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« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales » (article R 111-

27 du code de l’urbanisme). Cet article apparaît pour la première fois dans un décret du 30 novembre 1961 organisant le Règlement National de l’Urbanisme (RNU). Il s’agit de se doter d’un outil règlementaire permettant de s’opposer à des projets qui pourraient porter atteinte aux sites, qu’ils soient naturels ou urbains. Il a conservé intégralement sa rédaction et seule sa numérotation a changé récemment. Longtemps intitulé R 111-21, il est devenu le R 111-27 dans le nouveau code de l’urbanisme. Cet article d’ordre public s’applique, qu’il y ait ou non un document d’urbanisme, qu’il existe ou non un périmètre de protection au titre du patrimoine. Mais cet article est rarement utilisé, car il est le plus souvent perçu comme une décision esthétique très difficile à appliquer, car facile à contester.

L’inspection générale du ministère de l’Environnement, du Développement Durable et de l’Énergie dans son rapport d’avril 2014 intitulé : « Paysage et aménagement : propositions pour un plan national d’action », souligne que les personnels chargés de l’instruction hésitent à utiliser ces outils règlementaires, car ils craignent de se voir opposer le caractère subjectif de la décision. Une des réponses apportées, en plus de l’intervention de personnels qualifiés en particulier les paysagistes, est de renouer avec la pratique de l’analyse paysagère, de montrer sa pertinence dans la connaissance des territoires.

Mais cet article est surtout utilisé par les associations de défense qui s’opposent aux projets d’éoliennes ou d’immeubles de grande hauteur. Ces associations dénoncent l’absence de recours à ces articles par les autorités devant instruire les autorisations. En effet des décisions des tribunaux administratifs et du Conseil d’État permettent d’entrevoir une certaine jurisprudence se dessiner.

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1. 3. 3. Le juge et le paysage : la lente élaboration d’une jurisprudence

: L’analyse de décisions de tribunaux administratifs et civils permet d’apprécier les arguments développés par le juge dans les questions de paysage. Certaines catégories d’ouvrage, les éoliennes et les immeubles de grande hauteur, « réactivent, et relancent » depuis quelques années les problématiques du paysage. Les autorités qui délivrent les autorisations de construire utilisent parfois l’article R 111-27 pour s’opposer aussi à des projets qui, bien que modestes par leur taille, paraissent détruire le caractère de l’environnement existant. L’analyse de décisions récentes relatives à ces questions qui semblent relever d’une apparente subjectivité permet d’apprécier le travail d’objectivation effectué par le juge.

L’analyse des rapports « paysage-éoliennes » renouvelle l’utilisation de l’article

R 111-27

(ancien R 111-21)

Les projets éoliens suscitent parfois une forte opposition des populations locales et les procédures engagées par les associations se font le plus souvent au titre du paysage. Selon une étude menée en 2008 par la Direction générale de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Énergie de la région Rhône Alpes144, 30 % des parcs en fonctionnement ont fait ou font l’objet

de contentieux ; 60 % des parcs autorisés non construits sont en contentieux ; 100 % des parcs en cours d’instruction font l’objet de difficultés, 2 projets ont été retirés au cours de l’instruction pour opposition locale forte. Dans certains villages, la vie sociale a éclaté en raison de projets éoliens ; les gens ne se parlent plus et ces projets réveillent de vieux conflits locaux. Les juges des tribunaux administratifs, des Cours d’Appels et du Conseil d’État doivent se prononcer et dégagent progressivement des méthodes d’analyse.

Une décision du Conseil d’État, du 13 juillet 2012, (numéro 345970, recueil Lebon) dans le cadre de l’opposition de l’association Engoulevent à l’attribution d’un permis de construire cinq éoliennes, précise les conditions de mise en œuvre de l’article R 111-21 (AN) 145 :

144 Les enjeux du paysage dans le développement de l’éolien : point de vue et rôle d’un service déconcentré de

l’État. Conférence « Impacts de l’énergie éolienne sur le paysage et acceptation locale : Regards croisés France- Allemagne » bureau de la coordination énergie éolienne Paris 29/10/2008.

145 Dans un souci de simplicité de lecture des textes, nous emploierons l’ancienne ou la nouvelle numérotation de

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Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l’autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l’assortir de prescriptions spéciales ; que, pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire (…) il lui appartient d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ; que les dispositions de cet article excluent qu’il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d’intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l’article R. 111-21 (AN) cité ci-dessus.

Cette décision reconnait l’importance du paysage qui peut par son seul intérêt justifier un refus. Il n’y a plus lieu comme ce fut plusieurs fois le cas, de mettre en balance une certaine dégradation du paysage justifiée par des avantages environnementaux. Un juge avait en effet confirmé une décision favorable pour un permis d’éoliennes, car la perte de qualité paysagère était largement contrebalancée par un gain pour la collectivité du point de vue du développement durable. Une telle mise en balance n’est plus possible, la dégradation du paysage suffit par elle-même pour justifier une décision de refus.