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médecins interviewés

11 Annexe 3 : Martin Winckler

11.2.2 Analyse et commentaires

11.3.2.2 Ce que le livre nous apprend sur les patients Un récit polyphonique

Fait intéressant, le narrateur, qui parle à la première personne, est à chaque fois une personne différente, décrivant les paroles, attitudes et soins du Docteur Sachs, en disant : « tu ». Chaque chapitre est un récit différent, raconté par un ou plusieurs patient(e)(s), un(e) ami(e), un commerçant, une voisine, sa secrétaire, la femme de ménage, le patron d’un service de médecine, un collègue médecin généraliste, sa mère, sa compagne Pauline Kasser.

Du jeune enfant à la mamie, de celui qui est bonne santé à celui qui est condamné à plus ou moins brève échéance, tous nous décrivent leurs maux, et leur interaction avec Sachs, avec leurs propres mots, yeux et oreilles.

Plus exactement, Sachs retranscrit le plus fidèlement possible leurs récits et leurs paroles, se mettant à leur place pour imaginer leurs pensées intérieures, et la façon dont ils le regardent lui, leur médecin. Il s’agit donc assez peu d’un récit à base autobiographique, mais plutôt biographique, immortalisant des moments de vie des nombreux patients que Sachs rencontre au cours de sa journée. Sachs s’exprime au final très peu dans le livre. Quand il le fait, le livre nous le signale avec une police différente de celle utilisée pour les récits des patients et de toutes les autres personnes que Sachs.

Ce récit polyphonique ajoute une touche très personnelle, une force au récit, une authenticité et une grande intériorité, davantage qu’un récit écrit à la troisième personne, ou à la première personne ayant pour narrateur Bruno Sachs.

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Au début, on a l’impression que le livre est un recueil d’anecdotes, et on a du mal à lui trouver une unité. Mais, de fil en aiguille, on devient familier avec les différents protagonistes, et cette unité, on la retrouve dans la vision diachronique qu’a le médecin traitant de ses patients.

Typologies de patients, typologie des plaintes

Le livre dresse des typologies de patients, si tant est qu’on puisse utiliser ce terme, mais surtout une typologie des plaintes.

De la patiente qui veut toujours être reçue sur le champ au cabinet et ne prend jamais de RDV, ou qui manque simplement de chance (p. 71, p. 164, p. 258, p. 403, p. 579). A celle qui le voit « trois ou quatre

fois par semaine » (p. 86), et qui est également « la plus grosse consommatrice de médicaments du département » (p. 129).

De même, le livre dresse des typologies de patients vus en visite à domicile. Il y a les angoissés (p. 227, p. 229), les règlements de compte (p. 228), les cas plus sérieux (« du saignant, du drame et de l’horreur », p. 228), les prétextes futiles : la constipation de minuit et demi avec un trajet de « quarante kilomètres

aller et retour » (p. 478), les patients psychiatriques et/ou qui troublent l’ordre public (pp. 228-229).

Les patients manipulateurs, sans forcément être méchants : ainsi d’une mère de famille envers son compagnon (pp. 427-441), sa fille (pp. 519-538) et Sachs ; ou encore Madame Renard envers son époux, sa famille et Sachs (p. 561).

Les patients bizarres ou opposants. Exemple : une jeune ado de « seize ans et demi », qui ne semble pas accepter sa grossesse, et qui refuse que Sachs lui fasse une déclaration de grossesse (p. 401). Ou encore cet homme qui, il y a « trente-six heures » de cela (p. 573) , a eu une douleur thoracique « en pleine

nuit » alors qu’il dormait (p. 572), à qui Sachs diagnostique un infarctus du myocarde, mais qui refuse

catégoriquement de se rendre aux urgences cardiologiques (pp. 575-577).

De même, la diversité des plaintes, tant dans leur contenu que leur forme, est gigantesque, et n’a de limites que l’imagination humaine.

Diversité du ton, tout d’abord. Humour, dérision et auto-dérision, par exemple : « Qu’est-ce qui vous

amène ? Rien de neuf, que du vieux », ou encore : « En tout cas, j’amène pas le soleil » (p. 94).

