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* L’École de Versailles a mis en place une formation supplémentaire à Marseille avec les mêmes objectifs et pratiques pédagogiques qu’à Versailles, les étudiants sont recrutés par concours et 70 sont formés chaque année dans ces deux écoles.

* Le ministère de la Culture a créé deux formations de Paysagistes DPLG dans le cadre des écoles d’architecture de Bordeaux et de Lille, chacune formant 25 paysagistes chaque année.

* Le ministère de l’Agriculture a ouvert deux formations, à Angers en 1972 et à Blois89

en1993 dont la formation donne accès à un diplôme d’ingénieur-paysagiste.

* Deux autres formations sont dispensées à Lille dans le cadre de l’ISA90 relevant d’une

démarche d’apprentissage donnant droit au titre d’ingénieur ; à Paris l’école de l’art des jardins ESAJ, est une école privée permettant de recevoir le titre de paysagiste.

Toutes ces formations accordent, depuis 2015, un titre de paysagiste après trois années et l’obtention d’un master. Chaque année de 250 à 270 professionnels sont ainsi formés. Il faut aussi souligner que de nombreux paysagistes, qui exercent en France, suivent leur formation en Belgique à Gembloux ou en Suisse à Genève. Le législateur vient de décider, dans le cadre de la loi de 2016 sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, de protéger le titre de paysagiste-concepteur pour différencier ces professionnels des pépiniéristes, aménageurs de jardins ou entrepreneurs chargés de l’entretien des espaces verts qui s’attribuent aussi le titre de paysagiste. Ce bilan montre donc un ensemble complexe de formations différentes, parfois à dominante de connaissance botanique, parfois à dominante culturelle et attachées à des échelles de conception différentes : du jardin au territoire. Cette situation, ces compétences, ces organisations professionnelles, ces débats, retranscrivent parfaitement la situation de la notion de paysage qui couvre un champ allant de la matérialité du territoire à l’abstrait des représentations et du sens ; de l’entretien de la nature à un travail culturel pouvant se limiter à la production de sens, en passant par des mises en scène91.

89 L’ouverture de cet établissement a bénéficié du soutien de J. Lang qui a ainsi favorisé la réutilisation des

bâtiments de la chocolaterie Poulain. L’école de Blois publie en ligne la revue : Les cahiers de l’École de Blois et participe à « Projets de Paysage ».

90 ISA : Institut supérieur d’agriculture de Lille.

91 Le thème de la mise en scène de la forêt est développé par B. Boutefeu dans sa thèse de géographie. Compte

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1. 2. 4. Le projet de paysage

« L’espace sur lequel on m’a demandé d’intervenir m’intéresse moins que la manière dont il entretient des rapports avec les espaces autour de lui. J’appelle cela l’horizon : la manière dont chaque espace bascule dans l’espace d’à côté, qui lui-même bascule dans l’espace d’à côté, et de fil en aiguille atteint ce que l’on a appelé l’horizon. Ce dernier est pour moi le concept fédérateur du paysage » (M. Corajoud, entretien avec P. Madec, dans Techniques et Architecture, n 403, 1992, p. 62)

En abordant le travail du paysagiste par le projet, notre propos n’est pas d’exclure certains intervenants, autodidactes ou de formations dites techniques, mais de s’interroger sur les pratiques de conception, lorsqu’elles apportent des éléments nouveaux et ne se limitent pas à la reproduction de modèles ou de dispositions paysagères92, mais prennent en compte le site,

le lieu, les besoins, et les moyens… Analysant le travail du paysagiste, J.-M. Besse identifie trois axes de travail : le sol, le territoire et le milieu vivant.

* Le sol n’est pas une page blanche. Il est porteur d’histoires dont les traces sont encore sensibles mêmes si elles sont parfois effacées, il est un véritable palimpseste93. Le sol est aussi

le soubassement géomorphologique du paysage, mais ce sont surtout les traces de l’histoire que le paysagiste doit évaluer, conserver, valoriser, hiérarchiser. Cette attitude est différente de la démarche des paysagistes qui accompagnaient la réalisation des grands ensembles et qui tentaient de reconstituer des environnements « pseudo naturels » entre les immeubles.

