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En guise d’introduction : peut-on modéliser la complexité ?

Chapitre 1 : Sciences humaines et sociales, géographie et modélisation spatiale et modélisation spatiale

1.2. La modélisation en géographie : graphique et cartographie

1.2.3. Vers une autre cartographie

1.2.3.1. Une « autre » cartographie ?

On peut donner quelques exemples d’initiatives de cartographies « autres » pour incarner l’exhortation à sortir d’une cartographie dominante et dominatrice. « Autre », la cartographie peut l’être premièrement en choisissant des sujets inhabituels ou en représentant des phénomènes marginaux, voir volontairement invisibilisés par les discours dominants. C’est le cas de la « cartographie radicale » qui s’inscrit dans la lignée de la géographie radicale marxiste. Elle est notamment représentée en France par Philippe Rekacewicz qui explique : « Déchiffrer

power »). Brian Harley se focalise sur l’imbrication de la carte et du pouvoir et sur les « silences » – oppresseurs – des cartes. SERRES, Michel, Les Origines de la géométrie, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1993, p. 115 et sq., par exemple ; WESTPHAL, Bertrand, Le Monde Plausible. Espace, lieu, carte, op. cit. ; Voir également l’exposition Made in Algeria. Généalogie d’un territoire qui met en scène, à travers l’exposition de cartes et de représentation du territoire algérien, l’importance de la cartographie dans la conquête et la domination coloniale en Algérie au XIXe et au XXe siècle, au MuCEM à Marseille du 20 janvier au 2 mai 2016 et le catalogue accompagnant l’exposition : SARAZIN, Jean-Yves et RAHMANI, Zahia, Made in Algeria. Généalogie d’un territoire, Vanves, Hazan, 2016. Enfin, voir BLAIS, Hélène, Mirage de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale, Paris, Fayard, coll. « L’épreuve de l’histoire », 2014, au titre évocateur.

320 La cartographie a eu un tel pouvoir politique que Bertrand Westphal la désigne comme l’outil d’une « graphocratie » coloniale, voir le chapitre « Contre la graphocratie, pour une cartographie différente » (WESTPHAL, Bertrand, Le Monde Plausible. Espace, lieu, carte, op. cit., p. 226-237). On peut en citer les passages suivants : « Parmi les multiples impositions qui ont découlé de la main mise occidentale sur une partie du monde, on rangera une représentation des espaces, parfaitement ethnocentriste, que les cartes géographiques ont sanctionnée et relayée. », ibid., p. 228 ; « En compagnie du principe d’antériorité que la cartographie étaie puisqu’elle a tendance à gommer les strates de présence antérieure, le principe de légitimation relève d’une revendication à portée universelle, qui est l’origine de bien des conflits. », ibid., p. 232.

321 Nous reviendrons à ce sujet lorsque nous aborderons la cartographie chez Kateb Yacine, qui en fait une critique qu’on peut qualifier de « postcoloniale », ou qu’on peut rapprocher de ce courant. Du côté théorique, on peut citer de nouveau Bertrand Westphal : « À peine le processus de décolonisation fut-il enclenché, on entreprit de révoquer en doute le bien-fondé de cette vision monofocale de la géographie humaine. Les écrivains ne tardèrent pas à s’emparer de la thématique cartographique pour mettre en exergue toutes les anomalies d’un point de vue qu’il n’était plus acceptable de partager. », Le Monde Plausible, op. cit, p. 228. Nous renvoyons également à l’article GRAHAM, Huggan, « Decolonizing the Map. Post-colonialism, Post-structuralism and the Cartographic Connection », dans Ariel, n°20(4), 1989. Récupérée par la littérature post-coloniale, la cartographie entraine « une acceptation de la diversité qui se reflète dans les interprétations de la carte non pas tant comme vecteur de contention spatiale ou d’organisation systématique, mais plutôt comme médium de perception permettant une reformulation des liens aussi bien à l’intérieur qu’entre les cultures. », ibid., p. 124. Enfin nous renvoyons à l’ouvrage de Harley, The New Nature of Maps, op. cit., et plus précisément aux chapitres « Deconstructing the map » et « Can there be a cartographic ethics? ».

