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La monnaie remise au premier plan par la pratique premier plan par la pratique

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2. La monnaie remise au premier plan par la pratique premier plan par la pratique

contemporaine du développement

« Je n'ai maintenant aucun doute que le secteur privé, s'il n'en avait pas été empêché par l'État, aurait depuis fort longtemps fourni au public un choix de monnaies diverses, et que celles qui auraient prévalu grâce au processus de concurrence auraient fondamentalement eu un pouvoir d'achat stable et auraient empêché tant la stimulation excessive de l'investissement que les récessions qui leur sont consécutives. » (Hayek 2015 [1976], p. 15)

"Money won't create success, the freedom to make it will." - Nelson Mandela

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, la monnaie a eu tendance à être évincée des théories et politiques économiques du développement. Pourtant, la pratique contemporaine semble quant à elle prendre la direction opposée à ce mouvement de démonétarisation de la pensée, puisque les interventions pour le développement ont dans la période récente mobilisé de façon croissante la monnaie en tant qu’outil du développement. Ce retour de la monnaie prend des formes variées, comme nous le verrons dans ce chapitre. Il est le résultat de processus d’innovation de différentes natures, ayant eux-mêmes mené à l’émergence et à l’usage d’outils monétaires aux caractéristiques distinctes. Deux modalités vont nous intéresser ici : l’une relevant de l’innovation technologique, l’autre de l’innovation sociale. Nous verrons que chacune d’elles s’est concrétisée dans des outils monétaires particuliers : respectivement les monnaies mobiles et les monnaies locales.

Avant de préciser les caractéristiques et la nature de ces différents outils monétaires – ce qui constitue l’un des objectifs de ce chapitre, donnons-en une première définition partielle :

- Les monnaies mobiles sont le résultat de la dématérialisation, par des opérateurs financiers, des monnaies nationales dont les unités peuvent alors circuler par le

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biais des téléphones mobiles au sein du réseau défini par l’opérateur, réseau auquel la monnaie est affectée : elle acquiert donc des critères de validité qui sont différents de ceux de la monnaie nationale. Le numéro de téléphone de chaque utilisateur s’apparentant à un numéro de compte, les systèmes de monnaie mobile forment des infrastructures de transfert et de paiement qui ne nécessitent pas le recours à un compte bancaire ;

- Les monnaies locales sont quant à elles des dispositifs monétaires spécifiques à une communauté ou à un territoire local. Elles peuvent entretenir des relations variées avec la monnaie nationale et son unité de compte, et visent en premier lieu à établir des règles particulières pour les échanges qu’elles doivent médiatiser, ces règles devant elles-mêmes concourir à la réalisation d’objectifs de développement définis par et pour cette communauté ou ce territoire.

Lorsqu’est discuté le concept d’innovation, sans que la nature de celui-ci ne soit précisée, c’est le plus souvent de l’innovation technologique dont il est question : c’est cette forme qui est le plus souvent retenue par la littérature, en particulier économique. L’innovation technologique s’est vue conférer un rôle important, notamment par les théories de la croissance qui voient dans le processus d’innovation et l’adoption des nouvelles technologies un moteur important de la croissance. En se réclamant de Schumpeter, l’approche économique de l’innovation « suppose que c’est toujours l’entrepreneur qui innove, que l’outil de l’innovation est toujours la technologie, et, enfin, que la finalité recherchée est toujours la plus-value » (Prades 2015, p. 104). En effet, l’entrepreneur est incité à innover de façon à acquérir ou à entretenir un avantage compétitif vis-à-vis des autres acteurs du marché sur lequel il se trouve. L’innovation recouvre dans ce cas la découverte de nouveaux produits ou de nouveaux procédés, qui ouvrent de nouveaux marchés ou réduisent les coûts de production. Dans le cas qui nous intéresse, celui de la monnaie mobile, on se trouve bien dans cette configuration. Comme on le verra, c’est une entreprise privée (en l’occurrence un opérateur téléphonique) qui a développé et déployé une innovation devant lui permettre de faciliter la commercialisation de ses services, de fidéliser ses clients, et de générer davantage de revenus.

L’innovation sociale correspond quant à elle à un processus de nature différente, dont les finalités sont également autres. Elle recouvre « un ensemble d’initiatives prises par des acteurs sociaux qui produisent de nouveaux services par la mise au point de

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nouveaux types de rapports entre eux » (Harrisson et Vézina 2006). L’innovation sociale résulte avant tout de la résolution de problèmes socio-économiques par ceux qui sont directement concernés par ces problèmes :

« Les innovations sociales concernent la coordination des relations entre les acteurs sociaux dévolus à la résolution de problèmes socio-économiques, en vue d’une amélioration des performances et du bien-être des collectivités. Elles représentent de nouvelles pratiques, procédures, règles, approches ou institutions introduites en vue d’améliorer les performances économiques et sociales, de résoudre un problème important pour les acteurs sociaux et/ou de combler un déficit de régulation et de coordination. Les innovations sociales sont constituées de nouvelles solutions à des problèmes économiques et sociaux par l’identification et le développement de services, ou d’un nouvel arrangement de services existants, qui améliorent la qualité de vie et le bien-être des individus et des collectivités. En effet, les innovations sociales suggèrent de nouveaux processus de création et de diffusion des solutions qui impliquent des associations inédites entre les acteurs sociaux. Il y a donc un processus qui induit l’appropriation des solutions par l’ensemble des acteurs impliqués qui de ce fait acquièrent de nouvelles compétences. En ce sens, les acteurs ne sont pas passifs. Ils développent un nouveau capital social à travers l’émergence de liens de réciprocité, sans compter les capitaux économique et culturel associés à l’innovation. » (Ibid.)

