• Aucun résultat trouvé

inspirée de l’ethnographie économique

2.3. Modalités de collecte et de traitement des données utilisées

2.3.2. Les méthodes de collecte utilisées

Sont présentées ici les principales méthodes de collecte de données ayant été utilisées. Au-delà des modalités formelles des méthodes, il faut aussi en analyser l’influence qu’elles peuvent avoir sur les données collectées. En effet, « les données d’enquête ne sont pas analysables en dehors de leur contexte de production » (Weber et Beaud 2012, p. 17). Il s’agit donc pour le chercheur de porter un regard distancié sur sa démarche : « L’enquêteur ne peut pas se faire oublier, il ne doit donc pas s’oublier dans l’analyse. » (Ibid., p. 31).

2.3.2.1. Entretiens semi-directifs

L’entretien semi-directif a été la principale méthode utilisée durant le premier terrain. Lors de celui-ci, j’ai cherché à rencontrer le plus grand nombre possible de personnes qui étaient ou avaient été utilisatrices de la monnaie locale Bangla-Pesa (et qui sont donc des microentrepreneurs de l’économie locale). Les entretiens semi-directifs avaient pour objectif de documenter le vécu et le ressenti de chacun vis-à-vis de la monnaie locale. Le guide d’entretien utilisé à cette fin est disponible en Annexe 9 (p. 396). D’autres données secondaires étaient également collectées, telles que les caractéristiques de la microentreprise (activité, taille, structure) et les caractéristiques sociodémographiques de la personne enquêtée. À partir du guide d’entretien, la discussion qui s’initie laisse toute latitude à la personne enquêtée d’ajouter tout élément qu’elle juge pertinent. Tous les détails soulevés par la personne enquêtée et qui étaient

160

d’intérêt pour l’enquête ont été creusés avec elle, et toutes les précisions nécessaires à la compréhension de son propos ont été demandées.

Les critiques formulées à l’entretien semi-directif se concrétisent notamment sur le fait qu’il ne permettrait pas la production d’informations fiables : les informateurs peuvent mentir, affabuler, omettre, oublier. Ces comportements seront d’autant plus probables que l’asymétrie de connaissance est forte entre l’enquêteur et l’enquêté. L’illusion biographique rendrait quant à elle les acteurs incapables de produire rétrospectivement des données factuelles fiables sur ce qu’ils ont fait et ce à quoi ils ont participé sans se donner le beau rôle.

En réponse à ces critiques, il faut avant tout reconnaître – et apprécier – la sincérité de la plupart des personnes lorsqu’elles sont interrogées. L’entretien leur donne souvent l’occasion d’exprimer des choses qu’elles souhaitaient partager sans forcément en avoir eu l’occasion ou la possibilité. C’est ensuite le recoupement des entretiens qui permet de déjouer les éventuelles stratégies des répondants. Mais les entretiens n’ont de toute façon pas vocation à identifier une vérité unique :

« l’objectif du chercheur n’est pas – tout du moins dans une première phase de l’enquête – de rechercher la vérité des pratiques et représentations, de chercher à savoir si les acteurs disent la vérité ou pas, mais de comprendre pourquoi ce qu’ils disent est leur vérité » (Pinson et Sala Pala 2007, p. 584).

Il faut alors dans ce cas parler d’entretiens compréhensifs (Kaufmann 2011). Leur analyse ne dissocie pas les discours des personnes desquelles ils émanent, pas plus qu’elle ne cherche à les agréger :

« Il ne s’agit donc plus de « recouper » ou de « vérifier » des informations pour arriver à une « version véridique », mais bien de rechercher des discours contrastés, de faire de l’hétérogénéité des propos un objet d’étude, de s’appuyer sur les variations plutôt que de vouloir les gommer ou les aplatir, en un mot de bâtir une stratégie de recherche sur la quête de différences significatives. » (Olivier de Sardan 1995, p. 14)

Pour tout type d’enquête par entretien, il est enfin nécessaire de passer la relation d’enquête au crible d’une analyse sociologique de façon à comprendre les effets de la distance sociale qui existe nécessairement entre enquêteur et enquêté (Mayer 1995). L’entretien est en lui-même une relation sociale – et non une simple technique : s’y joue une interaction entre deux personnes socialement situées par rapport au monde et par rapport à l’autre. Dans le cas présent, il m’a fallu prêter une attention particulière aux

161

perceptions que pouvaient avoir de moi les personnes enquêtées, le mzungu (le blanc) étant en général associé à l’industrie de l’aide : il est ainsi en charge soit de distribuer quelque chose, soit d’évaluer l’effet de ce qui a déjà été distribué (et donc de décider de ce qui sera distribué dans le futur). J’ai donc cherché à ce que ma démarche de recherche soit la mieux comprise par tous, en me faisant connaître en tant que chercheur universitaire, indépendant de toute organisation, et en expliquant à tous ma démarche et mes questions de recherche.

