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En 2010, la géographe A. Sgard dans un article intitulé « Le paysage dans l’action publique : du patrimoine au bien-commun » souligne l’émergence des termes « biens- communs » associés à paysage, qui prennent la place occupée jusqu’ici par le patrimoine, le terme est générique et justifie également une prise en compte dans les politiques publiques, mais dans des conditions différentes de celles visant à protéger un patrimoine :

« … deux termes sont de manière récurrente associés au paysage, le patrimoine et, plus récemment, le bien-commun (…). La pratique et le cadre juridique français tendent à enfermer le paysage dans un registre avant tout patrimonial, privilégiant une logique de protection. L’expression de bien-commun pose question : est-ce un équivalent de patrimoine, une facilité de langage portée par la mode, ou un apport innovant qui permet de réinterroger la place du paysage dans le débat et les méthodes d’intervention ? » (Sgard, 2010).

Cette notion, repérée dans les pratiques de certains Conseils d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), émane essentiellement d’auteurs anglo-saxons ou nordiques comme K. Olwig (Sgard. 2010). Le paysage est un élément matériel accessible à tous, difficilement privatisable, échappant aux stratégies d’acquisition foncière, comme la

92 montagne, la mer, la rue. Cette approche considère la dimension symbolique du paysage qui devient l’emblème des valeurs partagées et de la démocratie (Sgard, 2012, p.225). Il est toujours accessible, sa consommation ne prive personne et respecte les générations futures non seulement en leur transmettant, mais aussi en leur laissant le soin de réinterpréter le bien transmis, celui-ci n’est pas « gelé ». Au contraire le paysage transmis repose sur les pratiques et les débats du moment : « le bien commun interroge un futur plus qu’il ne regarde un passé

volontiers nostalgique. (…) on laisse aux générations une liberté d’interprétation et d’évaluation des paysages et pas uniquement des espaces muséifiés à vénérer » (Sgard, 2012,

p. 231).

Ce paysage bien commun doit émaner d’un sens commun que l’on ne peut plus atteindre que par le biais « du dialogue et dans le respect de la démocratie » (Berque, 1995, p. 172). Le paysage trouve sa place à l’échelle locale, là où le lieu dans sa visibilité et la population dans sa diversité se rencontrent, se mesurent, se jaugent. Des mobilisations plus importantes sont possibles, mais c’est toujours dans le local que se trouve l’enjeu. A. Sgard souligne l’importance de ne pas viser le consensus comme but du débat local, les conflits, les oppositions existent et doivent s’exprimer, se développer et il faut éviter un monde qui se renfermerait sur lui-même dans un consensus sur la protection de ses paysages et une fermeture aux autres.

Le paysage introduit des dimensions « piégeuses », comme l’esthétique et le sensible, aussi l’autorisation administrative, qu’elle soit positive ou non, donnée à titre d’expert ne peut suffire, car le « paysage est l’affaire de tous savants et profanes » (Sgard, 2012, p. 234). Le déroulement des débats, et des concertations et des échanges d’information, est essentiel et peut prendre des formes diverses dans lesquelles le paysage tient, ou pourrait tenir, un rôle dans les prises de décisions nombreuses qui construisent, ou détruisent, notre cadre de vie. Ce thème de la présence des acteurs dans les prises de décisions est longuement développé par Y. Luginbühl dans son ouvrage La mise en scène du monde. Interrogeant le rôle des professionnels dans les projets de paysage, il souligne le comportement de nombreux experts en particulier paysagistes, urbanistes ou architectes dont la pensée reste marquée par une conception faisant du paysage le décor, le fond dans lequel s’agitent les habitants126 ; ils n’y sont pas acteurs, mais simples

utilisateurs d’un lieu. Pour cette raison l’une des missions des professionnels paysagistes et géographes est de proposer des modes d’interaction, par lesquels les acteurs locaux et les populations peuvent s’exprimer.

A. Sgard termine ainsi son Habilitation à diriger des recherches :

126 Pour le Marquis de Girardin dans son ouvrage De la composition des paysages, les agriculteurs, dans le cadre

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« Facilitateur de parole, oui, de participation, sans doute, de démocratie, rien n’est moins sûr ; le paysage n’apporte pas en lui-même les éléments de l’accord. (…) Au géographe de rentrer dans cette fabrique [du paysage] et en analyser, les procédés, les productions attendues et les imprévues. » (Sgard,

2012, p. 235)

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1. 3. 2. De la connaissance au contrôle : Atlas, SCoT, PLU, permis paysager…

La mise en place de la Convention Européenne en France semble se faire plus par une adaptation de la législation que par la recherche de nouvelles pratiques proches des territoires. L’examen des textes applicables et des conditions de leur mise en œuvre montre combien l’État et son administration restent présents, même si la décentralisation engagée dans les années 1980 accorde un pouvoir réel aux collectivités. L’administration d’État veille, contrôle, et fixe des objectifs que doivent respecter les collectivités. Ces exigences se traduisent le plus souvent dans des objectifs quantitatifs, consommation d’espace, densité de logements à l’hectare, ou distance entre les constructions… facilitant le contrôle, alors que tous les objectifs sujets à interprétation sont généralement ignorés ou renvoyés dans les projets de type SCoT, et dans des parties générales non opposables aux tiers, rapport de présentation ou Projet d’Aménagement et Développement Durable. Aussi les élus et techniciens des collectivités, visent en premier lieu le bon déroulement de la procédure et le respect de ces quelques objectifs qualitatifs. Les documents, qu’ils soient opposables ou non aux tiers, ont des caractères très généraux sans que les conditions d’utilisations ou de mises en œuvre dans les règlements ne soient explicitées. L’article L 110-1 du code de l’urbanisme cite, entre autres, la qualité des paysages comme un objectif majeur de tout document d’urbanisme, mais les contrôles de légalité effectués par les préfectures sur les décisions des collectivités restent très théoriques (Melot, 2011), la présence formelle est prise en compte, mais aucune évaluation de la pertinence de mise en œuvre des intentions affichées n’est, et ne peut être, effectuée.

La loi paysage de 1993 et la prise en compte des paysages dans les