Prades (2015) voit dans l’innovation sociale une réponse de la société face aux menaces qui avaient été pointées par Polanyi (2009 [1944]) : « l’innovation technologique pousse à la marchandisation de tous les aspects de la vie sociale et présente un risque de désagrégation sociale, d’utilisation abusive de la nature et de la monnaie – qui devient outil de spéculation. L’innovation sociale est donc une manière de se protéger de ce risque : elle imagine des dispositifs qui cherchent à écarter la menace d’une marchandisation de l’homme, de la nature et de la monnaie. » Il apparaît également que ce type d’innovation naît souvent dans les pays du sud, les populations vulnérables trouvant dans l’innovation sociale les moyens de répondre à leurs besoins alors que ces besoins restent non satisfaits par le marché ou par l’État : les sociétés dites « traditionnelles » ne doivent alors plus être vues comme devant réaliser un « rattrapage » par l’adoption des innovations technologiques du nord, mais sont au contraire créatrices de nouvelles formes organisationnelles pouvant être inédites (Castel et Prades 2004). L’innovation sociale peut dans certains cas constituer une réaction à un modèle de

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développement jugé trop peu favorable à ceux qui doivent en être l’objet. Les monnaies locales que nous examinerons ici sont effectivement portées par des groupes sociaux qui développent, pour leur propre usage et leur propre bénéfice, un outil monétaire visant à la réalisation des aspirations économiques et sociales des membres de ce groupe.

On voit d’emblée, à travers la caractérisation du mode d’innovation à l’origine des innovations monétaires qui seront étudiées ici, que celles-ci ont des natures différentes, et procèdent de logiques divergentes. Nous montrerons comment ces logiques se concrétisent dans les modalités de ces monnaies dissemblables, et les implications qu’elles ont pour leurs utilisateurs. Dans ce chapitre, une partie sera dédiée à chaque type d’innovation monétaire : nous reviendrons sur leur processus d’émergence, leurs modalités de fonctionnement, et leurs différents types et formes.

1.L’innovation technologique de la monnaie

mobile

Le téléphone mobile peut servir de canal de diffusion à une diversité de services, dont des services bancaires et financiers qui ne constituent pas forcément des services de monnaie mobile à proprement parler. Pour les différencier, la Global System for Mobile Communications Association utilise sept critères (GSMA 2018, appendix, p. 4) :

- Un service de monnaie mobile offre la possibilité de transférer de l’argent et de réaliser des paiements en utilisant le téléphone mobile ;

- Le service doit être accessible aux personnes non bancarisées ;

- Le service doit proposer au moins le transfert domestique ou international, le paiement mobile, ou le stockage de valeur ;

- Le service doit offrir une interface permettant d'initier des transactions qui soit disponible sur les appareils mobiles ;

- Le service doit offrir un réseau de points transactionnels physiques qui rend le service largement accessible à tous ;

- Les services mobiles qui ne font du téléphone mobile qu'un moyen d'accès à un produit bancaire traditionnel ne sont pas inclus ;

- Les services de paiement liés à un produit bancaire traditionnel ou à une carte de crédit ne sont pas inclus.

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De ces critères de définition ressortent les objectifs donnés à la monnaie mobile en termes d’inclusion des personnes qui n’avaient jusque-là pas accès aux services financiers formels. L’accent est placé sur son accessibilité, tant en termes de réseau de distribution que de support de circulation. Est soulignée à travers les transferts et les paiements la nature transactionnelle de ces services, ce qui justifie de parler de monnaie mobile. Notre objectif sera dans cette section d’aller au-delà de cette définition formelle, de façon à préciser la nature de la monnaie mobile.

Nous verrons d’abord que le continent africain occupe une place dominante dans la diffusion des dispositifs de monnaie mobile, qui est tirée par l’Afrique de l’‐st. En prenant un peu de recul, une généalogie des systèmes de monnaie mobile en montrera les précurseurs, que l’on peut trouver dans les pratiques monétaires anciennes. Nous préciserons ensuite les modalités actuelles d’utilisation de la monnaie mobile ainsi que ses principaux usages. Enfin, nous nous intéresserons plus spécifiquement au cas du M-Pesa au Kenya, en dépassant le récit mythifié qui en est le plus souvent fait, et dans le but de caractériser cette monnaie particulière.

Fonctionnement des systèmes de monnaie mobile : le cas

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