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inspirée de l’ethnographie économique

Chapitre 3. La monnaie vue depuis l’économie populaire l’économie populaire

1. L’influence de la géographie monétaire territoriale territoriale

1.2.1. Une fuite chronique des revenus

En suivant les éléments qui ont été posés supra quant aux facteurs déterminants de la géographie monétaire territoriale, une étude mésoéconomique du développement nécessite de s’intéresser aux flux monétaires qui structurent les territoires : ils sont tributaires de flux entrants et de flux sortants dont les poids relatifs déterminent la quantité de monnaie en circulation sur le territoire, c’est-à-dire la quantité de monnaie qui y est disponible pour conduire des échanges.

L’étude de la circulation monétaire depuis et vers les bidonvilles de Bangladesh et de Gatina fait apparaître que ces territoires sont structurés par des flux dont on peut identifier trois principaux types. Pour ces territoires, la principale source d’approvisionnement en monnaie nationale est l’exportation de la force de travail locale. Comme décrit précédemment178, ce sont principalement les hommes qui travaillent en dehors du bidonville, en trouvant à s’employer en dehors de celui-ci et qui y ramènent alors des revenus externes. Ces territoires reçoivent aussi de la monnaie lorsque des fonds sont envoyés – aujourd’hui principalement via la monnaie mobile – par la famille ou les proches. Enfin, les microcrédits qui peuvent être contractés par les habitants de ces bidonvilles (auprès d’une IM‑ ou plus vraisemblablement via un service de crédit mobile) constituent également un influx de monnaie au moment où ces crédits sont émis.

La masse monétaire locale est donc alimentée par : la rémunération du travail exporté, la réception de fonds, et l’émission de crédits. Ces différentes sources de monnaie viennent abonder les budgets familiaux, ces ressources étant ensuite dépensées pour satisfaire les besoins du ménage. La consommation est en grande partie locale : tous les besoins (qu’ils soient alimentaires, énergétiques, vestimentaires, d’équipement) peuvent être satisfaits par l’offre locale. Les ménages dépensent donc leurs revenus principalement auprès des microentreprises du bidonville. Ces échanges sont permis par le volume de monnaie disponible localement, déterminé par les trois sources qui viennent d’être identifiées.

Symétriquement aux flux monétaires entrants, d’autres amènent aussi la monnaie à quitter le territoire local. Cela notamment à cause de l’importation des marchandises consommées dans le bidonville. Ce sont dans ce cas majoritairement les femmes commerçantes qui, via leurs achats au marché central, localisé hors des zones considérées,

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dépensent une grande part des ressources disponibles pour réapprovisionner le bidonville en produits de base. Comme peu de denrées sont produites localement, la consommation alimentaire a pour contrepartie une balance courante largement déficitaire. Les deux autres types de flux, liés à la monnaie mobile et au crédit, ont également leurs pendants. Des fonds sont envoyés vers la famille et les proches habitant d’autres localités du pays, et les crédits doivent être remboursés : ces deux types d’opérations soustraient également de la monnaie au territoire local. Ces différents flux monétaires, entrants et sortants, dont dépend la quantité de monnaie disponible localement, et donc la capacité d’échange interne au territoire, sont schématisés par la figure suivante.

Figure 18 : Flux monétaires structurant le territoire local

Source : auteur

La masse monétaire locale ML variera donc en fonction du solde des différents types de flux, c’est-à-dire, dans les termes de la comptabilité nationale ici appliquée au niveau local : du solde du compte des transactions courantes X lié aux importations de biens et aux exportations de travail, et du solde du compte financier incluant le flux de crédits K et les transferts de fonds F. D’où :

= ∆ + ∆ + ∆

Évaluons chacun de ces trois flux pour en identifier l’effet dominant sur ML. On peut d’emblée dire du flux de crédits qu’il a un solde négatif : le flux sortant inclut en effet les intérêts perçus sur les crédits, il est donc supérieur au flux entrant. Si les crédits n’ont pas mené à la création ou à l’expansion d’activités locales elles-mêmes génératrices

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de revenus, alors les crédits ont un impact négatif pour le territoire179. Le flux sortant lié à la monnaie mobile aura également tendance à être supérieur en volume au flux entrant. En effet, la solidarité qui est réalisée par ce biais joue davantage des villes vers les campagnes : ce sont principalement les jeunes venus travailler en ville qui envoient une partie de leurs revenus aux parents restés dans les campagnes. Depuis les contextes urbains, les envois sont supérieurs aux réceptions de fonds. Le canal de la monnaie mobile aurait donc dans ce cas un effet négatif sur la quantité de monnaie présente dans les bidonvilles.

Pour ce qui est du flux principal, lié aux exportations de travail et aux importations de denrées, l’un des deux termes est plus incertain que l’autre : il s’agit du flux entrant, qui dépend directement des opportunités d’emplois disponibles, qui peuvent être variables dans le temps. Lorsque la conjoncture est mauvaise, et que la part des personnes qui trouvent à être employées baisse, c’est autant de monnaie en moins qui entre dans le bidonville. Pour ce qui est du flux sortant lié aux importations de denrées, il dépend quant à lui des besoins de base de ses habitants, qui ne dépendent pas de la conjoncture économique. Ces besoins sont globalement constants et le flux monétaire sortant qui en est la contrepartie le sera donc également (tant que des ressources monétaires internes restent disponibles). Pour le principal flux de monnaie du territoire, on a donc une entrée qui est variable pendant que la sortie est continue. Le solde qui en résulte sera donc lui-même variable, et il n’est pas exclu qu’il devienne négatif en fonction de la conjoncture.

L’action de ces différents flux fait qu’il existe au total une pression à la baisse sur la quantité de monnaie disponible à l’intérieur du bidonville :

+ ∆ + ∆ = ∆

Solde incertain, possiblement

négatif

Solde négatif Solde négatif  Pression à la baisse

On est dans ce cas dans une situation de trappe à pauvreté, une trappe qui est monétaire. C’est la fuite des avoirs monétaires, et l’indisponibilité de la monnaie qui peut en résulter, qui contraignent les échanges conduits sur le territoire, alors que des besoins doivent y être satisfaits. La notion de « piège » à pauvreté, qui serait une traduction plus correcte de poverty trap, prend ici tout son sens.

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1.2.2. Des économies rythmées par la monnaie et son

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