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La « nouvelle économie du développement » resserrée autour de l’économie standard

économie du développement

1.2.2. La « nouvelle économie du développement » resserrée autour de l’économie standard

Dès la période de construction de l’économie du développement, les approches néoclassiques cohabitent avec les approches keynésiennes. Ainsi dès l’origine :

« Les modèles néo-classiques fondent les analyses privilégiant les distorsions de prix, la mauvaise combinaison de facteurs de production et l'insuffisance de l'épargne comme facteurs premiers du sous-développement. Le sous-développement peut être interprété, dans le cadre d'une Cobb-Douglas dynamisée, par les insuffisances du capital, du progrès technique incorporé dans celui-ci, du capital humain du résidu et par la mauvaise allocation des facteurs. » (Hugon 1989, p. 47)

La première période développementaliste va cependant laisser place, à partir des années soixante et surtout soixante-dix, à une seconde période au cours de laquelle « Les thèmes s'éparpillent dans plusieurs champs spécialisés […], en même temps qu’ils vont être, avec la montée des déséquilibres financiers, immergés dans la vague libérale. » (Assidon 2002, p. 6). On assiste alors à la montée en puissance d’une « nouvelle économie du développement », qui va réaliser la contre-révolution d’une économie néoclassique du développement, ces approches jusque-là présentes parmi d’autres devenant dominantes :

« l'impératif de l'équilibre évacue la dimension temporelle du changement ou cesse d'en fixer le terme. La pluralité des théories d'appui se rétrécit au profit de la théorie néoclassique de l'équilibre ou de ses variantes keynésiennes. » (Ibid.)

Les institutions internationales embrassent cette orthodoxie qui fondera ensuite le Consensus de Washington. On passe avec elle d’une optique qui était avant tout macroéconomique à des approches principalement microéconomiques. Dans le même temps, les dimensions monétaires, mal accommodées par l’approche néoclassique, disparaissent derrière les aspects dits « réels » des phénomènes économiques.

1.2.2.1. Une approche amonétaire dans laquelle les

institutions financières n’ont pas de spécificité

La théorie bancaire de la création de crédit caractérisait la première période. Vont lui succéder dans la deuxième période la théorie des réserves fractionnaires, et surtout la théorie de l’intermédiation financière (Werner 2014). Selon la théorie des réserves fractionnaires, un certain pouvoir de création de monnaie est reconnu aux banques, mais

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seulement celui de multiplier les réserves dont elles disposent. On parle dans ce cadre de multiplicateur du crédit. Cette théorie a été prépondérante des années 1930 à 1960. La théorie de l’intermédiation financière quant à elle ne reconnaît aucun pouvoir particulier aux banques par rapport aux autres institutions financières : les banques ne font que collecter des dépôts, qu’elles réallouent sous la forme de prêts (en faisant de la transformation de risque et de maturité). Cette théorie nie donc que les banques puissent avoir un quelconque pouvoir de création monétaire, et c’est elle qui s’est imposée depuis les années 1960. Dans le champ du développement, Gurley et Shaw en sont par exemple de fervents partisans :

« Nous sommes opposés à l'idée selon laquelle les banques se distinguent par leur capacité à créer des fonds prêtables sans contrôle, tandis que les autres intermédiaires, au contraire, s'occupent avec la modeste fonction de courtage consistant à transmettre des fonds prêtables générés d'une manière ou d'une autre ailleurs. Ni les banques ni les autres intermédiaires ne créent de fonds prêtables. »34 (Gurley et Shaw 1955, p. 521)

Les banques ne sont donc que des intermédiaires comme les autres. Les approches néoclassiques qui s’inscrivent dans ce cadre peuvent en cela être qualifiées d’amonétaires car elles ne pensent pas les phénomènes liés à la création, à la circulation, et à la destruction de la monnaie, réputée neutre et exogène. Elles s’inscrivent dans une logique d’épargne préalable selon laquelle les investissements ne peuvent être entrepris que si une épargne a préalablement été constituée, rendant ainsi disponibles des ressources pour l’investissement. L’investissement procède de l’épargne et il faut donc atteindre des taux d’épargne qui permettent la réalisation du taux d’investissement désiré. C’est la logique qui prévaut dans l’approche par le déficit de financement, dominante à la suite de Nurkse et de Chenery. Plus tard, les théories de la croissance endogène vont suivre la même logique. Dans le modèle de Solow (1956), qui a succédé au modèle Harrod-Domar et ses extensions, la production prend place grâce à l’épargne. L’accumulation du capital est donc croissante avec l’épargne, qui est jugée favorable à la croissance. Plus globalement, l’analyse dichotomique de l’économie est renforcée au cours de cette deuxième période, notamment sous l’influence de l’approche monétariste.

34 « We take exception to the view that banks stand apart in their ability to create loanable funds out of hand, while other intermediaries in contrast are busy with the modest brokerage function of transmitting loanable funds that are somehow generated elsewhere. Neither banks nor other intermediaries create loanable funds. »

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1.2.2.2. L’influence du monétarisme

Les monétaristes entrent en scène notamment à l’occasion de leur opposition aux structuralistes. De par le poids des institutions sur lesquelles ils exercent un contrôle intellectuel – en premier lieu le FMI – c’est eux qui vont le plus fortement imprégner la doctrine. L’influence de la pensée monétariste a été la plus éclatante avec l’entremise des « Chicago Boys » au Chili dans les années 1970 et 1980. Sous l’influence de Milton ‑riedman depuis l’Université de Chicago, ces économistes vont conduire une « thérapie de choc » via diverses mesures d’inspiration libérale. Ils vont surtout mener un combat contre l’inflation, au prix de coûts économiques et sociaux considérables pour les populations. Après le Chili, ces politiques vont aussi être mises en œuvre au Brésil, en Argentine, ou en Uruguay.

Pour les monétaristes, la stabilisation du niveau des prix passe en particulier par un contrôle strict de la masse monétaire. La principale préconisation de Friedman (1959) est ainsi l’adoption d’une règle suivant laquelle la croissance de la masse monétaire suivrait un rythme constant – et faible. Il s’agit de rendre impossible pour les gouvernements toute modification discrétionnaire de la masse monétaire, donc toute mobilisation des leviers de la politique monétaire, en confiant son contrôle à une autorité indépendante. Cette règle trouve sa justification dans la théorie quantitative de la monnaie, qui pose un lien strict et automatique entre variables monétaires et niveau général des prix, la causalité allant des premières vers le second. Selon cette théorie, toute expansion monétaire se traduit nécessairement dans de l’inflation, et ne se traduit que

dans de l’inflation, car elle ne peut stimuler l’activité économique. Les monétaristes partagent une croyance dans l’efficacité du laissez-faire, et dans la nécessité d’une intervention publique limitée, notamment en ce qui concerne la monnaie, le crédit et les taux d’intérêt.

Au besoin d’investissement, donc de financement, et par conséquent de monnaie de la première période, la deuxième lui substitue donc le besoin d’un contrôle strict de la masse monétaire, d’une restriction de l’émission de monnaie.

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