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économie du développement

1.2.1. Le pluralisme de la première économie du développement

matière monétaire, et nous verrons en particulier quel rôle elles donnent aux institutions monétaires et/ou financières.

1.2.1. Le pluralisme de la première économie du développement

La première période de l’économie du développement, celle de l’après-guerre, peut être qualifiée de période « développementaliste », car durant celle-ci et à la suite des indépendances étaient portés des projets de développement volontaristes, marqués par la planification et l’interventionnisme. Les pionniers ont développé des schémas de développement en considérant que les préconditions à la croissance n’étaient pas automatiquement présentes partout, mais qu’elles pouvaient devoir être mises en place grâce à l’intervention publique et l’assistance étrangère. La pensée développementaliste s’est donc construite dans ce cadre, et face à des problématiques de développement propres à des contextes économiques, sociaux, et politiques spécifiques :

« L'économie du développement n'a pas surgi sous la forme d'une discipline théorique constituée. Elle a été façonnée comme une matière empirique, afin de répondre aux besoins des responsables de la politique économique, qui devaient conseiller les

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gouvernements sur ce qui pouvait et devait être fait pour permettre à leurs pays de sortir d'une pauvreté chronique. » (Meier 1988, p. 4)

Dans sa période de formation, la pensée du développement ne s’inscrit pas dans une orthodoxie particulière, au contraire elle fait sa propre synthèse des éléments classiques et des éléments keynésiens. Sur certains aspects, elle se construit en opposition à l'orthodoxie officielle, car « le formalisme universel doit céder la place à des analyses plus proches des conditions réelles des économies en développement, de leurs normes, de leurs valeurs et de leurs règles » (Hugon 1989, p. 42). Cette synthèse est encouragée par l’influence de la pensée keynésienne, qui permet alors la construction d’approches à proprement parler monétaires : elles reconnaissent le rôle particulier que doivent jouer les institutions financières, qui sont alors également vues comme des institutions monétaires. Cette période est par ailleurs marquée par les apports de l’approche structuraliste, qui sera à l’origine de nombreux débats dans le champ de l’économie du développement.

1.2.1.1. Des approches monétaires reconnaissant le rôle des

institutions financières

Le cadre keynésien, celui d’économies monétaires de production, permet une réelle prise en compte de la monnaie et du rôle qu’elle doit jouer dans le développement. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les approches de Schumpeter ou de Lewis, présentées dans la section précédente. Il leur permet de mettre l’accent sur le rôle du banquier comme agent devant jouer un rôle actif dans le processus de développement, les financements qu’il autorise – et le surplus de monnaie qui leur est inhérent – permettant le processus de développement. Ainsi dans cette première période :

« Le développement suppose une politique de bas taux d'intérêt, d'offre de monnaie abondante, de capitaux extérieurs et d'investissements publics. La monnaie active et la banque jouent un rôle central pour assurer le compromis entre les besoins immédiats de liquidité des agents et le pari sur l'avenir que constitue l'investissement à long terme. » (Ibid., p. 43)

Du point de vue des théories de la banque et de la finance, la pensée se place dans ce que Werner (2014) qualifie de théorie bancaire de la création de crédit (credit creation theory of banking), selon laquelle « chaque banque est considérée comme créant du crédit et de la monnaie ex nihilo, à chaque fois qu’elle exécute des contrats de prêt bancaire ou achète des actifs. Les banques n'ont donc pas besoin de commencer par collecter des dépôts ou des réserves pour prêter. Du fait que le prêt bancaire est considéré comme

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créant de nouveaux crédits et des dépôts monétaires, une augmentation des soldes totaux survient sans une diminution proportionnelle autre part. »31 (Werner 2016, p. 366). En évaluant l’importance historique de la théorie bancaire de la création de crédit, Werner note qu’elle fut influente jusqu’après-guerre. C’est effectivement à la suite de cette période qu’elle sera remplacée, et que l’importance placée sur le rôle de la monnaie et du crédit va décroître, avec des conséquences pour le champ du développement que nous décrivons dans ce qui suit.

‐n restant pour l’instant dans cette première période développementaliste, il nous faut relever l’influence d’une école de pensée particulière : celle de l’approche structuraliste.