pour dénoncer, mettre en image des processus peu visibles qui concourent à confisquer l’espace public (voire des biens publics), à compromettre les libertés individuelles, à détourner des lois, tels sont les principaux objectifs des promoteurs de cette cartographie. »322 Elle est pratiquée par exemple par Nicolas Lambert qui cartographie la mort des migrants aux portes de l’Europe (voir Annexe 4 Figure 7) ou les rassemblements des Nuits Debout en France en 2016 et les réseaux militants qui en émanent323. Le collectif de cartographes-géographes Carthorisons a pour objectif de rendre visible à travers les cartes le problème du mal logement en région parisienne324. Ces initiatives posent des difficultés – précisément du fait du médium cartographique choisi – de formalisation des données (comment encoder informatiquement des récits de parcours de vie ?), de confidentialité des données et d’anonymat (comment rendre publique des informations sensibles, comme la localisation des squats en Ile-de-France, tout en évitant une réutilisation sécuritaire et répressive de celles-ci ?). Sans en nier l’utilité ni les innovations, il convient de préciser que la cartographie radicale est aujourd’hui souvent synonyme de cartographie engagée, souvent d’extrême gauche, souvent liée à une démarche artistique325 et graphique, sans pour autant mener une véritable réflexion sur le médium utilisé ou la dimension catégorisante de la cartographie, ni appliquer une méthode véritablement « radicale » de cartographie (au-delà du constat fait par tous que la cartographie n’est jamais neutre ni objective). Néanmoins, certains gestes cartographiques sont forts : retourner les cartes, démembrer les atlas, utiliser des projections inconnues ou politiquement engagées (comme la projection de Peters)326. Ces gestes contribuent à bousculer les préjugés (de neutralité et d’objectivité) associés encore trop souvent aux cartes et à cultiver un œil cartographique davantage critique.

« Autre », la cartographie peut l’être aussi par ses méthodes, en parallèle des principes méthodologiques préconisés par la « géographie radicale », en cartographiant des savoirs géographiques produits collectivement, à la rencontre du savoir scientifique de l’universitaire et de

322 REKACEWICZ, Philippe, « Cartographie radicale », Le Monde diplomatique[en ligne], publié en Février 2013, consulté le 21 juin 2016. URL : https://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/REKACEWICZ/48734.

323 Voir le site internet : LAMBERT, Nicolas, Carnet NEOCARTOgraphique [En ligne], dernière mise à jour en 2016, consulté le 21 juin 2016. URL : http://neocarto.hypotheses.org/. La cartographie des morts de migrants : « Les damnés de la terre », mis en ligne le 4 décembre 2015, consulté le 20 juin 2016. URL : http://neocarto.hypotheses.org/1976. La cartographie des Nuits Debout : « [CARTE] Nuit Debout ! », mis en ligne le 26 avril 2016, consulté le 21 juin 2016. URL : http://neocarto.hypotheses.org/2256.

324 Voir la page Facebook de l’association : Carthorisons [En Ligne], dernière mise à jour le 31 mars 2016, consulté le 18 juillet 2016. URL : https://www.facebook.com/carthorisons/?fref=ts

325 Voir par exemple les cartes, à tendance artistique pour certaines, de Bill Rankin (cartographe) qui attire l’attention sur les artifices liés à la construction cartographique : « Bill Rankin is a historian and cartographer. His mapping activity is focused on reimagining everyday urban and territorial geographies as complex landscapes of statistics, law, and history. » L’objectif est de contrer la dimension simplificatrice de la cartographie. RANKIN Bill, Radical Cartography [En ligne], mis à jour en 2016, consulté le 21 juin 2016. URL : http://www.radicalcartography.net/index.html?billrankin.

