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Les thèses de la répression financière et la libéralisation des systèmes financiers

économie du développement

2. Le traitement de la problématique du financement du développement financement du développement

2.1.2. Les thèses de la répression financière et la libéralisation des systèmes financiers

Avec la vague néolibérale et les politiques d’ajustement, vont être mises en avant les thèses de la répression financière, associées en particulier au nom de Ronald McKinnon. Celui-ci développe une thèse du développement économique dans laquelle « La pièce maîtresse de la théorie est le marché des capitaux domestique dans chaque pays en développement »38 (McKinnon 1973, p. 2). Il considère y accorder une place bien plus importante à la monnaie en comparaison des autres théoriciens du développement. McKinnon s’inscrit en opposition avec les théories monétaires et financières alors

37 « rooted more in ideological presumptions than in substantiated case study experiences » 38 « The centrepiece of the theory is the domestic capital market within each developing country »

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dominantes, celles-ci ne pouvant notamment pas rendre compte de « la dominance des encaisses monétaires réelles dans le fonctionnement des marchés de capitaux dans les pays pauvres »39 et de l’imperfection de ces marchés marqués par une « écrasante fragmentation des taux d'intérêt réels »40 (Ibid., p. 3). Les agents économiques n’ont pas accès aux mêmes taux d’intérêt réels et ne font pas non plus face aux mêmes prix effectifs pour les facteurs de production et les produits. La fragmentation des taux cause donc de l’inefficacité dans l’usage des facteurs de production, entrave le développement entrepreneurial et empêche l’adoption de nouvelles technologies. Cette fragmentation pousse les gouvernements à intervenir dans l’économie, ce qui renforce les inefficiences alors qu’une politique de développement des marchés de capitaux permettrait de réaliser une pleine libéralisation de l’économie.

Pour McKinnon, le développement économique suppose donc d’unifier les taux d’intérêt au sein de l’économie, et cette unification passe par le développement des marchés de capitaux. Les taux de rendement sur le capital physique et sur le capital financier doivent s’égaliser, augmentant par là le taux de rendement moyen de l’économie. L’augmentation des taux a pour effet bénéfique de générer une quantité d’épargne supérieure et d’orienter l’investissement vers des usages à plus haut rendement et donc à plus haut niveau technologique (les usages considérés comme inférieurs étant découragés par les taux plus élevés).

La monnaie entre dans ce tableau par les choix des agents relativement à la détention d’encaisses monétaires, et par la demande de monnaie. Pour les théories monétaires de l’accumulation du capital que McKinnon conteste, la monnaie est une forme de richesse qui est en compétition avec les autres formes de capital dans les choix de portefeuilles des agents : il y aurait donc un effet de substitution entre la détention de monnaie et celle de capital physique. Dans ce cas, la détention de monnaie entrave donc l’accumulation du capital. La fonction classique de demande de monnaie entraîne la fonction classique d’investissement, qui est bien décroissante avec la demande de monnaie. Mais pour McKinnon, cette approche théorique ne s’applique pas aux économies sous-développées, marquées par la fragmentation. Non seulement la théorie est incohérente, mais si appliquée, elle entraînerait une dérive inflationniste, les gouvernements étant tentés d’augmenter la quantité de monnaie en circulation pour

39 « the dominance of real money balances in the operation of capital markets in poor countries » 40 « overwhelming fragmentation in real rates of interest »

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dégager des ressources via la taxe inflationniste, et induire l’épargne privée à être investie en capital physique (plutôt que d’être détenue sous forme d’encaisses monétaires).