* Abordant la question du territoire, J.-M. Besse suggère qu’il s’agit d’un « retour de la Géographie » (Besse, 2009, p. 61). Les paysagistes ont appris à travailler à différentes échelles, à aborder les liens entre les villes et les territoires ruraux associés. Les propositions d’aménagement d’un lieu dépassent les limites physiques de celui-ci et s’interrogent non seulement sur l’apport des vues sur les extérieurs, mais aussi sur les liens physiques ou relevant d’aspects socioculturels.

92 Il ne s’agit pas de nier l’importance du rôle des professionnels qui ont acquis des savoir-faire qui répondent à

des attentes sociales, mais bien plus de nous interroger sur l’aptitude et les méthodes permettant d’apporter des réponses pertinentes au regard du site.

93 Dans le cadre de nos travaux sur le terrain, nous avons été souvent confrontés à des personnes regardant un lieu

et racontant avec émotion leurs pratiques passées, leur ancien cadre de vie, alors que toutes les traces matérielles avaient disparu.

77 * La troisième dimension est celle du vivant, de la rencontre de la ville et de la nature, car il n’y plus d’opposition radicale entre le minéral représenté par l’urbain et le végétal de la nature qui entoure ces espaces. La pensée paysagiste fait rencontrer les deux univers, l’approche environnementale vise la qualité de l’air et de l’eau, lutte contre les ilots de chaleur et développe la biodiversité que les palettes végétales peuvent enrichir (Bourdeau-Lepage, 2017)

Ces trois dimensions précisent le cadre, voire l’éthique, dans lequel les projets paysagers s’engagent : « Il est possible que le projet de paysage soit la mise en œuvre de cette sorte de

jurisprudence, qui se soucie pour agir dans l’espace urbain, des particularités du site, du territoire et du milieu naturel. La pensée du paysage pour le paysagiste est une pensée du possible. Plus précisément, elle est la recherche des possibles contenus dans le réel » (Besse,

2009, p. 63). Cette pratique du projet paysager semble naître de la critique du grand ensemble qui, pendant un quart de siècle, fut la mise en œuvre brutale sur une « zone » géométrique, de réponses aux simples besoins quantifiables de logements, pour résoudre la question des taudis et répondre au baby-boom de l’après-guerre.

Le projet de paysage tient aussi au savoir-faire, à l’expérience et aux valeurs du professionnel. S. Keravel, docteur en géographie, paysagiste dplg (diplômé par le gouvernement) et maitre de conférences en théorie et pratique du projet à l’École Supérieure du Paysage de Versailles, a publié en septembre 2015 un ouvrage qui décrit les processus de conception de divers projets d’aménagement. Cet ouvrage intitulé : Passeurs de Paysages a pour sous-titre Le projet de paysage comme art relationnel, et se propose d’observer le travail de paysagiste comme celui d’un « passeur », d’un auteur, d’un artiste, d’un artisan dont l’œuvre

« s’étend au-delà de sa matérialité et devient un élément reliant. (…). L’art du paysagiste, en effet est un art de passeur, passeur qui doit à la fois savoir saisir un site, le rencontrer, et s’en dessaisir, le transmettre » (Keravel, 2015, p. 12). L’auteur a pu s’entretenir avec les principaux

paysagistes contemporains, M. Corajoud, J. Sgard, M. Vexlard, B. Lassus, G. Clément, non seulement sur « leurs doctrines », mais aussi sur les choix, les décisions prises, les démarches adoptées. Ce travail s’accompagne d’une importante collecte de documents graphiques, non seulement pour illustrer la réalisation, mais aussi les étapes du travail de conception. Trois grandes catégories de projets, d’approches de paysages sont identifiées : les “passeurs de paysage à lire’’, les “passeurs de paysage à vivre’’ et les “passeurs de paysages à déployer’’.

