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l’œuvre de Reverzy

16 Annexe 8 : Marie Didier

16.1

Biographie

Cf. Résultats. Définition de sept thèmes d’analyse à partir de la lecture des romans. p. 40.

16.2

Contre-Visite

16.2.1 Résumé

Cf. Résultats. Définition de sept thèmes d’analyse à partir de la lecture des romans. p. 41.

16.2.2 Analyse et commentaires

16.2.2.1 Type du livre

Cf. Résultats. Définition de sept thèmes d’analyse à partir de la lecture des romans. p. 41.

16.2.2.2 Ce que le livre nous apprend sur le médecin

Marie Didier a sans doute choisi de ne pas se soucier d’avoir à faire payer ses patients. Elle a évité de travailler en médecine libérale, lui préférant l’hôpital ou le dispensaire. En plus l’assurance-maladie existe à son époque, ce qui sûrement lui simplifie la vie par rapport à ses confrères plus âgés qui tous parlent de leurs honoraires, et des difficultés qu’ils éprouvent à se faire payer par des patients désargentés.

16.2.2.3 Ce que le livre nous apprend sur la relation médecin–patient

16.2.2.3.1 La façon dont le médecin considère le patient

Dans sa relation avec ses patients, Marie Didier a une approche parfaitement originale. Ce praticien déborde d’empathie pour ses patients, elle ne se sent capable de les soigner correctement qu’en essayant de se mettre à leur place ; en épousant leurs souffrances.

Elle le reconnaît sans réserve : « Le mouvement qui me porte à la rencontre de mes patients est voisin

de l’amour. Je m’offre à l’invasion, devenant celui ou celle qui est là et qui se livre » (p. 108).

« Le soignant et le soigné avancent dans un travail parallèle, seule approche exacte » (p. 74). « Je me sens présente sans fissure à tout ce qui vient à moi » (p. 101).

« Elle n’appelle pas au secours. Elle parle. Elle me donne ses mots, c’est tout » (p. 104). « Et on se met à avancer, tout doucement, à se trouver » (p. 104).

« Et c’est plus tard, seule conduisant la voiture ou épluchant les légumes pour le repas du soir, que

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16.2.2.3.2 Et la façon dont le patient considère le médecin

Les patientes du Docteur Marie Didier l’adorent : « Quand elle me quittera, après une heure de face-à-

face, elle dira : « Je veux revenir, je suis bien avec vous… » » (p. 46).

L’auteur donne la parole aux patients… submergée par la compassion, Marie Didier s’épuise à soigner ses malades. Au point que ces derniers se plaignent quand leur médecin, déprimée par toutes les misères qui défilent dans son cabinet, n’est plus au mieux de sa forme : « Ecoutez, docteur, si vous êtes

malheureuse comme ce matin, je ne pourrai plus revenir ».

En réponse, le médecin tente de se justifier : « Excusez-moi… fatiguée ce matin… mal dormi… trop de

travail en ce moment ».

À quoi la patiente répond : « Je vais vous dire, c’est simple : je viens vous voir parce que j’ai confiance,

oui mais aussi parce que vous êtes une lumière pour moi. Vous êtes heureuse de la vie. Chaque fois que je vous quitte le courage m’est revenu… alors si ce n’est plus comme ça, je ne supporterais pas de revenir » (pp. 53-54).

On voit que l’auteure parle ici de la bonne santé psychique du médecin, une caractéristique nécessaire s’il veut être capable de soigner les autres, y compris leurs âmes.

16.2.2.4 La souffrance ordinaire exprimée par les patientes de Marie Didier

Presque chaque page du livre de Marie Didier exprime les malheurs ordinaires de ses patientes, auxquelles elle tente de répondre le mieux possible, jusqu’à l’épuisement.

Cette souffrance ordinaire, ce sont par exemple :

- la terrible solitude exprimée par une patiente, veuve et dont les enfants loin d’elle : « Le temps

est si long, docteur, si long » (p. 18)

- l’insatisfaction généralisée d’une épouse envers son époux, sa frustration sexuelle : « il me

monte dessus, vite fait, expédié, rapide comme un lapin. Les caresses, connaît pas » (p. 29)

- la jalousie maladive d’une patiente (p. 35)

- la dégradation et la déchéance physique du corps avec l’âge (p. 39)

- le déballage d’une patiente abîmée par une suite de malheurs dans sa vie : « Sans étonnement,

sans apitoiement, j’enregistre la rare, la monstrueuse accumulation de souffrance de cette jeune femme qu’un ami médecin m’a confiée.[…] l’enfant anormal placé en maison spécialisée ; la lesbienne qu’elle hait sans pouvoir la quitter ; son travail de manutentionnaire dans une cave humide qu’elle déteste bien sûr ; le vieux collègue à qui elle pouvait tout dire mort la semaine dernière ; le lent suicide du frère à l’héroïne » (p. 45).

- cette confidence, tellement sincère : « Je suis foutue, Docteur, au bout du rouleau. Plus aucun

plaisir à vivre, plus aucun désir. Plus d’espoir, personne n’a besoin de moi » (p. 72).

Cette souffrance ordinaire, l’auteure la ressent profondément : « je suis morte à l’indifférence » (p. 101). Les plaintes des patientes la touchent, mais elle se révolte quand par exemple c’est la vieillesse et la dégradation liée au temps dont se plaignent ses patientes ; des maux auxquels elle ne peut rien et qui sont aussi les siens : « la fade, la monocorde, la triviale, l’inutile, l’imbécile, la dramatique, l’inévitable

plainte ressassée est devenue sans doute ce qu’il y a de plus difficile dans le travail.