Contestant donc ce rapport de compétition entre monnaie et capital, McKinnon va quant à lui soutenir qu’ils entretiennent un rapport de complémentarité. Pour le montrer, McKinnon redéfinit la fonction de demande de monnaie. Pour cela, il considère d’abord des unités économiques qui n’ont accès qu’à l’autofinancement (une hypothèse qu’il estime être raisonnable pour les contextes où il n’existe pas de marchés des capitaux fonctionnels). Un agent désirant investir aura dans ce cas le choix entre accumuler des stocks de sa propre production (qu’il vendra au moment où il voudra investir), ou amasser des encaisses monétaires : « Le degré avec lequel il s’appuiera sur l’une ou l’autre de ces modalités dépendra du rendement réel sur la détention de monnaie et de l'inconvénient de stocker son propre produit. Si [le coût d’opportunité lié à la détention de monnaie] augmente, il utilisera davantage la monnaie et moins ses propres stocks en tant que réserve efficace de valeur. »41 (Ibid., p. 57). La fonction de demande de monnaie prend alors la forme suivante, dans laquelle apparaît l’investissement I , absent de la fonction classique :

/ = , / , − ̇

Avec M : masse monétaire ; P : indice des prix ; Y : revenu ; d: taux d’intérêt nominal ; ̇∗: taux d’inflation futur anticipé. − ̇∗ représente donc le coût d’opportunité lié à la détention de monnaie.

La demande de monnaie est donc pour McKinnon positivement liée au revenu, mais aussi au taux d’investissement, et au taux de rendement réel de la détention de monnaie. Si les agents détiennent de la monnaie, c’est parce qu’elle a un taux de rendement réel élevé et stable. ‐t la demande d’encaisses monétaires réelles est complémentaire à la demande de capital physique dans les choix privés de portefeuilles : « les conditions qui rendent M/P attractif augmentent plutôt qu'elles n'inhibent les incitations privées à accumuler du capital physique »42 (Ibid., p. 40). La monnaie doit donc être rendue plus attractive à détenir pour encourager l’investissement et donc la formation de capital : la monnaie est un « conduit » à travers lequel l’accumulation se

41 « The degree to which he relies on one mode or the other will depend on the real return on holding money and the inconvenience of storing his own product. If d – P* rises, he will use money more and h is own inventories less as an efficient store of value. »

42 « conditions that make M/P attractive to hold enhance rather than inhibit private incentives to accumulate physical capital »

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réalise. Si la monnaie ne remplit pas ce rôle, en particulier lorsqu’elle fait l’objet d’une inflation forte, cette accumulation est inhibée.

Passé un certain taux de rendement réel de la détention de monnaie, l’effet d’actif concurrent se matérialise, réduisant l’investissement. Mais à mi-chemin de ces deux effets, il y a un taux de rendement réel de la détention de monnaie qui maximise l’investissement : c’est donc ce taux optimal que les autorités monétaires devraient chercher à atteindre pour favoriser l’accumulation du capital. Ce taux est « bien plus haut que celui suggéré par la théorie économique traditionnelle »43 (Ibid., p. 65), il est « significativement supérieur à zéro »44 (Ibid., p. 67). Plus loin (p. 77), McKinnon envisage des taux de 15 à 25 % comme étant profitables tant pour la banque (qui couvre ses coûts) que pour l’emprunteur (qui bénéficie de davantage de financements).

L’augmentation du taux de rendement réel de la détention de monnaie est donc la clé du développement pour McKinnon. Alors que jusque-là les individus « étaient limités à de petits investissements annuels et marginaux parce que la monnaie était peu attractive en tant que réserve de valeur »45 (Ibid., p. 64), lorsque la détention de monnaie devient attractive, leur capacité d’investissement est supérieure. À l’autofinancement vient s’ajouter le financement externe, qui suit le même profil que le premier par rapport au taux réel. Ce financement externe est aussi favorisé par un taux supérieur car les emprunteurs sont moins risqués (ils sont davantage liquides et mieux dotés en fonds propres) et les préteurs sont donc plus disposés à investir.