Les informations collectées via les entretiens ont été consignées par écrit au cours des entretiens. Les entretiens conduits avec les personnes-ressources ont quant à eux été intégralement retranscrits. Le matériau formé de mes notes ou des retranscriptions a été étiqueté et codé à l’aide du logiciel ATLAS.ti pour en permettre l’analyse tant qualitative que quantitative.

2.3.2.2. Questionnaire statistique

L’enquête par questionnaire a été la deuxième méthode la plus importante de ma démarche d’enquête. ‐lle n’a été utilisée que lors de mon second terrain mais en a occupé la majeure partie. Le questionnaire qui a été construit avait pour objectif de documenter les pratiques financières et monétaires des populations étudiées. Plus précisément de vérifier la concordance – suivant notre démarche abductive – entre pratiques attendues et pratiques effectives, ainsi qu’entre impacts attendus et impacts effectifs des innovations monétaires, et de documenter l’usage des différents outils monétaires et financiers. Le questionnaire complet est consultable en Annexe 10 (p. 396). À noter qu’il s’agit du rendu papier du questionnaire, qui n’a pas été utilisé comme tel sur le terrain : lui a été préféré un format électronique permettant la passation du questionnaire et la collecte des réponses via smartphones.159

Pour la construction du questionnaire, des éléments ont été repris du FinAccess Household Survey (FSD Kenya 2016) dans le but d’augmenter la comparabilité des

159 Le questionnaire a été codé pour être administré via l’application Open Data Kit. Cela permet d’abord de rendre le questionnaire dynamique : les questions sont conditionnées aux réponses précédentes, et ne sont donc posées que les questions pertinentes vis-à-vis de la personne enquêtée. Cela facilite le travail de l’enquêteur, réduit le risque d’erreur lors de l’administration du questionnaire, et réduit le temps nécessaire à sa passation, ce qui permet une plus grande adhésion des personnes enquêtées jusqu’au bout du questionnaire. L’usage d’une telle application permet également la centralisation des données collectées sur un serveur dédié : les données sont sauvegardées en temps réel et le risque d’erreur lors de l’opération de saisie des données est neutralisé puisque cette opération n’est plus nécessaire.

162

données collectées. Il a été administré à un échantillon représentatif160 de la population de la localité, cette fois indépendamment de l’appartenance des personnes au réseau de la monnaie locale. En amont, plusieurs passations fictives du questionnaire avaient été conduites par les assistants de recherche avec lesquels j’ai travaillé durant mon séjour à Nairobi pour que leur compréhension et leur appropriation du questionnaire soient optimales (et pour que leurs retours permettent d’améliorer le questionnaire). La passation du questionnaire a ensuite été assurée par les deux assistants de recherche. Construit en anglais, le questionnaire a été principalement administré en swahili de façon à ce qu’il soit le mieux compris par les personnes enquêtées. Durant la passation du questionnaire, j’accompagnais un jour sur deux l’un ou l’autre de mes assistants de recherche de façon à – notamment en début d’enquête – vérifier la bonne administration du questionnaire et apporter aide ou précision en cas de besoin. Tout au long de l’enquête, cela m’a surtout permis – en suivant les réponses données par les répondants – d’identifier tout élément surprenant et de demander à les expliciter. Cela me permettait alors de réinjecter des dimensions qualitatives là où le besoin s’en faisait sentir, de façon à mieux comprendre les données quantitatives collectées. Le questionnaire fait passer chaque enquêté du statut de personne au statut d’individu statistique (Weber et Beaud 2012). Il a l’intérêt de produire des données statistiques représentatives, dans ce cas sur les pratiques et les usages, dont la compréhension est ici augmentée par les méthodes qualitatives mises en œuvre par ailleurs.

L’organisation Grassroots Economics (qui porte les projets de monnaies locales) conduit également ses propres enquêtes et produit ses propres données de suivi-évaluation. J’ai durant mes deux séjours participé à l’élaboration des protocoles et à la supervision de la collecte des données. Ces données seront donc également mobilisées de façon ponctuelle dans la suite de ce travail. Le traitement de l’ensemble des données statistiques collectées a été réalisé avec le logiciel SPSS.

