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43 Les constructions en adobe des Amérindiens relèvent d’une autre civilisation et ont très peu marqué la

civilisation contemporaine d’Amérique du Nord.

44 Dans son ouvrage : Histoire de l’habitat idéal. De l’orient vers l’occident, A. Berque identifie à travers des

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« Tout autre chose qu’une juxtaposition de détails pittoresques le paysage est un ensemble : une convergence, un moment vécu. Un lien interne, une “impression”, unit tous les éléments. (…) Le paysage est une échappée vers toute la Terre, une fenêtre des possibilités illimitées : un horizon. Non une ligne fixe, mais un mouvement, un élan. » (Dardel E., 1ère éd. 1952, 2014, p. 178)

La civilisation chinoise fut sans doute la première à user de la notion de paysage. Le paysage n’y est pas conçu comme un cadre de vie extérieur à la personne, mais comme une tension entre des contraires, représentée par une dualité montagne/eau, le dur et le liquide ou le stable et le mobile, dans lesquels vit l’individu. C’est dans ces contraires que nait la sensation du paysage. Il ne relève pas d’une observation, comme nous y invite la définition occidentale, mais d’un « vivre avec ». Le philosophe F. Jullien oppose le kiosque chinois, ouvert de tous côtés dans lequel on se laisse imprégner par le paysage, où l’on est en échange avec la montagne et l’eau, et les tables d’orientation de la société occidentale qui mettent rapidement en situation d’observateur du local. « … le paysage, tel qu’il est conçu en Chine, n’est jamais local (…)

mais se saisit (…) globalement suivant une logique d’appariement à quoi rien n’échappe et que les “montagnes” et les “eaux” totalisent. Un paysage en Chine, n’est donc jamais un « coin » du monde, mais toujours, au sein même de sa configuration singulière, l’œuvre ou plutôt l’opération du monde en son entier. En même temps qu’il s’individualise, il est, diront nous “cosmique” » (Jullien, 2014, p. 45)

Les définitions du paysage insistent toutes sur le fait qu’il n’est pas que collections d’objets, mais qu’il est doté d’un « caractère », cette tension dont parle F. Jullien, et dont la perception est un accès à une connaissance globale. Lors du Festival International de Géographie (FIG) de Saint-Dié, de 2014, consacré à « Habiter la terre », B. Collignon et P. Pelletier, directeurs scientifiques, ont demandé à cinq personnalités, dont A. Berque, J.-M. Besse, J. Lévy, de préciser leur conception de cette notion « Habiter la terre », à partir d’une photo. Pour tous les intervenants, cette photo, représentation d’un paysage, permet d’accéder à un questionnement global. Selon A. Berque, un bois de bambou de Kyoto permet d’interroger le mythe fondateur de l’habiter avec la nature, mythe que l’on trouve tout autant dans les civilisations chinoises et japonaises, que dans la civilisation occidentale (Berque, 2015, p 351). J.-M. Besse propose une photo différente, une rue particulière d’un quartier ouvrier au début du siècle. Une forte présence humaine, enfants adultes dans la force de l’âge ou anciens, illustre la question des distances entre les hommes : la trop grande proximité rend le lieu inhabitable alors que l’éloignement interdit la vie sociale : « … l’art d’habiter suppose donc un réglage des

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proximités et des distances » (Besse, 2015, p.388)45. Lévy fait le choix d’une photo intitulée

« un lieu du monde », et en donne la description suivante : « L’image montre (…) un paysage

urbain nocturne. Au fond, on identifie des immeubles élevés. Au premier plan, un homme assis utilise une tablette. Entre les deux, coule une rivière large de quelques mètres, encaissée en contrebas d’une rue au bord de laquelle des passants marchent ou sont assis… » (Lévy, 2015,

p. 391). La description se poursuit par celle des activités et des attitudes des personnes présentes et, tout comme dans le propos de J.-M. Besse, la situation et les distances entre les personnages sont soigneusement évaluées. Ce paysage montre l’importance de l’espace public qui est plus le fait des personnes qui le pratiquent, que des concepteurs qui le pensent. Pour J. Lévy : « Cet

urbanisme d’acteur et non plus d’auteurs, est mondial, mais, en chaque lieu de son action, sa singularité s’impose » (Lévy, 2015, p. 391).

Les images retenues rendent compte de paysages dont le caractère interroge le monde. Elles ne sont pas là dans une perspective pittoresque, mais expriment les centres intérêt actuels, l’urbain et la nature. Les paysages ruraux46 sont peu convoqués dans cet exercice, montrant que

l’espace du travail agricole n’est plus considéré comme un enjeu prioritaire et ne semble susciter l’intérêt que dans quelques cas précis. Certains milieux agricoles possèdent en effet des qualités paysagères, reconnues socialement : alpages, vignobles, maraichages urbains… L’agronome P. Donadieu souligne que ces lieux répondent à des exigences d’ordre culturel, absentes de la majorité des pratiques agricoles actuelles. À tel point que les suggestions d’une rémunération pour maintenir les pratiques agricoles répondant à ces attentes de paysages ne seraient pas illégitimes (Berque, 2010, p. 359)47. Ainsi quelques pans de l’agriculture sont influencés par

les modes de vie urbains, par les ventes directes, ou par l’entretien de paysages. Par exemple en zone de montagne, où certains élevages se maintiennent économiquement grâce à des rémunérations pour l’entretien de prairies aux abords de chalets et le maintien de paysages ouverts.