* Lorsque les paysages sont donnés à lire, le paysagiste prend contact avec le site en racontant une histoire qu’il va retranscrire, inscrire sur le site, pour que le promeneur puisse retrouver cette histoire et ainsi accéder à une connaissance du site. Pour illustrer cette démarche, S. Keravel prend l’exemple du travail de B. Lassus, dans le « Jardin du Retour » à la corderie

78 royale de Rochefort. Les aménagements, simple création de vues ou apport d’éléments, végétaux ou mobiliers, rappellent l’histoire du site, son passé industriel, son lien avec la ville, les végétaux importés, les friches et l’abandon du site… Le promeneur ne reconstitue pas forcément la totalité de l’histoire du site, mais certains éléments lui permettent de « rentrer dans le site ». Le jardin atlantique sur la dalle Montparnasse de l’Agence Parage, ou le sentier du Puy-de-la-Croix où le paysagiste A. Freynet propose un conte pour structurer son travail sont deux autres illustrations de cette démarche.

* La deuxième catégorie de projets est à l’opposé de projets qui construisent des histoires et donnent à les lire. Elle laisse la plus grande liberté aux phénomènes naturels, à une dimension vernaculaire, les promeneurs pratiquent le site et sont libres de leur interprétation, de l’exercice de leur sensibilité, dans ces paysages à vivre. L’aménagement des usoirs94 dans

un village de Picardie par l’agence « À ciel ouvert » est particulièrement exemplaire par l’utilisation de dispositifs, fossés ou rigoles, et de végétaux déjà utilisés dans le village. L’équipe est attentive à éviter toute intervention qui rappellerait un milieu urbain et elle utilise les moyens et solutions existants sur le site. Après la description d’un projet de G. Chauvel mené avec les étudiants de l’École Supérieure du Paysage de Versailles, S. Keravel détaille le projet de G. Clément pour le parc Henri Matisse de Lille. La réalisation est poussée à l’extrême puisqu’un lieu surélevé, inaccessible au public, laisse le végétal totalement libre de se développer, permettant au processus naturel de se déployer complètement. « Cette démarche

(…) induit un rapport très libre entre le public et le site (…) le projet (…) reste ouvert et disponible à toute interprétation. Il permet l’existence de plusieurs lectures du lieu, plusieurs points de vue » (Keravel, 2015, p. 93)

* Troisième attitude identifiée, celle du “Passeur de paysage à déployer’’ ; c’est une attitude intermédiaire dans laquelle le concepteur offre quelques pistes, quelques voies d’interprétation, mais sans message formalisé, laissant des vides voire créant des manques pour suggérer l’investissement personnel. Au Museumpark de Rotterdam, Y. Brunier propose un itinéraire basé sur une « exacerbation » des caractères du lieu incitant le promeneur à porter un regard plus large ou plus précis sur le site. G. Descombes et C. Mosbach réalisent des aménagements dans lesquels des manques, des blancs, des traces dépourvues de signification préétablie permettent à l’imaginaire de se déployer. « C’est une subtile tension entre signe et

non-signe, entre vide et plein. En proposant une amorce, un début de récit, cette approche ne laisse pas le visiteur totalement démuni, mais l’invite à prendre part au projet grâce à l’appel

94 Le terme « usoirs » est traditionnellement utilisé en Lorraine pour désigner la bande de terrain située entre les

façades et la chaussée. Son utilisation est régie par le code des usages locaux, parfois mis en forme par les chambres d’agriculture départementales, par exemple dans le département de la Moselle.

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offert par les vides du récit ; y prendre part à la fois mentalement, le badaud déploie le récit par son imaginaire, et physiquement » (Keravel 2015, p.127).

