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Le travail récent de J. Wylie (Wyllie, 2015) fait un point sur les réflexions de la géographie culturelle au niveau international. Il montre que les approches françaises du paysage se situent au niveau théorique mais sont peu pratiquées, du moins vues de l’étranger. J. Wylie, professeur de géographie culturelle à l’université d’Exeter (Royaume-Uni) et membre de la rédaction de la revue Cultural Géographies, publie un essai en 2007 sous le titre Landscape. L’ouvrage ne s’attache pas à des paysages singuliers, ruraux ou urbains, mais aux approches de la géographie culturelle anglo-saxonne. La bibliographie, riche de plus de 450 ouvrages récents, prouve la richesse des travaux menés dans ces pays, alors que les ouvrages français cités relèvent exclusivement du travail épistémologique et philosophique de quelques grands noms : M. Merleau-Ponty, M. Foucauld, J. Derrida, G. Deleuze...

Passé le chapitre d’introduction, l’auteur décrit ce qu’il nomme les « traditions paysagères », à travers trois grands géographes, C. Sauer, W. G. Hoskins et J. Brinckerhoff Jackson. J. Wylie offre ainsi une très solide introduction à la géographie culturelle du paysage, avant d’aborder la dimension représentationnelle dans un chapitre intitulé « Manières de voir ». Par la mobilisation de différentes disciplines, histoire de l’art, sociologie, sémiotique, psychanalyse..., le paysage est considéré successivement en tant qu’œuvre, voile et texte. Dépassant certaines approches marxistes, pour lesquelles le paysage est un voile qu’il faut « soulever » pour découvrir la réalité, l’auteur privilégie l’attitude poststructuraliste abordant le paysage en tant que discours « ... pour filer la métaphore, l’intérêt du voile n’est plus sa

fonction, mais sa texture. » (Wylie, 2015, p. 117)

Le chapitre suivant renoue avec la question de la matérialité, mais dans une dimension phénoménologique. Si M. Merleau-Ponty est largement évoqué, J. Wylie se penche surtout sur les études des nouvelles pratiques contemporaines, sport, jardinage, performance culturelle...,

160 tout en signalant les limites de telles approches. Le dernier chapitre est prospectif : les géographies non représentationnelles et topologiques qui excluent la dimension sensible sont critiquées, et J. Wylie réaffirme l’intérêt pour la notion de paysage en citant les travaux de K. Olwig, qui abordent le paysage par les lois, coutumes et usages qui accompagnent l’occupation des territoires. Attentif à dépasser les significations culturelles ou l’assimilation à des scènes de théâtre, J. Wylie suggère une approche personnelle du paysage, par exemple en liant la description littéraire et l’expérience sensible, permise par la marche : « ... le paysage

pourrait être mieux décrit selon les matérialités et sensibilités entrelacées avec lesquelles nous agissons et ressentons. » (Wylie, 2015, p. 324)

2. 2. 9. Le paysage dans la « géographie sociale »

Le terme de géographie sociale est certes à utiliser avec prudence, car la plupart des travaux des géographes s’attachent déjà à prendre en compte les dimensions sociales de l’espace qu’ils étudient. Cependant, les travaux de G. Di Méo et de P. Buléon permettent de préciser les cadres méthodologiques permettant « une lecture géographique des sociétés ». Cette approche n’est ni l’étude des rapports sociaux, ni celle des rapports spatiaux, mais l’étude des rapports entre ces deux systèmes, une étude des rapports de rapports. « Au total, ce sont ces rapports de

rapports, sociaux et spatiaux, qui définissent une grande variété de combinaisons spatiales. Ces dernières, riches de leurs productions matérielles et paysagères, décrivent l’espace social dans sa forme générique comme dans ses déclinaisons plus singulières (les espaces sociaux), lieux et territoires. » (Di Méo, 2005, p. 4).

La problématique ainsi posée, le recul est pris au regard du paysage puisque l’objet étudié est l’espace social. Le paysage gagne une objectivité et devient même un outil de la géographie sociale, car il rassemble les signes d’appartenance que se donne une collectivité ou une communauté. G. Di Méo insiste sur les précautions à prendre, le paysage est l’empreinte de sociétés passées et, faisant référence aux analyses d’A. Berque, il souligne que le paysage ne permet pas une séparation de l’habitant-sujet et du paysage-objet. Néanmoins les paysages, et surtout les représentations qui en constituent l’une des dimensions essentielles, peuvent être abordés par l’analyse des rapports sociaux. « Mais les rapports des individus et des groupes

sociaux aux paysages ne sont pas une stricte affaire de géographie culturelle, c’est aussi fondamentalement, une question de géographie sociale… » (Buléon et Di Méo, 2005, p. 99).

L’auteur illustre son propos par deux exemples d’études récentes. La première184 concerne la

184 Etudes réalisées par A. Frémont et consacrées aux paysages imaginaires de la forêt d’Ecouves en Normandie

161 forêt d’Ecouves en Normandie, autour de trois groupes d’utilisateurs. Les chasseurs « Parisiens » y voient le lieu de la chasse à courre ; le chasseur local perçoit une futaie régulière propice au tir des sarcelles et canards, alors que l’ouvrier agricole y voit les broussailles et taillis qui abritent le petit gibier et la faune sauvage proches de son quotidien. Une deuxième étude185,

menée en région Lorraine sur les paysages ruraux, démontre que les résidents de longue date (les anciens) sont très sensibles aux transformations du paysage alors que les habitants récents (les nouveaux venus) sont eux plus attentifs aux signes qui indiquent la durée, la permanence.

« Au total, l’outil paysager se révèle d’une grande fécondité pour une approche de géographie sociale. (…), il nous autorise à mieux cerner les enjeux sociaux pesant sur les territoires. Il nous amène à mieux comprendre les rapports dialectiques qui unissent les faits de société et de culture.» (Buléon & Di Méo, 2005, p. 100). Dans le volet aménagement il est

utile aux pratiques de gouvernance, car il est concret, palpable par les habitants et constitue une entrée aux préoccupations relatives au cadre de vie.

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185 Etude menée en 1996 par trois chercheurs de l’INRA sur les campagnes lorraines (Benoît, Méjean, Vignon,

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