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pour les soignants et les soignés

7. L'attraction-répulsion dans la relation médecin-patient

4.3.3 Une relation qui n’est une mais multiple

Tableau IV :une relation qui n’est une mais multiple

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Variabilité de la relation selon le

patient, dans le temps, et selon les circonstances

Reverzy,

- Le Passage : "Tout cela, cepen-

dant, avait été long. Je suis méde- cin, et les médecins […] glissent dans un monde qu'ils ne partagent qu'à demi; un mur les sépare de la vie qu'ils surveillent. Pour eux, tous les êtres s'agitent en un coma permanent et, parce qu'ils la con- naissent, ils se tiennent à l'écart de l'universelle agonie. Leur expé- rience est le résidu de souffrances aigues ou monotones"

- Place des angoisses (non traité) :

"je m’étais trouvé près d’un vieil- lard endormi, je l’avais réveillé ; nos voix s’étaient levées pour pro- clamer notre alliance […] j’avais trouvé ma place au milieu des hommes"

M1 : "La relation qu’on a, c’est

hyper variable. Ça dépend de ton patient, à l’heure H, ou au moment M"

M2 : "Moi, je suis différente en

fonction de chaque patient"

M5 : "Donc ils viennent tous cher-

cher quelque chose de différent."

M6 : "En fait, c’est quelque chose

qui change"

M8 : "Par rapport à eux ? Moi

j’ai les trois à la fois [note de l’en- quêteur : les trois types de rela- tions médecin-patient], je pense. Et je pense qu’il faut les avoir"

M9 : "Moi, je dirais que des lec-

tures que j’ai pu avoir sur Martin Winckler, […] je me reconnais de- dans […] sur sa vision des pa- tients, de la médecine"

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W.C. Williams, Filles de fermiers,

Recours à la violence : "Allez Ma- thilda, ouvre la bouche que nous examinions ta gorge. Peine per- due. Allons, sois mignonne, dis-je en la câlinant. […] Apportez-moi une cuillère à manche lisse, dis-je à la mère. Qu’on en finisse. […] Je repassais donc à l’attaque […] Le pis était que j’eusse perdu toute mesure moi aussi. Dans ma rage, j’aurais pris plaisir à tailler la ga- mine en pièces"

M10 : "La question, c’est […]

d’avoir le bon comportement en face de la bonne personne […] contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, à mon sens, il n’y a pas un état pur, mais il y a des états avec des personnes diffé- rentes, et à des moments diffé- rents"

Nous avons noté une variabilité des relations médecin–patient chez un même médecin dans des romans de médecins (n = 3) et chez des médecins interrogés (n = 7) (tableau IV). C’est-à-dire que ces relations pouvaient emprunter successivement ou simultanément une ou plusieurs des caractéristiques de chacune des relations médecin-patient possibles, parmi les relations : pater- naliste, centrée sur la maladie et centrée sur le patient.

Nous avons remarqué une progression entre le détachement relationnel du personnage de mé- decin dans Le Passage de Reverzy, et ce qui nous semble être une authentique approche centrée sur le patient dans un passage de Place des angoisses (non traité) du même auteur. De même, le personnage de médecin dans la nouvelle Recours à la violence du recueil Filles de fermiers de William Carlos Williams change d’attitude en face d’une jeune fille suspecte de diphtérie qui refuse de se laisser examiner la gorge. Nous n’avons en revanche pas retrouvé de variabilité des relations médecin-patient dans les romans de Martin Winckler. Le personnage de Bruno Sachs nous a semblé être toujours et en toute circonstance imprégné de l’approche centrée sur le patient. Tout comme Sachs, une participante (M9) nous a dit qu’elle plébiscitait l’approche centrée sur le patient, la privilégiant à d’autres types de relations.

Un autre exemple de variabilité des relations, celui-là extrême, a été retrouvé dans Voyage au

bout de la nuit de Céline. Le narrateur et personnage principal Bardamu, médecin, passe tour à

tour d’un sentiment de sympathie envers le jeune Bébert, à l’indifférence envers une femme qui se meurt d’hémorragie en avortant, puis à une franche antipathie envers un nourrisson qui pleure (Cf. Annexe 9 : Céline). Les médecins interrogés ont justifié cette variabilité de leurs relations par la nécessité de s’adapter à la singularité de leurs patients et des situations cliniques.

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4.3.4 Le paternalisme

Tableau V : les relations médecin-patient : le paternalisme

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Paternalisme médical historique :

Autoritarisme

Mensonge miséricordieux

Figure d’autorité du médecin

Figure parentale du médecin

Paternalisme bienveillant Exemples

Reverzy, Le Passage

- Un médecin militaire à Palabaud

"Déshabillez-vous complètement. Etendez-vous sur le lit"

- Palabaud hospitalisé à l’hôpital militaire ne reçoit aucune informa- tion sur son état de santé.