Ce travail de S. Keravel constitue une analyse fine des intentions, des pratiques, des savoir-faire et des connaissances mobilisées par les paysagistes contemporains. Leur travail dépasse non seulement la mise en forme, la disposition et le choix de végétaux et leurs projets ont des contenus culturels forts, portés par une éthique respectueuse des promeneurs ou simples passants. Les aménagements permettent un investissement dans le site et laissent, suivant les démarches, des espaces de liberté pour que chacun puisse accéder aux sites, aux paysages et au monde. Il ne s’agit plus d’offrir un spectacle ou un tableau à admirer, mais d’un itinéraire pour accéder à une connaissance. Les catégories proposées par Sonia Keravel ont l’avantage de caractériser les pratiques. Mais elles sont surtout des marqueurs sur une échelle qui situe les projets de paysage selon les modalités qu’ils offrent pour accéder au site et au milieu.

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Le terme de construction des paysages ne désigne pas un processus totalement maitrisé, même si depuis quelques années une profession de paysagiste se structure. Le paysage est le fruit des multiples décisions par lesquelles des communautés, s’appuyant plus ou moins sur les conditions naturelles, habitent la terre. Le paysagiste intervient sur cette matérialité pour permettre à l’habitant de mieux accéder au site par une approche sensible à travers des récits et des actes matériels qui donnent ainsi, du sens au lieu. Par son travail, le paysagiste révèle une tension entre les éléments matériels existants, confirme, restaure ou donne du caractère aux lieux.

Les environnements urbains récents construits dans l’urgence, ont très souvent détruit les liens des hommes avec la nature et l’environnement naturel ; les transports ont réduit les échanges entre le corps et le lieu. Les hommes sont mis en situation de consommateur d’images et de spectacles, négligeant la matérialité et le rapport au monde. Au regard de cette situation, l’émergence d’une profession s’efforçant de reconstruire les liens avec le paysage est peut-être, pour partie, une forme de compensation. Les formations, comme dans beaucoup d’autres domaines du cadre de vie, sauf sans doute pour les architectes, se mettent en place dans le milieu du XIXème, époque durant laquelle l’importance accordée à la connaissance du végétal

s’accompagne d’une formation à l’architecture et à l’art des jardins. Cette formation précède celle des urbanistes qui date en France des années 1910. Les principaux paysagistes, É. André, J.-Cl. N. Forestier, É. Redon, J. Vacherot, sont étroitement associés jusque dans les années

80 trente à ce nouveau métier, l’urbaniste. Mais entre les deux-guerres, les architectes et urbanistes s’appuient sur les idées du mouvement moderne et prennent leurs distances avec ces pratiques paysagères, qui tombent peu à peu en désuétude. Les professionnels du paysage se limitent alors à des travaux sur les parcs jardins ou les espaces verts, et participent peu au débat général sur le paysage et l’aménagement. Dans les années 1970 un renouveau de la pensée du paysage se fait jour avec une approche globale95 qui conduit à une nouvelle formation à l’École de

Versailles et au titre de Paysagiste-concepteur. Pour porter celui-ci : « il faut avoir suivi une

formation spécifique de caractère culturel, scientifique et technique »96. Il est à noter que

l’aspect culturel est mis en premier dans la loi de 2016. Mais la diversité des formations traduit bien la variété des approches du paysage et les compétitions entre écoles et ministères, mais souligne aussi une ouverture considérables des pratiques en matière de paysage.

95 Un article de G. Bertrand : « Paysage et géographie physique globale » publié en 1968 dans la Revue

géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest a sans doute relancé le questionnement autour du paysage.

96 Article 174 de la loi du 8 aout 2016 : « Seuls peuvent utiliser le titre “paysagistes concepteurs”, dans le cadre de

leur exercice professionnel, les personnes titulaires d’un diplôme, délivré par un établissement de formation agréé dans des conditions fixées par voie réglementaire, sanctionnant une formation spécifique de caractère culturel, scientifique et technique à la conception paysagère. Pour bénéficier de ce titre, les praticiens en exercice à la date de publication de la présente loi doivent satisfaire à des conditions de formation ou d'expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa

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