Espoir : « faut m’arranger ça » (p. 93, p. 97). Déception : « Comment allez-vous […] ? C’est pareil, vos

remèdes ne m’ont rien fait » (p. 95). Tout cela donne de vives couleurs aux consultations. Ce sont ces

sentiments humains qui sont peints par Winckler, saisis dans l’instantanéité du dialogue, de l’échange. Diversité du motif proprement dit : licence de sport (p. 33), renouvellement de pilule (p. 38), rhinopharyngite (p. 40), suivi d’une hypertension artérielle (p. 40), ulcère des membres inférieurs (p. 78), douleurs abdominales (p. 81), refus alimentaire chez un enfant, énurésie, ablation de points de suture (p. 93), renouvellement de cent pour cent, surveillance du taux de prothrombine (p. 94), demande d’opiacés par un toxicomane (p. 95), renouvellement d’ordonnance (p. 96), syndrome grippal (pp. 96– 97), grossesse gémellaire, douleurs au dos (p. 98), sciatique (p. 99), rappel de vaccin, renouvellement de kinésithérapie, arrêt de travail (p. 101), gastro-entérite aiguë (p. 142), toux (p. 147), interruption volontaire de grossesse (p. 156), constipation (p. 165), dyspnée (p. 198), escarre (p. 206), check-up annuel (p. 207), malaise (p. 207), mâchoire qui se décroche (p. 209), douleurs abdominales (pp. 210- 213), attaque cérébrale (p. 204) accident de la route, hémorragies de l’utérus, mort subite du nourrisson (p. 228), agitation et trouble à l’ordre public (p. 229), hoquet chronique (p. 244), gynécologie-obstétrique (pp. 269-275), « une narine qui se bouche sans arrêt » qui occasionne des ronflements (p. 280), alopécie (p. 281), demande de crème anesthésique pour le sexe (p. 282), douleur intense (p. 293), etc....

Dans ces plaintes, il y a un bien sûr un gros besoin d’écoute, de réassurance, de compréhension ; de trouver un confident, une oreille attentive, un conseiller, un soutien moral, à ses peurs, qu’elles soient

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imaginables, ancestrales ou irrationnelles. C’est parfois même la seule chose qui est recherchée, ouvertement ou inconsciemment. La parole à elle seule est une thérapie.

« Beaucoup de gens viennent te voir parce qu’on leur a parlé de toi, on sait que tu rassures, que tu es

du genre docteur tant-mieux » (p. 137).

Exemples avec une patiente qui a la peur irrationnelle d’avoir un cancer (pp. 210-211), une autre qui vit difficilement et avec culpabilité son IVG (p.211).

De même, avec une dame entretenant une liaison avec un homme marié et ne se satisfaisant pas de sa situation, déversant son trop plein de souffrance et de mal-être psychique un dimanche de garde sans que Sachs ne lui fasse payer sa consultation (pp. 348-354).

Ou encore avec le cousin Roland de Sachs, qui a mal à l’épaule et au bras gauche, et qui a peur d’avoir une douleur coronarienne (pp. 359-363).

Un flot de plaintes, pas forcément médicales

Car c’est là la caractéristique fondamentale de l’exercice médical, une caractéristique qui n’est jamais, nulle part, enseignée en faculté de médecine. C’est que le métier de médecin, ce n’est pas avant tout soigner des pathologies. C’est avant tout écouter beaucoup, beaucoup de problèmes qui stricto sensu ne sont pas médicaux, et pour lesquels il n’y a pas UNE seule bonne réponse. Des problèmes triviaux, banals, mais qui prennent une importance considérable pour les patients. Des problèmes qui peuvent laisser le médecin, formé à trouver une solution à un problème médical, impuissant à trouver une réponse à ces problèmes non médicaux. Ainsi des mères de famille qui se plaignent que leurs jeunes enfants refusent tel ou tel aliment, tel ou tel plat, pourtant préparé avec amour (p. 146, p. 152).

11.3.2.3 Ce que le livre nous apprend sur le médecin