McKinnon prescrit donc la libéralisation des économies, à commencer par leurs marchés des capitaux. Il appelle au développement des intermédiaires financiers et à une plus grande monétarisation de l’économie. L’ensemble du système financier doit gagner en efficacité avec l’augmentation des taux, qui dessert les contraintes financières pesant sur la formation du capital. La situation que connaissent un certain nombre de pays en développement serait au contraire celle d’une répression financière dont les gouvernements seraient responsables : ceux-là imposent notamment des plafonds sur les taux d’intérêt et des exigences en collatéraux aux banques, qui sont empêchées de gagner un taux d’intérêt suffisant sur leurs emprunteurs, et par conséquent qui sont dans l’impossibilité de rémunérer correctement leurs déposants et donc d’attirer le capital.

43 « much higher than traditional monetary theory suggests. » 44 « significantly greater than zero »

45 « were confined to small annual investments at the margin because money was unattractive as a store of value »

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McKinnon s’élève contre ces mesures, qu’il juge non seulement inefficaces, mais aussi populistes et menant à des pratiques clientélistes :

« les plafonds d'usure imposés aux taux d'intérêt des prêts bancaires ont émasculé la capacité et la volonté des banques commerciales de servir les petits emprunteurs de toutes les catégories. Un taux d'intérêt maximal de 10% ne couvre pas les coûts administratifs et les risques de défauts potentiels inhérents aux prêts de faibles montants. Par conséquent, la grande masse des petits ménages-entreprises est poussée dans les bras des prêteurs informels. En plus de restreindre le volume global des prêts bancaires, le plafond sur l’intérêt garantit que le flux de financement disponible va vers des emprunteurs totalement sûrs dont la réputation est connue ou dont le collatéral est relativement sans risque. Pire encore, la forte demande excédentaire de prêts permet aux allocations de dépendre de connexions politiques ou liées à l’« establishment ». Les importateurs détenant des licences exclusives, ou les plus grands propriétaires fonciers, ou divers organismes gouvernementaux sont susceptibles d'en être les bénéficiaires. Étant donné que ces « bons » risques sont souvent des personnes ayant des revenus élevés et visibles et des avoirs importants, les prêts qui leur sont consentis à des taux d'intérêt réglementés faibles ont tendance à exacerber la répartition déjà asymétrique des revenus. Paradoxalement, un crédit bon marché au sens populiste ne profite peut-être pas du tout au petit homme. Bien au contraire. Cela peut effectivement l'empêcher de rivaliser pour le financement de long terme du système bancaire organisé et, par conséquent, il est confiné à obtenir du crédit d’un mois sur l’autre de la part du commerçant du village. »46 (Ibid., p. 73)

McKinnon préfère donc une situation de taux élevés, situation dans laquelle « la finance réelle est abondante à ces taux »47 (Ibid., p. 79). Autoriser et mettre en place les conditions de ces taux réels élevés est une condition nécessaire du développement

46 « usury ceilings on the interest rates charged on bank loans have emasculated the ability and willingness of commercial banks to serve small-scale borrowers of all classes. A maximum interest rate of 10 percent does not begin to cover the administrative costs and potential default risks inherent in small-scale lending. Hence, -the great mass of small firm-households is driven into the arms of moneylenders. In addition to restricting the overall volume of bank lending, the interest ceiling ensures that the trickle of available finance flows to completely safe borrowers whose reputation is known or whose collateral is relatively riskless. Or worse, the great excess demand for loans allows allocations to be contingent on political or "establishment" connections. Importers holding exclusive licenses, or the largest landowners, or various government agencies are likely to be the beneficiaries. Since these "good" risks are frequently individuals with large visible incomes and asset holdings, loans made to them at low regulated rates of interest tend to exacerbate the already skewed distribution of income.

Paradoxically, cheap credit in a populist sense may not benefit the little man at all. Quite the contrary. It may effectively prevent him from competing for long-term finance from the organized banking system, and as a result he is confined to getting month-to-month credit from the village storekeeper. »

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économique, mais c’en est aussi une condition suffisante, puisqu’une fois cela fait, le reste suit. Avec Gurley et Shaw (1955; 1967), McKinnon deviendra la référence principale pour la critique des thèses keynésiennes et pour la promotion de la libéralisation des systèmes financiers.

2.1.3. La répression monétaire et le passage d’économies

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