- Tous les médecins que Palabaud consulte lui mentent systématique- ment sur son état de santé : "Ami,

lui dit enfin le colonel, votre foie est très malade. […] Malgré tout, je vais vous annoncer une bonne nou- velle : vous guérirez" ; "Mon con- frère vous a amené ici pour […] vous guérir." ; "ne désespérez pas […]. La Science doit vous sauver."

Winckler, Le Chœur des femmes :

"il [Franz Karma] voulait toujours avoir le dernier mot. […] Si je lui tenais tête, il m’écraserait"

NA

Boulgakov, Récits d’un jeune mé- decin

- Le narrateur à une mère et une grand-mère qui refusent la trachéo- tomie proposée à une jeune fille de trois ans atteinte de croup diphté- rique : "vous êtes devenues

folles ? ! Comment ça, vous n’êtes pas d’accord ? Vous êtes en train de la laisser mourir ! Donnez votre accord ! Comment n’avez-vous pas pitié ?"

- A une mère dont les enfants sont atteints de syphilis, qui souhaite partir de l’hôpital contre avis médi- cal : "tu sais quoi ?.... tu n’es

qu’une gourde ! […] Regarde ton Vanka ! Que veux-tu donc ? Le faire mourir ? ! Eh bien, non, je ne te le permettrai pas !"

Un participant, en off : "les patrons

avaient droit de vie et de mort sur les patients et sur leurs internes"

M5 : "quelquefois, en fait, il m’est

arrivé de tricher en citant l’exemple du patient qui était en face de moi, à lui-même, en lui di- sant : voyez, je connais un mon- sieur, il a refusé de prendre un mé- dicament pour sa tension, il a refait un AVC. Ah bon ? Oui, oui. Puis, il avait votre âge, puis il a regretté. Et il m’a dit : ah, si j’avais su."

M2 : "je peux être autoritaire" M5 : "il y en a qui recherchent

quand même une figure d’autorité. […] Il faut arriver à les remettre à leur place, à les recadrer"

M8 : "il y a un côté autoritaire

aussi à avoir. Moi, je suis capable de mettre des gens dehors"

M2 : "Ah, c’est […] ma mère, mon

médecin"

M4 : "Je pense que parfois j’ai une

relation un peu paternaliste, mais du genre paternel, le père, quoi."

M5 : "le patient […] doit respecter

aussi le temps que je lui consacre, et l’avis que j’ai à lui donner […] [des patients peuvent se montrer] un peu trop familiers, un peu trop envahissants"

M8 : "mais lorsqu’il [le patient] se

met en danger, il faut savoir aussi réagir, en lui disant que […] ne pas se faire soigner, ce n’est pas une bonne chose, s’il refuse le soin ou l’explication, il faut savoir aussi cogner du poing sur la table […].

M10 : "il faut pas me mettre en

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Objectifs

Difficultés des femmes médecins à asseoir leur autorité

NA

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours : "j’ai sincèrement cru, un moment, que le type allait me co- gner, de tous ses poings d’un demi mètre cube pièce. […] Ils sont sept, dans la salle d’attente. Avoir en- tendu l’autre demi-tonne qui s’époumonait sur mon incompé- tence"

M8 : "Si le patient n’est pas acteur

de soins, et n’est pas acteur de sa maladie, ça ne marche pas"

M10 : "il faut, comme tout le

monde, assumer ses actes. À un moment ou un autre. […] Il faut que chacun soit responsable, et ait une cohérence dans ce qu’il fait, et dans ce qu’il montre."

M2 : "Je suis d’une génération […]

où les femmes médecins, ça ne cou- rait pas vraiment les rues. Donc, il y avait cette problématique. Il faut s’affirmer, on est différent. […] Une femme médecin, j’ai vu des gens faire une marche arrière quand ils ouvraient la porte quand j’étais remplaçante.[…] peut-être qu’il a fallu que je me fasse aider à prendre de l’assise. Bon, je sais que je suis pas un grand mec baraqué. J’ai pas l’autorité naturelle d’un…"

Nous n’avons retrouvé aucun élément ou exemple de la très décriée relation médecin-patient paternaliste, historique et autoritaire, dans les propos des médecins interrogés (tableau V), par exemple concernant la pratique du « mensonge miséricordieux ». En revanche, nous avons trouvé des similitudes entre les romans (n = 3) et les interviews (n = 4) de médecins sur : la figure d’autorité du médecin ; le paternalisme bienveillant ; les difficultés des femmes médecins à asseoir leur autorité.

4.3.5 Relation centrée sur la maladie