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Le Corbusier ou l’utopie d’un retour aux paysages naturels

J. Simon et M Corajoud

J. Simon (1929-2015) et M. Corajoud (né en 1937) participent activement au renouvellement du métier de paysagiste. Ils mettent en avant la dimension culturelle du projet de paysage, et contribuent ainsi au renouveau de l’École de Versailles. Tous les deux ont une première formation tournée vers le vivant, J. Simon travaille dans la pépinière familiale en Bourgogne avant de passer son diplôme dans la section paysage de l’école nationale « horticulture », alors que M. Corajoud obtient un diplôme de paysagiste reconnu par le ministère de l’Agriculture. Les deux personnalités suivent des formations dans d’autres disciplines, J. Simon dans les arts plastiques lors d’un séjour au Canada et M. Corrajoud suit les cours des Arts Décoratifs. Pour payer leurs études ils travaillent tous les deux à l’AUA, Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, une grande agence coopérative d’architectes et d’urbanistes86. Ils participent à la conception et à la réalisation de plusieurs parcs urbains (Parcs

85 Dans sa vie privée, G. Hanning sera le beau-père de Vadim, mais, jusqu’aujourd’hui, il n’existe pas de preuve

d’une quelconque influence réciproque.

86 L’AUA compte parmi ses membres les plus célèbres P. Chemetoff, B. Huidobro, J. Allègret G. Loiseau,

J. Tribel. L’agence est connue pour ses engagements contre « l’establishment », mais surtout pour une intense production architecturale et urbaine et la participation aux débats architecturaux et urbains entre 1960 et 1985.

69 des Coudrays, Maurepas, Élancourt, Gerland, Vigneux-sur-Seine) et d’espaces verts de grands ensembles (Villeneuve-Saint-Georges, de la Bourgogne à Tourcoing…).

Les deux professionnels sans cesser leur activité libérale militent pour que le métier de paysagiste soit reconnu comme maitrisant les techniques du vivant, mais aussi comme concepteur capable d’aménager des espaces. M.Corajoud revendique pour les paysagistes un rôle pour les espaces libres équivalent à celui de l’architecte pour les bâtiments. Tous deux expriment leurs idées dans de nombreux articles de la presse professionnelle, et dans de multiples conférences. J. Simon rédige des articles et réalise des photographies pour la revue

Espaces verts qu’il publie de 1968 à 1982. Ils enseignent tant en France qu’à l’étranger et

obtiennent tous les deux le grand prix du paysage : J. Simon en 1990 et M. Corajoud en 1992.

M. Corajoud souligne l’importance de J. Simon dans son apprentissage du paysage et leur combat commun pour renouveler la formation des professionnels. « J. Simon est

évidemment très différent (…) de mes confrères issus des écoles de paysage et, notamment, celle de Versailles. Je leur reprochais leur manque d’intérêt et de culture pour la ville où ils introduisaient tous les signes du démenti. Ils puisaient leur inspiration et leurs références dans l’idée qu’ils se faisaient de la “Nature”. Ils collaboraient, sans peine, à l’idéologie des espaces “verts”. Je pensais qu’en voulant compenser les effets d’une urbanité, évidemment très dure à cette époque, ils en barbouillaient le sol avec tout un petit fatras de circonvolutions molles, prétendument “naturelles”, qui, à mon sens, ne faisaient qu’introduire une violence supplémentaire. Ma critique était injuste, je le sais, mais je la réactive, aujourd’hui, pour bien montrer ce qui me distinguait alors et ce que je vais apporter de nouveau dans l’enseignement que je donnerai ensuite, à l’École de Versailles » (Corajoud, 2003). Finalement M. Corajoud

débute son enseignement à l’École de Versailles en 1970 et l’assure pendant plus de trente ans. J. Simon participe fréquemment à des actions de formation dans cette même école et dans divers établissements au Canada et en Suisse. Ses pratiques pédagogiques seront unanimement reconnues et il entraine ses élèves dans des pratiques culturelles proches du Land art, dans lesquelles les travaux sont limités et les réalisations éphémères.

Les pratiques professionnelles dans la conception de leurs projets évoluent. M. Corajoud propose des projets aux géométries rigoureuses s’inscrivant dans les pratiques de l’urbanisme, un peu à la manière de Le Nôtre (Blanchon, 2002, p. 276). B. Blanchon explique ainsi deux projets de parc : « Ce choc entre géométrie et géographie (…) préside bien à la conception des

parcs de la Villeneuve et des Coudrays ; mais dans un ordre inversé des efforts qui ont façonné la campagne française. (…) La géométrie n’est pas ici la figure qui se déploie sur un fond, elle est le fond lui-même, le substrat, le site d’origine ; c’est donc la géométrie qui est ici importée,

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mais avec une géographie qui ne peut être nature parce que tendue par le champ urbain »

(Blanchon, 2015, n.p.) J. Simon a une pratique différente, portée par sa connaissance des paysagistes des pays nordiques et son expérience canadienne, il travaille ses projets sur le terrain avec une forte dimension plastique et un savoir-faire botanique, pilotant l’hélicoptère ou conduisant lui-même le bulldozer. Ces deux praticiens délimitent ainsi le nouveau champ d’intervention des paysagistes contemporains français.

Certes ces deux professionnels ne furent pas les seuls à contribuer au renouvellement de la pensée paysagère, B. Lassus et J. Sgard participent également à ce mouvement. Cependant, l’expérience commune, une double formation technique et artistique, leurs premiers travaux à l’AUA, leurs quelques années de collaboration et leur militantisme professionnel et pédagogique en font sans doute, deux des personnalités qui ont fait évoluer les pratiques. Leurs savoir-faire illustrés par leurs réalisations et leurs nombreux écrits dans les revues professionnelles illustrent la situation des paysagistes : ils sont concepteurs, ne traitent pas seulement du végétal mais de l’espace dans toutes ses dimensions, urbaines, rurales et même naturelles.

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Le temps de la production des doctrines n’est pas clos. L’émergence de nouvelles pratiques environnementales, les questions relatives à la transition énergétique ; les recherches sur les écologies urbaines (Barles S., Blanc N., 2016), les réflexions sur les participations citoyennes et le statut du paysage (Sgard A. 2010) traduisent des approches nouvelles qui pourraient donner lieu à de nouvelles doctrines. Ces travaux contribuent déjà à l’évolution de la formation des professions et certaines pratiques de projets se réfèrent à ces problématiques.

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1. 2. 3. La formation des paysagistes