• Aucun résultat trouvé

1.1. L ’Afrique sur le devant de la scène de la monnaie mobile

1.3.3. Une monnaie concurrente, captive et lucrative

Pour utiliser la monnaie mobile, les utilisateurs convertissent la monnaie nationale conventionnelle en monnaie mobile, celle-ci prenant alors la place de la première dans la circulation. À mesure que les personnes adoptent un service de monnaie mobile, et que les débouchés ouverts à la monnaie mobile se diversifient, elle tend donc à remplacer la monnaie nationale conventionnelle. Les deux formes sont convertibles entre elles, leur commensurabilité est totale (elles partagent la même unité de compte) et leurs sphères d’usage coïncident (elles peuvent toutes deux servir en paiement de l’ensemble des biens et services) : elles entretiennent donc une relation de substituabilité, qui implique la concurrence (Blanc 2016). La monnaie mobile est concurrente de la monnaie nationale conventionnelle.

Les opérations conduites via monnaie mobile peuvent être distinguées entre les « transactions entrantes » et les « transactions sortantes » (voir Figure 7, p.88). Il y a effectivement un intérieur et un extérieur aux systèmes de monnaie mobile, et l’objectif pour leurs opérateurs est de faire en sorte que la monnaie « reste à l’intérieur ». Mbiti et Weil (2011, p. 22), faisant référence au « cash loop» d’Irving ‑isher, définissent la «

97 ‑onds d’investissement philanthropique créé par le fondateur de l’entreprise eBay, Pierre Omidyar. 98 « scholars should be at the forefront of responsible skepticism in the face of widespread boosterism. »

102

money loop » comme le nombre de transactions qu’une unité de monnaie mobile réalise avant de revenir à un agent et d’être reconvertie. Ils l’expriment avec la formule suivante :

� � = é ô +×

Il s’agit donc pour les opérateurs de monnaie mobile d’accroître cette longueur. D’abord en encourageant les utilisateurs à la faire circuler sous cette forme : il faut pour cela en multiplier les possibilités d’usage, pour que d’un simple outil de transfert, la monnaie mobile devienne un moyen de paiement à part entière et universel. Ensuite en en décourageant la reconversion. Alors que la « conversion entrante » (de la monnaie nationale conventionnelle en monnaie mobile) est gratuite, la « conversion sortante » est par contre payante pour l’utilisateur (pour le détail des tarifs de M-Pesa, voir Annexe 4, p. 391). Les individus sont non seulement incités à rejoindre le dispositif (le plus coûteux étant de recevoir un transfert sans être client99), mais ils sont aussi incités à conserver la monnaie mobile sous cette forme par la structure des commissions. La monnaie mobile est donc également une monnaie captive.

Si la monnaie mobile est concurrente de la monnaie nationale conventionnelle, notons que le caractère captif de la monnaie mobile fait qu’elle est en partie protégée de la concurrence réciproque de la monnaie nationale conventionnelle. D’autant que la monnaie mobile ouvre – via les transferts qu’elle permet – de nouvelles possibilités : il y a donc également supplémentarité qualitative (Blanc 2016), qui renforce la captivité et la concurrence.

Si les opérateurs téléphoniques entretiennent le caractère captif et concurrentiel de leurs monnaies, c’est enfin – et surtout – car ce sont également des monnaies lucratives : « Le type monnaie lucrative renvoie à une monnaie émise en vue du bénéfice procuré à l’organisation émettrice par son émission et sa gestion. » (Blanc 2013, p. 259). Les services de monnaie mobile constituent un relais de croissance important des opérateurs téléphoniques, qui en tirent des revenus substantiels : Safaricom tire dorénavant 27 % des revenus de M-Pesa (Safaricom 2017). Les opérateurs tirent aussi des bénéfices indirects de leurs services de monnaie mobile, qui permettent de réduire le taux d’attrition de leur clientèle, davantage fidélisée, et de réaliser des économies sur la

99 L’envoi de monnaie mobile est possible vers n’importe quel numéro. Si le destinataire n’est pas utilisateur du service, il reçoit un code lui permettant de retirer auprès d’un agent la somme envoyée (moins la commission).

103

distribution de leurs services traditionnels en faisant de la vente croisée (acheter du crédit téléphonique via la monnaie mobile notamment).

Prenons un exemple pour illustrer la lucrativité d’un système de monnaie mobile, celui d’un utilisateur réalisant un transfert. Le schéma suivant représente les flux qui lui sont associés. Les flèches en traits pleins représentent les flux de monnaie nationale conventionnelle (KES) et les flèches en traits pointillés ceux de monnaie mobile (m-KES). L’utilisateur A, qui souhaite envoyer 700 KES à B, convertit cette somme en monnaie mobile (ce qui est gratuit). L’agent de monnaie mobile auquel il s’est adressé gagne quant à lui une commission (qu’il prélève sur ce qu’il reverse à l’opérateur Safaricom). Une fois son compte de monnaie mobile crédité, l’utilisateur A procède au transfert, auquel sont associés des frais (déduits de la somme envoyée100). L’utilisateur B, souhaitant reconvertir la somme reçue, s’adresse à un autre agent qui gagne également une commission.

Figure 8: Flux monétaires dans le cas d’un transfert via M-Pesa

Source : auteur, sur la base des tarifs en vigueur

À l’issue du transfert, les utilisateurs ont payé des frais (respectivement 15 KES et 28 K‐S pour l’expéditeur et le destinataire), les agents ont gagné des commissions (9 K‐S chacun), et l’opérateur a réalisé un bénéfice de 25 KES.

100 Ici pour simplifier, car les frais sont déduits du solde du compte (ils s’ajoutent à la somme envoyée). Mais une partie des utilisateurs anticipe les frais et les déduit de la somme qu’ils souhaitent envoyer, ce qui équivaut à la situation présentée ici.

104

Passons maintenant au second type d’innovation monétaire : celui des monnaies locales. On passe avec elles de monnaies dématérialisées, électroniques, à des monnaies « low-tech » puisque celles-ci prennent la forme de simples billets papier.

Documents relatifs