1.2.1.2. L’influence de l’approche structuraliste

L’approche structuraliste est étroitement associée à la Commission Économique pour l'Amérique Latine, la CEPAL, une commission régionale de l’Organisation des Nations Unies dont les travaux mèneront à la formation durant les années 1950 d’une école de pensée spécifique. Elle est plus étroitement associée au nom de son chef de file : Raúl Prebisch, qui fut à la tête de la CEPAL de 1950 à 1963 et qui sera surnommé « le Keynes latino-américain » (Berr et Bresser Pereira 2018), ainsi qu’à celui de Celso Furtado, qui rejoint la CEPAL en 1949 et deviendra ministre de la planification au sein du gouvernement brésilien en 1962.

L’école structuraliste avance que les économies dites périphériques doivent être comprises dans leurs rapports avec ce qui est qualifié de centre : il faut une « compréhension du développement et du sous-développement comme des processus liés, mutuellement constitutifs au sein d’un système économique mondial intégré »32 (Blankenburg, Palma et Tregenna 2008). Le structuralisme adopte donc une approche systémique du sous-développement, dont il s’agit de révéler les structures et les mécanismes sous-jacents. Au cœur de l’approche structuraliste se trouve la théorie de la domination développée par François Perroux (1961) (qui influença les travaux de Furtado). Dans ce cadre, « plutôt que d'être constitué par des relations entre des agents

31 « each bank is said to create credit and money out of nothingwhenever it executes bank loan contracts or purchases assets. So banks do not need to firstgather deposits or reserves to lend. Since bank lending is said to create newcredit and depositmoney, an increase in total balances takes place without a commensurate decrease elsewhere. »

32 « understanding of development and underdevelopment as related, mutually constitutive processes within an integrated world economic system. »

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égaux, le monde économique est conceptualisé en termes de relations cachées ou explicites de "force", de "pouvoir" et de "contraintes" entre des entités dominantes et dominées »33 (Blankenburg, Palma et Tregenna 2008). L’approche structuraliste s’oppose donc aux économistes néoclassiques qui considèrent que les mécanismes de prix de marché suffisent à assurer la marche vers le développement, en mettant en avant l’existence d’un certain nombre de rigidités qui peuvent au contraire s’opposer à sa réalisation. Les analyses de la CEPAL mettent notamment en avant les contraintes qui pèsent sur la croissance des économies du fait des taux de change et la dépréciation des termes de l’échange. Un rôle important est donné à l’industrialisation pour le développement des économies périphériques, et la principale recommandation de politique économique est la mise en œuvre de stratégies d’industrialisation par substitution aux importations (ISI). Aux approches structuralistes succèderont dans les années 1970 les approches néomarxistes des économistes « tiers-mondistes » tels que Arghiri Emmanuel (1972), ou Samir Amin (1976).

Sur les questions monétaires, les structuralistes s’opposent notamment aux monétaristes à propos des causes de l’inflation qui se manifeste alors dans plusieurs pays d’Amérique latine. Pour les structuralistes, l’inflation est étroitement associée à la croissance économique : ils s’opposent par là à l’approche du ‑MI et à ses plans de stabilisation basés sur l’approche monétaire de la balance des paiements. L’inflation ne serait pour eux pas causée par une demande globale excédentaire, mais par des changements structurels qui accompagnent le processus d’industrialisation (Boianovsky 2012). Il ne sert donc à rien de restreindre l’émission de monnaie, qui n’est pas la cause de l’inflation, et qui n’aura pour seule conséquence que de brider la croissance.

Les approches de la période développementaliste faisaient donc une place importante à la monnaie et au crédit. Mais l’influence keynésienne qui soutenait ces approches sera remise en cause avec la contre-révolution libérale et la difficulté des prescriptions keynésiennes à répondre aux problématiques nouvelles : stagflation dans les pays développés, crises de la dette dans les pays en développement.

33 « rather than being constituted by relationships between equal agents, the economic world is conceptualized in terms of hidden or explicit relationships of ‘force’, ‘power’ and ‘constraints’ between dominant and dominated entities. »

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1.2.2. La « nouvelle économie du développement »

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