle de psychologue du médecin, non-dit, non officiel, mais authentique et véri- table dans les faits, Jaddo nous dit la difficulté de ce rôle (tableau XIV). Elle tente tout de même de s’improviser psychologue, avec les éléments de sa personnalité, son vécu et son expérience : « Alors, je fais avec ce que j’ai. Ce que j’ai en moi, ce que j’ai de moi, ce que j’ai de ce que ma

mère m’avait dit, à moi, quand j’ai eu des chagrins d’amour. […] Je teste, je tente, j’improvise».

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Répondre à la souffrance ordinaire de ses patients suppose cependant « d’avoir [du] temps » (M7) à leur consacrer, ce qui peut être difficile en situation de pénurie de médecins.

4.4.3.3 Les médecins s’estiment-ils suffisamment formés à la psychologie ?

Tableau XV : sentiment perçu des médecins interviewés d’avoir été formés à la psychologie pendant leurs

études

Sentiment perçu d’avoir été formé

Pas formé Peu formé Formé Pas d’avis sur question

Nombre

(pourcentage) 2 (20) 6 (60) 1 (10) 1 (10)

Nous avons constaté que 8 médecins interrogés se sont estimés peu ou non formés à la psychologie, soit la majorité d’entre eux (tableau XV).

Tableau XVI : la formation psychologique des médecins pendant leurs études

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Absente

Présente

Winckler, La Maladie de Sachs :

"Pendant dix ans d'études, j'ai ap- pris à palper, manipuler, inciser, suturer, bander, plâtrer […] mais pendant toutes ces années, jamais […] on ne m'a dit que je pouvais m'asseoir au chevet d'un mourant et lui tenir la main, et lui parler."

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours : "Je me suis rendue compte

progressivement que la formation qu’on m’avait donnée autour de la case « psychothérapie de soutien » était nulle […] inexistante"

NA

M5 : "Aucune préparation des

études médicales en France à ce sujet. Peut-être une heure de cours sur l’annonce d’une maladie grave, en disant qu’il faut laisser du temps à la personne pour réfléchir, voilà. Super."

M6 : "la psychologie, nous on est

très peu formé à la psychologie. En fait, à la faculté de médecine dans notre enseignement, il n’y a pas de part à la psychologie. On est sélectionné sur des critères de QCM, mathématiques, statistiques, arithmétiques ou de mémorisation, ou de capacité de travail ou de gestion du stress."

M9 : "j’ai fait un Master en

éducation thérapeutique […]. Après, j’ai fait ma thèse de sciences là-dessus aussi. Et puis, le dernier truc que j’ai fait, c’est un DU d’entretien motivationnel pendant un an, à Nîmes. Donc oui, j’ai une formation assez solide là-dedans"

Le sentiment qui prédomine dans les romans (n = 2) et les interviews (n = 8) de médecins est celui de l’absence ou de l’insuffisance de formation psychologie des médecins. Seule une médecin interrogée s’est estimée bien formée dans ce domaine, mais a suivi des formations complémentaires pendant et après ses études médicales (tableau XVI).

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4.4.3.4 L’interaction du médecin généraliste avec le psychologue et le psychiatre

Le médecin prend en partie le rôle de psychothérapeute aux psychologues et aux psychiatres, pour plusieurs raisons (aspects non retrouvés dans les romans de médecins) :

- les consultations de psychologie ne sont pas remboursées : « Peut-être il faudra

envisager que la sécu rembourse le psychologue un jour » (M7)

- les patients auraient du mal à admettre leurs faiblesses sur ce plan-là, et ne veulent pas être vus/considérés/étiquetés comme des « fous » : « Le psychologue […] on le voit

plus » (M3) ; « les gens ne veulent plus voir de psychiatres. Ils n’ont jamais voulu vraiment en voir. Les psychiatres, ça veut dire qu’ils sont fous » (M5) ; « les psychologues, ça fait peur » (M10)

- la disparition du rôle institutionnel des figures sociales de proximité que sont le curé, notamment, et l’instituteur : « il n’y a plus le curé, il n’y a plus l’instituteur » (M7) ; « il

n’y a plus de curé. La société, jusqu’à maintenant […] dans les villes ou les villages, la structuration, c’était quand même le curé […]. Tout le monde allait se confesser, et racontait ses trucs, qui soulageaient sa conscience. […] Le médecin était un déversoir de tout ce qui n’avait pas été dit au curé. Aujourd’hui il n’y a plus de curé » (M10)

Le médecin généraliste doit quand même déléguer à ses confrères psychologues et psychiatres et leur laisser la main quand il ne s’estime plus compétent ou dépassé : « D’autres fois, il faut

qu’ils voient un véritable professionnel » (M4) ; « j’essaie quand même de les adresser vers des spécialistes […] parce qu’ils sont plus formés que nous » (M8) ; « Il y aura peut-être une psychologue en plus, à côté, on verra, s’il y a besoin » (M9).