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S’inscrivant dans le prolongement des travaux antérieurs, certains géographes approfondissent le travail monographique, étudient la structure et l’organisation de la ville. Proches de l’école de Chicago, ils développent une connaissance plus intime des quartiers, des aspects sociaux et des croissances urbaines. Dans un article de 2013, M. Favory décrit : « la

grande leçon de géographie urbaine de Pierre Barrère ». Ce géographe a marqué la géographie

urbaine des années 1950-1970. Particulièrement attaché à la ville de Bordeaux, il réalise des études dans la tradition de J. Bruhnes, mais explicite ses méthodes, leur conférant ainsi un rôle dans la constitution d’un savoir géographique de la ville. Dès ses premiers travaux dans les années 1950, il envisage les rapports de la ville avec sa périphérie. Son travail n’est pas celui d’un géographe aménageur apportant des justifications à des décisions, mais il s’attache à la production de connaissances à partir de la ville elle-même, de son histoire, de son site. Il renoue assez vite avec l’approche paysagère pour étudier des périphéries urbaines, espaces ruraux sous fortes influences urbaines. Le paysage girondin autour de Bordeaux est publié en 1950 et s’attache à décrire les lieux de maraichages dont les productions contribuent à l’alimentation de la population de la ville. Quelques années plus tard, il poursuit cette analyse de la périphérie

vérifier et valider le travail effectué au sein des services du ministère. Ainsi, les villes ne disposaient pas de services d’urbanisme propres et étaient le plus souventsimplement informées des projets. Les décisions se prenaient in fine dans un cadre politique et redescendaient ensuite sur le terrain. La ville en tant que telle n’était pas partie prenante des grandes infrastructures la concernant.

192 Exemple de Metz où le maire de l’époque R. Mondon, ministre de l’Équipement, fait passer l’infrastructure en

centre-ville, alors qu’à Nancy, le ministère impose à la ville l’obligation de créer, à partir du contournement, des arrivées de l’autoroute jusqu’au centre. La situation nancéienne sera détaillée dans la troisième partie.

169 en interrogeant les déplacements et leurs significations sociales. Parallèlement, il travaille sur les quartiers de Bordeaux et développe des analyses basées sur des descriptions comparatives. Ce travail de comparaison est une des bases méthodologiques qui lui permettent de développer une problématique du logement en centre-ville, du collectif social ou des ensembles résidentiels privés. « Persuadés que les urbanistes, les élus et les services techniques des agglomérations

devaient fonder leur pratique sur le savoir géographique, il contribua fortement aux relations qui se sont nouées entre les pouvoirs territoriaux urbains et les géographes bordelais »

(Favory., 2013). Ainsi, ce militant du savoir local utile, valorise l’analyse urbaine fondée sur un travail de terrain, et sur l’observation pour retrouver les conditions d’émergence de ces formes urbaines et les comparer.

P. Barrère représente parfaitement ces géographes cliniciens des morphologies urbaines, pour qui le paysage est un moyen d’accéder à la connaissance des processus à l’œuvre. Cependant, le paysage n’est pas reconnu comme ayant un effet et un impact sur les comportements urbains tant des habitants que des responsables. M. Favory décrit ainsi la méthode du géographe : « L’espace y est abordé par le terrain en se fondant sur les données

quantitatives disponibles (…) Puis le paysage dans ses volumes immobiliers, allant des échoppes et des cités ouvrières, aux lotissements et aux premiers grands ensembles. Mais aussi en différenciant les densités entre l’habitat massé du centre et du péricentre, et celui plus dissocié des banlieues proches » (Favory, 2013). L’approche visible parait accompagner, sinon

compenser, un manque d’information ; elle travaille par typologie et cette approche du paysage parait fortement liée à une intervention professionnelle en direction des décideurs urbains plus qu’en direction des habitants eux-mêmes. Le travail de P. Barrère est représentatif de la mise en place des agences d’urbanisme, outils plus proches des communes et des villes, mais dans lesquels l’État reste présent.

2. 3. 3. La ville éclatée et la géographie ouverte

Dans les années 1980, la relance de la décentralisation donne en principe la responsabilité de l’urbanisme aux collectivités. Mais cette décentralisation reste assez formelle, car l’État reste très présent. Il continue à maitriser les financements du logement, en définissant les règles d’attribution et les montants accordés. Les éventuelles délégations ont surtout pour objet de renforcer les moyens de l’État par des contributions des collectivités locales. Mais surtout, les principes et les règles d’aménagement sont encadrés et l’État reste présent à travers la notion de « patrimoine commun de la nation » (article 110 du Code de l’Urbanisme). Au regard de cet éclatement des responsabilités, l’urbanisation se généralise sur les territoires

170 dynamiques ; les surfaces urbanisées sont multipliées par dix en quelques années, les limites entre la ville et la campagne sont totalement effacées. C’est dans ce cadre que la discipline géographique s’engage dans le tournant signalé dans le chapitre précédent. La géographie urbaine, avec ses méthodes et son histoire, est éclatée entre les géographies culturelle, sociale, historique, écologique, elle ne semble pas pour autant disparaitre complètement, mais il faut attendre les années 2000-2010 pour qu’elle se reconstruise avec des bases beaucoup plus larges, et les ouvrages récents paraissent indiquer une stabilité retrouvée193.