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G. Bertrand dénonce la dégradation des paysages, particulièrement des paysages méditerranéens anthropisés depuis deux millénaires. Les pollutions et les déchets sont traités plus facilement que les paysages et les quelques réussites d’aménagements de paysages ne

153 constituent que des rustines : la région est confrontée à une ‘crise paysagère’ (Bertrand, 2002, p. 58). Le géographe avance la notion de territoire, espace entre la société et la nature, pour interroger cette crise. Il constate une volonté sociale de retour181 à la nature, forme d’opposition

à l’artificialisation croissante liée au développement urbain. Il souligne le caractère particulier du paysage qui relève de l’image et que, contrairement aux objets géographiques habituels, il ne peut être représenté : « …le paysage n’est pas réductible comme la plupart des phénomènes

géographiques à une représentation cartographique, à un bloc-diagramme ou à un transect. »

(Bertrand, 2002, p. 60). Cette nouvelle vision du paysage est fortement marquée par le sentiment écologique, et le géographe seul ne peut s’aventurer dans l’analyse paysagère, il doit faire appel à l’écologue. Le postulat de l’analyse paysagère est de considérer le paysage comme une partie du territoire : « Ainsi conçu le paysage n’est pas seulement l’apparence des choses,

décor ou vitrine. C’est aussi un miroir que les sociétés se tendent à elles-mêmes et qui les reflète. Constructions culturelles et économiques confondues. Et, sous le paysage il y a le territoire, son organisation spatiale et son fonctionnement. » (Bertrand, 2002, p. 61)

G. Bertrand affirme la « lourdeur » et la difficulté de l’analyse du paysage qui est à la fois matérialité et représentation. Les analyses paysagères sont également critiquées parce qu’elles peuvent paraître des entraves aux créateurs, architectes et paysagistes et, à ce titre, ces professionnels tendent à leur dénier toute valeur. Comme il l’a fait quelques années auparavant pour fonder la géographie physique sur un concept générique de géosystème, ce géographe propose le système GTP, Géosystème, Territoire, Paysage. Deux postulats fondent la démarche, d’une part, la polysémie du terme paysage est considérée comme un atout qu’il faut privilégier, ensuite le paysage ne doit pas être séparé de son environnement social et biophysique. Les trois entrées GTP doivent être possibles simultanément, elles offrent trois chemins autonomes, mais marquants, des entrées sur le territoire, le territoire-source, le territoire-ressource et le territoire- ressourcement (document 15).

Document 15: Présentation schématique de la méthode GTP :

Géosystème, territoire, paysage, (Bertrand, 2002, p.61)

154 Le travail d’analyse paysagère se développe alors en deux temps. On accumule d’abord toutes les informations disponibles sur les éléments matériels, relevés de terrains, mais aussi archives qui constituent la base matérielle. Ensuite, une enquête est menée auprès des acteurs du paysage, acteurs étant entendu au sens large : de l’élu à l’habitant en passant par l’aménageur. L’enquête est d’abord individuelle compte tenu du caractère subjectif de l’objet de recherche, puis elle s’adresse à des groupes plus structurés. C’est dans cette deuxième partie que l’on intègre les professionnels ou les artistes intervenant sur le paysage. L’analyse se finalise dans l’identification d’un système dominant basé sur l’image reconnue et partagée et des sous-systèmes dominés qui peuvent dessiner des oppositions ou des divergences avec la vision principale. Si, selon l’auteur, le dispositif peut s’appliquer aussi au milieu urbain, aucune tentative ne semble à notre connaissance avoir abouti à des résultats significatifs sur ce milieu urbain.

Cependant, dans le bilan qu’il rédige des Cinquièmes Journées Doctorales sur le Paysage, qui se sont tenues les 13 et 15 décembre 2012 à Bordeaux, George Bertrand souligne combien l’approche du paysage reste marquée par la nature :

« Paradoxalement, le paysage participe d’un retour à la nature [renouveau d’une pensée et d’un “sentiment de la nature” aussi bien dans le vécu quotidien que dans les expressions artistiques] et d’un retour de la nature [crise environnementale et crise climatique, voire “catastrophe”]. L’anthropisation, l’artificialisation tous azimuts, voire l’artialisation, ont redonné une seconde vie à une naturalité comme dimension intrinsèque du paysage. La nature “naturaliste” est en quelque sorte acculturée au travers du paysage par une pensée métisse qui transcende la coupure nature/culture. C’est l’une des grandes acquisitions de la recherche paysagère. La méthode, mixte par définition, doit en rendre compte. Il n’y a pas de paysage sans nature et il ne peut y avoir de méthode paysagère autrement qu’à la charnière entre sciences sociales et sciences de la nature, soit une culture scientifique encore à improviser. Une nature que les jeunes chercheurs des Journées ont, semble-t-il, beaucoup de mal à aborder, mais qu’ils n’ignorent pas. »

155 L’apport des géosystèmes et des démarches naturalistes à la connaissance des paysages urbains semble être à inventer, d’autant que les formes actuelles d’étalement urbain semblent réactiver un besoin de nature confirmant l’importance des démarches liant plus étroitement sciences naturelles, sciences sociales et démarches esthétiques.

2. 2. 8. Le tournant culturel

« … l’étude des paysages constitue un des chapitres fondamentaux de la géographie culturelle ; on y découvre la méfiance par laquelle les groupes humains assurent leur prise sur l’espace et subissent son emprise… » (Claval, 2012, p. 227)

La géographie culturelle connait un essor aux États-Unis dès les années 1930 dans le cadre de l’École de Berkeley. C. Sauer étudie les rapports qu’entretiennent les sociétés rurales, en particulier les sociétés amérindiennes, avec leur environnement. Dans les années 1980, cette géographie culturelle connait un renouveau à l’occasion d’études urbaines s’attachant aux liens de groupes sociaux avec leur environnement. Des mouvements proches se développent en Europe du Nord tandis qu’en France apparait une géographie culturelle présentant deux orientations originales, l’une se situant par opposition à la géographie physique, alors que la seconde se rapproche de la phénoménologie.