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pour les soignants et les soignés

7. L'attraction-répulsion dans la relation médecin-patient

4.3.6 Relation centrée sur le patient

4.3.6.2 Notion de juste distance

Tableau VIII : Relation centrée sur le patient : notion de juste distance

Thèmes Dans les romans de médecins Dans les interviews de médecins Nécessité d’une juste distance Winckler, La Maladie de Sachs :

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Implication affective et émotion- nelle du médecin

Relation plus forte en médecine générale

Difficultés du médecin pour soi- gner sa famille et ses amis

haine d’une puissance incontrô- lable […] en voyant cette femme parler ainsi à son fils, j’ai eu envie de lui sauter dessus, de la gifler, de la jeter par terre, de lui cogner la tête contre le carrelage et de l’étrangler jusqu’à ce que mort s’en suive"

Marie Didier, Contre-visite : - "Je suis morte à l’indifférence" - "Le mouvement qui me porte à la

rencontre de mes patients est voisin de l’amour. Je m’offre à l’invasion, devenant celui ou celle qui est là et qui se livre"

- "Cette jeune femme […] regarde

en face d’elle l’autre femme, son médecin, qu’elle a toujours vu se- reine, rayonnante. Elle la voit en- trer dans le déséquilibre de sa fai- blesse"

Baptiste Beaulieu, Alors voilà les

1001 vies des urgences : "Notre métier est avant tout une succes- sion d’échanges enrichissants. Nous rencontrons des gens. Des corps malades, bien sûr. Mais des personnes."

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours :

- "Je suis […] sincèrement intéres-

sée par la vie de mes patients"

- "Les malades […] ont peur et

j’ai peur avec eux, ils ont mal et j’ai mal avec eux."

Jaddo, Juste après dresseuse

d’ours : "j’ai décidé d’être méde- cin. Ensuite, bien plus tard, après quelques déconvenues hospita- lières, j’ai eu la chance de rencon- trer deux médecins généralistes, qui faisaient de la vraie médecine et qui brillaient d’une vraie flamme.[…] J'ai décidé d'être gé- néraliste"

NA

M5 : " Il faut qu’il y ait une cer- taine dose d’émotion, sans un trop plein d’émotions. C’est une juste distanciation entre l’émotion hu- maine, et les moyens techniques de réflexion qui nous permettent de décider justement"

M7 : "Il y a toujours une distance

minimale à garder, pour rester ob- jectif."

M8 : "Moi, je pense qu’il faut tou-

jours garder une distance.[…] Je ne tutoie pas mes patients.[…] phy- siquement aussi. [Ne pas] leur faire la bise"

M9 : "c’est pas nos amis. […] C’est

pas nos potes, on leur tape pas dans le dos"

M7 : "Mais il y a quand même un

attachement qui existe."

M9 : "maintenant, je m’autorise à

pleurer avec des patients.[…] quand il y a un patient que j’ai suivi, pour qui j’ai de la sympathie […], ça m’arrive de pleurer, ou d’être touchée. […] On est obligé de s’engager dans la relation, si on veut être thérapeutique, et on ne peut pas s’engager sans s’expo- ser."

M4 : "Mais je crois qu’on a une di-

mension humaine qu’ils [les spé- cialistes] n’ont pas obligatoire- ment."

M8 : "c’est des gens qui vont dire :

je veux pas voir l’interne, je veux pas voir le remplaçant, je veux voir le docteur M8. C’est la relation aussi du médecin généraliste. C’est-à-dire, ils […] vont voir le médecin généraliste parce qu’ils […] veulent cette relation de proxi- mité, qu’ils pensent qu’il n’y aura pas avec quelqu’un d’autre"

M2 : "Alors, j’accepte pas de soi-

gner des amis"

M8 : "moi j’ai des difficultés à soi-

gner ma famille, parce qu’il y a trop de sentiments, trop de vécu"

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Liens d’amitié qui se créent entre le médecin et ses patients

Risques ou effets néfastes d’une trop grande proximité patient-mé- decin

Compromission de l’efficacité soignante du médecin

Perte de l’intégrité morale et éthique du médecin

Risque pour le médecin de souf- frir

Exposition voire perte de sa vie privée

Céline, Voyage au bout de la nuit :

"ce matin-là, j'ai rencontré Bébert […]. Tant qu’il faut aimer quelque chose, on risque moins avec les enfants qu’avec les hommes […] sur sa face livide dansotait cet in- fini petit sourire d’affection pure que je n’ai jamais pu oublier"

NA NA

Céline, Voyage au bout de la nuit :

"j’allais reprendre la nuit, pas fier, parce que comme ma mère, je n’arrivais jamais à me sentir en- tièrement innocent des malheurs qui arrivaient. […] Je cherchais quand même si j’y étais pour rien dans tout ça. […] J’ai fini par m’endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, telle- ment j’étais fatigué de marcher et de ne trouver rien."

NA

M4 : "Il y a parfois de l’amitié avec

certains patients."

M9 : "ça n’empêche pas d’avoir

des liens amicaux"

M5 : "Le trop-plein d’émotions fait

qu’on perd ses moyens."

M3 : "Après, c’est plus difficile de

dire non"

M8 : "Moi, quand une petite mamie

meurt, et bah franchement, psycho- logiquement, je suis presque de sa famille, des fois. Tu vois ? Du coup, tu morfles"

M9 : "dans certaines spécialités

qui font partie de ta formation, on t’apprend qu’il faut pas trop parler avec les patients. Ou alors, si tu parles avec eux, il faut t’en proté- ger. Parce que sinon, tu vas être at- teint par ce qui leur arrive"

M5 : "Le risque […] c’est de

perdre son jardin secret, sa vie pri- vée."

La notion de « bonne distance », ou « juste distance », désigne la proximité physique et émo- tionnelle adéquate du médecin envers le patient. Nous avons trouvé des différences sur cette notion de « juste distance » entre deux romans de médecins, et cinq médecins dans la vraie vie que nous avons interviewés (tableau VIII). Dans Contre-visite de Marie Didier, les relations entre le personnage de médecin, une gynécologue comme son auteure, et ses patient(e)s, sem- blent confiner à l’amour inconditionnel. Au point que l’héroïne du livre accepte de montrer ses défauts et ses vulnérabilités personnels à une patiente à la jalousie maladive pour la soigner. De même, l’engagement moral du médecin fictif Bruno Sachs dans La Maladie de Sachs de Winck- ler le pousse à prendre violemment partie, intérieurement, pour un enfant délaissé et négligé par sa mère. Il exprime même au lecteur des idées de meurtre dirigées contre cette mère. Cette absence de juste distance dans ces deux ouvrages de fiction médico-littéraire n’a pas été retrou- vée dans ce qu’ont exprimé 5 médecins interrogés (M3, M5, M7, M8, M9) à leur propos. Pour ces derniers, la notion de juste distance est au contraire fondamentale dans leur travail de mé- decins au quotidien.

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