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médecins interviewés

11 Annexe 3 : Martin Winckler

11.2.2 Analyse et commentaires

11.4.2.3 Ce que nous apprend le livre sur la relation médecin-patient Un hymne à la relation médecin-patient

Le Chœur des femmes représente un véritable hymne à la relation médecin-patient. Une phrase du livre résume à elle seule la pensée de Winckler :

« Tous les patients ne sont pas aimables ; mais ils n’ont pas besoin d’être aimés pour aller moins mal.

Ils ont juste besoin que tu les respectes. » (p. 183)

De manière sous-jacente, il y a le respect infini et inconditionnel du patient, être incarné, prochain, et alter ego tout à la fois.

Le sujet d’étude de Winckler, ce n’est même pas juste la médecine, c’est la nature humaine dans toute sa richesse, sa complexité et ses contradictions.

Les consultations menées par Franz Karma sont dominées par l’écoute active. A elle seule, l’écoute est thérapeutique. Karma ne coupe jamais la parole à ses patientes, quand bien même celles-ci lui racontent leur vie. Car Karma pense que leur contexte psychosocial fait partie intégrante de leur problématique clinique. Il estime que parfois même, leur problématique clinique se résume à des difficultés psychosociales, et le simple fait d’écouter ses patientes aide ces dernières à élaborer une réponse à leur problématique. Comme quoi cette relation transférentielle et contre-transférentielle sert les patientes de Karma comme pour tremplin pour l’Agir.

Cependant, les entretiens-fleuves qui émaillent le roman dessinent une vision idéale de l’entretien médecin-patient, en pratique difficilement réalisable pour des consultations, qui ont une durée moyenne de 14 à 15 minen ce qui concerne les médecins généralistes en France18.

Là où le bât blesse, c’est qu’il n’est nullement nécessaire en France, dans la sélection des étudiants en médecine, d’avoir un bon relationnel avec le patient. La relation médecin-patient, en gynécologie mais également dans toutes les autres disciplines médico-chirurgicales, est en effet la grande oubliée de l’enseignement des 1er, 2e et 3e cycles des études médicales en France, à l’exception faite du TCEM du

18 Chambonet J-Y, Barberis P, Peron V. How long are consultations in French general practice? European Journal of General Practice. 11 juill 2009;6:88‑92.

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DES de médecine générale, les différents DUMG mettant particulièrement l’accent sur la formation à la relation médecin-patient.

Ce que Martin Winckler critique à juste titre, c’est que la France est en retard sur ce point crucial par rapport aux pays anglo-saxons, le Canada historiquement, mais également les autres pays anglo-saxons, Etats-Unis et Royaume-Uni.

Le Chœur des femmes recèle plusieurs notions importantes sur la relation médecin-patient en gynécologie, ainsi que des données scientifiques intéressantes même pour un lecteur médecin :

- distinction entre le motif primaire, déclaré et public ; et le motif secondaire, caché et privé : les gens viennent consulter pour des motifs divers, mais qui en fait s’avèrent être souvent un « prétexte », « une excuse » pour « parler d’un truc qui les angoissent infiniment plus » (p. 242). Des patients qui viennent juste pour parler d’un problème qui les accable. Qui inconsciemment cherchent, l’espace d’une ou de plusieurs consultations, un(e) confident. Auquel ou à laquelle ils peuvent « ouvrir leur cœur » ;

- ne jamais juger les patient(e)s

- ne jamais mettre en doute la véracité du vécu des femmes, par exemple lorsqu’elles assurent avoir eu une grossesse sous pilule bien prise et jamais oubliée, ou lorsqu’elles disent ne pas tolérer la pilule ;

- on ne peut pas normer le corps, ni la sexualité ou la psychologie des femmes

- le désir de maternité ou de non-maternité n’appartient qu’aux femmes, quel que soit leur âge, leur nombre d’enfants, leur condition socio-économique ;

- le choix de la méthode de contraception revient entièrement à la patiente qui consulte ;

- respect de la pudeur des patients : il n’est pas nécessaire de demander aux patients de se déshabiller entièrement, l’examen pouvant se faire en deux temps (examen du haut puis du bas) ; - ne pas demander à une jeune fille, une adolescente qui demande pour la première fois une

contraception si elle a déjà eu des rapports sexuels (p. 92) ;

- un stérilet en place dans la cavité utérine peut tourner ; cela n’enlève rien à ses propriétés contraceptives, qui tiennent à la toxicité du cuivre sur les spermatozoïdes ;

- ne jamais laisser une patiente en période d’activité génitale sans contraception ; notamment, ablation et pose d’un nouveau stérilet peuvent se faire au cours de la même consultation ; - examen gynécologique en décubitus latéral ;

- accouchement en décubitus latéral gauche ;

- une contraception continue n’altère pas la fertilité des femmes ; - possibilité de se passer de pince de Pozzi lors de la pose d’un stérilet ; - possibilité de poser un stérilet à une femme nullipare ;

- la relation médecin-patient peut se poursuivre sur Internet au niveau des forums médicaux, dans lesquels des médecins bénévoles peuvent délivrer des informations de qualité aux internautes qui en demandent.

- Les mères doivent respecter l’intimité psychologique et physique de leurs filles qui consultent en gynécologie. Ces dernières ont le droit de consulter seules, sans leur mère.

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Un livre résolument engagé

Winckler a notamment raison sur un point : le fait qu’en étant soignant la limite entre bienfaisance et maltraitance puisse être facilement franchie. Il s’oppose à une vision trop technicienne ou scientiste de la médecine, considérant un patient avant tout comme un organe ou une machine à réparer ; ou qui prétend imposer avec condescendance un savoir immuable au profane. Autant de choses qui dénaturent et déshumanisent profondément le soin, et distancient, fragilisent la ô combien délicate et difficile relation médecin-patient.

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Le point de vue de l’auteur sur son

œuvre

Dans sa contribution au livre de Lüsebrink et al., Martin Winckler nous explique que sa vocation d’auteur est très ancienne, et a précédé sa vocation médicale. On sent toujours ce mélange d’idéalisme engagé, exacerbé, et de pudeur qui le caractérise. Il nous fait comprendre à plusieurs reprises qu’il n’a jamais cherché la célébrité de son travail d’écrivain. Il refuse même le terme « écrivain », préférant se décrire comme un « écrivant »19. Pour lui, l’écriture doit revêtir un but noble ; servir une cause juste. À

ce titre, les « histoires de chasse », qui moquent, critiquent ou dévalorisent les patients, sont détestables à ses yeux20.

Comme tout au long de son œuvre wincklérienne, il se montre très critique vis-à-vis de « l’inversion de

la hiérarchie des valeurs » qui caractérise selon lui le système médical et notamment hospitalo-

universitaire français. Citant Emmanuel Kant, il affirme qu’il est « indispensable de voir l’autre comme

un but, et non comme un moyen » ; en l’occurrence, de se valoriser ou de faire carrière.

Winckler nous dit également qu’il n’apprécie pas les écrits de Céline. Il ne voit en lui que de «[l’]élitisme,

[de la] rancœur, [du] mépris [pour les] humains ». Il se sent beaucoup plus proche de médecins-

écrivains tels qu’Arthur Conan Doyle, Michael Crichton, Jean Reverzy, William Carlos Williams, André Soubiran et Olivier Sacks21.

19 Lüsebrink H-J, Madry H, Pröll J. Médecins-écrivains français et francophones. p. 80. 20 Ibid. p. 79.

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12 Annexe 4 : Baptiste