2.3.2.3. Journaux financiers

Au cours des deux terrains, j’ai organisé la tenue de journaux financiers, plus connus sous leur dénomination anglaise de financial diaries. Cette méthode vise à collecter des données longitudinales sur les flux monétaires et financiers d’un individu,

160 Le nombre total de microentreprises a été évalué via un comptage sur une zone restreinte et une extrapolation à l’ensemble de la zone. Sur cette base, un nombre cible de questionnaires à réaliser a été défini, puis le questionnaire a été administré par intervalle de façon à atteindre le nombre cible.

163

d’un ménage, ou d’une entreprise. Généralement, l’entité qui est enquêtée est visitée de façon hebdomadaire par l’équipe d’enquêteurs. ‐nsemble, ils synthétisent les données de la période écoulée, sur la base des déclarations – et donc des souvenirs – de la personne enquêtée. Cette méthode permet donc la reconstitution à postériori des données financières. Elle a notamment été popularisée par les Portfolios of the Poor de Collins et al. (2010).

Pour la construction de ces journaux financiers, je me suis inspiré des enquêtes de ce type menées en Afrique du Sud (Collins 2004; Collins 2005). Dans la mise en œuvre que j’en ai faite, la spécificité principale était que pour les utilisateurs des monnaies locales, les comptabilités tenues étaient bimonétaires. J’ai également construit et distribué aux participants des livrets à compléter quotidiennement. En complément des visites régulières, cela devait leur permettre de tenir plus facilement leurs comptes, et ainsi accroître la validité des données collectées. À chaque fois, deux groupes ont été constitués, l’un d’utilisateurs de la monnaie locale et l’autre de non-utilisateurs. Les membres de chaque groupe ont été appariés deux à deux en fonction des caractéristiques de leur activité économique (type d’activité et taille de la microentreprise), de façon à maximiser la comparabilité des deux groupes. Cependant, même avec ces aménagements et un suivi resserré, il a été difficile de mener à bien cette méthode de collecte de façon satisfaisante, en raison de la difficulté pour les personnes enquêtées de se plier à l’exercice, de la discontinuité des données collectées, ou des divergences dans les pratiques de comptabilité. L’usage que nous faisons de ces données dans la suite de ce travail est donc relativement limité.

2.3.2.4. Observation participante

On dit souvent d’un chercheur qu’il va sur le terrain. Mais plutôt que de simplement y aller, il apparaît surtout crucial d’y rester, de façon à correctement le comprendre. Dans ce but, outre la durée de mes séjours – que j’ai souhaitée suffisamment longue, j’ai adopté durant ceux-ci une démarche d’observation participante. D’abord en résidant et en vivant sur les terrains étudiés. Cela permet de saisir les pratiques du quotidien, amène à les faire siennes, et permet d’éprouver les dynamiques, les contraintes et les opportunités du contexte dans lequel chacune des personnes enquêtées évolue. L’observation participante permet donc de comprendre, par l’expérience, les routines des personnes enquêtées. Ce faisant, les personnes ne sont pas seulement des sujets de la recherche, mais deviennent des personnes familières, pendant que le chercheur devient

164

lui-même connu : « Si l’enquêteur observe les enquêtés, il faut d’emblée savoir que ceux-ci ne cessent d’enquêter à leur manière sur celui-ceux-ci. » (Weber et Beaud 2012, p. 50). Une fois connu, le chercheur peut être mieux compris et accepté, apparaître comme une personne de confiance à qui l’on peut divulguer des informations souvent personnelles. L’observation participante permet donc au chercheur, non pas de devenir indigène, mais en tout cas d’être un peu moins étranger à son terrain161.

Outre les activités quotidiennes, ma démarche d’observation participante m’a également amené à prendre part à un certain nombre d’évènements ponctuels ou réguliers : réunions de groupes d’épargne, activités communautaires, réunions des membres des groupes locaux ou de leurs instances dirigeantes, sessions de formation organisées par Grassroots Economics à destination de ces dernières, activités des agents de terrain de GE à destination des utilisateurs ou des utilisateurs potentiels des monnaies locales, sessions d’information organisées par des ONG locales à destination des microentreprises, évènements festifs, etc.

Cette démarche amène à consigner une multitude d’informations qui, si elles ne servent pas directement l’étude, permettent d’en saisir plus finement le contexte et les acteurs. Ces observations ont été consignées dans des carnets de terrain. Ceux-là ont ensuite été numérisés, ce qui a permis de les étiqueter pour en faciliter l’exploitation.

2.3.3. À propos de quelques nécessités pratiques du

Documents relatifs