Cette angoisse de la vieillesse, de la laideur, cette hantise du poids, celle des rides, de l’affaissement, redoublées, redites, psalmodiées malade après malade, engluent, avilissent la vie, la salissent » (p. 39).

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16.2.2.5 L’attirance la répulsion du médecin par rapport au corps du patient

16.2.2.5.1 Le dégoût provoqué par le patient

Marie Didier, bourrée de compassion pour ses patients, qui sont presque toujours des patientes puisqu’elle est gynécologue, s’énerve contre ce couple qui ne lui épargne aucun détail répugnant sur les ennuis intimes de Madame. Marie Didier transfère à ses lecteurs le dégoût que ce couple lui a fait ressentir, avec une féroce cruauté. Lui fera-t-elle jamais assez payer l’écœurement qu’il lui a infligé ? « Elle parle de ses pertes blanches.

- Non, elles ne sont pas tout à fait blanches, Docteur.

- Elles ont des traînées jaunâtres, renchérit [le mari]. Je les vois moi, Docteur, sur sa culotte et je les ai senties, Docteur, elles sont un peu poissonneuses […] Elle enchaîne sur ses ballonnements, sur ses gaz, les diurnes, les nocturnes, dont la fréquence, la fragrance seront discutées âprement par le couple de plus en plus confortablement installé dans les fauteuils suédois et qui s’anime dangereusement sous mes yeux pour trouver la nuance la plus désastrement précise, la plus ignoblement riche, la plus lourdement évocatrice » (pp. 97-98).

Plus que tout autre, le médecin est obligé de subir des confessions intimes de ses patients. Mais comment peut-il se défendre quand la confession tourne au déballage impudique au sein duquel il doit trouver la pathologie que le patient lui demande de soigner ?

16.2.2.5.2 L’attirance du médecin pour le patient

A plusieurs endroits de son livre, Marie Didier évoque la beauté de certaines de ses patientes. Mais elle se fait plus explicite lorsqu’elle décrit l’attirance qu’elle ressent pour un jeune homme qui se dénude devant elle :

« Il entre dans le bureau, un pull de coton noir sans manche dégage ses épaules athlétiques, brunies.

Le jean délavé serre des hanches étroites. Les jambes sont longues. La tête bouclée, blonde, et d’invraisemblables, de superbes yeux verts.

Saisie, et comment ne pas l’être, devant tant de beauté, je me sens tout à coup à l’aise dans ma quarantaine bien sonnée pour recevoir ce dieu timide qui souffre quand il fait l’amour, m’explique-t-il d’une voix basse, le souffle un peu court.

Je dois l’examiner. Mes regards seront aussi brefs que les gestes hâtifs qu’il a pour se déshabiller. Ce blue-jean tombe. Le slip en boule le rejoint vite sur le tapis afghan. Les hommes doivent être examinés debout, dos au mur.

Je le lui dis dans un sourire pendant que je m’assois sur le petit tabouret bas, ce qui, pendant quelques instants, va mettre mon visage en face de ce sexe magnifique sous le ventre plat : mise en scène brutale d’une géométrie sadienne à l’indécence calculée que le travail médical va peu à peu tranquillement défaire » (p. 38).

Plutôt que de commenter moi-même ce passage, je préfère laisser la parole à Gérard Danou, qui le fera bien mieux dans son livre Le corps souffrant (opus cité), au chapitre qu’il intitule «Le plaisir médical» : « La narratrice retravaille dans l’ombre, son émoi, son saisissement, effacés par la maîtrise de soi, puis

par la mainmise sur l’autre, patient passif, en attente, sous les gestes et le regard tranquillement clinique, froid et apparemment désexualisé. La scène est travaillée pour recréer le saisissement dans le fantasme d’un passage à l’acte. L’écriture, substituée à l’acte non consommé, reconstruit l’image enfuie et la re sexualise dans les mots » (p. 226).

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16.3

Le point de vue de l’auteure sur son

œuvre

Marie Didier pointe le risque potentiel, pour tout médecin-écrivain couchant sur le papier de manière littéraire son expérience professionnelle, de choquer les lecteurs. En mettant à la portée du profane de façon « clinique voire crue » un travail qui touche de si près au corps et à la morbidité, même avec un langage poétique, le médecin-écrivain risque de se faire taxer « d’indécence », comme cela est arrivé à Marie Didier27 , et comme Martin Winckler le craignait lui-même dans La Vacation. De plus, il y a

toujours la crainte d’attenter, même de loin, au secret médical (risque que la médecin interrogée M8 nous faisait voir). Enfin, sans le dire explicitement, Marie Didier pointe le poids du politiquement incorrect qui risquerait au mieux de blâmer ; au pire de censurer le travail littéraire des écrivains- médecins.

Tout comme le livre La Citadelle d’AJ Cronin avait eu un retentissement politique important à son époque, et est considéré comme étant à l’origine de la création du National Health Service, l'équivalent britannique de la sécurité sociale ; Marie Didier estime que l’écriture peut revêtir la fonction d’une arme politique28. Elle prend l’exemple de Jean-Baptiste Pussin, dont elle retrace l’histoire dans son livre Dans

la nuit de Bicêtre.

27 Lüsebrink H-J, Madry H, Pröll J. Médecins-écrivains français et francophones. p. 62. 28 Ibid. p.64.

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