326 The Atlas of Radical cartography pratique par exemple une cartographie volontairement perturbante : « Such new understandings of the world are the prerequisites of change. We define radical cartography as the practice of mapmaking that subverts conventional notions in order to actively promote social change. The object of critique in An Atlas of Radical Cartography is not cartography per se (as is generally meant by the overlapping term critical cartography), but rather social relations. Our criteria for selecting these ten maps emphasized radical inquiry and activist engagement. » MOGEL, Lize et BAGHAT, Alexis (dir.) Atlas of Radical cartography [En Ligne], mi à jour en 2009, consulté le 18 juillet 2016. URL : http://www.an-atlas.com/

Figure 11 : Exemple de carte mentale produite dans le cadre de la recherche-action du groupe les

celui des gens qui pratiquent effectivement l’espace. Cette redéfinition méthodologique implique aussi d’autres auteurs et d’autres points de vue cartographiés. Les évolutions des technologies numériques, internet et mobiles (GPS, Google Maps, smartphones, etc.) entrainent une diffusion des pratiques cartographiques : tout le monde manipule des cartes, entre des coordonnées, mémorise ses trajets ou ses courses sur des cartes. La constitution de « nouveaux cartographes » est aboutie au sein de projets de cartographie participative ou collaborative. Nous pensons avant tout au projet de cartographie collaborative et communautaire à grande échelle, OpenStreetMap, qui, sur le modèle des projets de connaissance collaborative et selon un principe d’autorégulation (de type Wikipédia)327, offre une alternative gratuite et libre de droit au monopole de Google Maps. Tout le monde peut contribuer à cette grande carte du monde, les utilisateurs produisent ainsi leur propre carte. Parmi les projets de cartographie participative qui favorisent la constitution de nouveaux types de cartographes, nous pouvons citer des projets à dimension à la fois universitaire et humanitaire ou associative : par exemple le projet « Cartographies-traverses » mené par Sarah Mekdjian et Anne-Laure Amilhat Szary, géographes à l’Université de Grenoble, et membres du Collectif Antiatlas des frontières, qui consiste à animer des ateliers de cartographie avec des migrants afin de consigner, de communiquer et ainsi de visibiliser leurs parcours jusqu’en Europe. Cette entreprise s’accompagne d’un travail conséquent, avec les migrants, sur la sémiologie, pour adapter la légende aux situations et aux émotions jalonnant les parcours de migration328. On peut également citer la démarche du groupe de recherche-action Les Urbain.e.s, qui travaille sur la place des femmes dans l’espace public à Gennevilliers et qui a invité femmes et hommes à représenter par des cartes mentales leur appréciation de l’espace public gennevillois (agréable, désagréable ou neutre, Figure 11329). La carte mentale est par définition une méthode de collecte d’informations géographiques individuelles et subjectives330. On peut encore citer des initiatives associatives qui font usage de la carte participative avec comme objectif et fonction de créer du lien entre les participants, d’offrir un support de discussion et de localiser concrètement et donc de clarifier certaines revendications. C’est par exemple le mode opératoire des associations Droit à la /belle)ville331 ou Carthorisons. Cette

327 « OpenStreetMap est bâti par une communauté de cartographes bénévoles qui contribuent et maintiennent les données des routes, sentiers, cafés, stations ferroviaires et bien plus encore, partout dans le monde. » ;« OpenStreetMap est une carte du monde, créée par des gens comme vous et libre d’utilisation sous licence libre. », OpenStreetMap France [En ligne], consulté le 24 juin 2016. URL : http://www.openstreetmap.org/#map=4/34.20/172.00 et http://www.openstreetmap.org/about. 328 MEKDJIAN, Sarah et AMILHAT SZARY, Anne-Laure, « Cartographies-traverses, des espaces où on ne finit jamais d’arriver », Visionscarto [En ligne], mis en ligne le 27 février 2015, consulté le 22 juin 2016. URL : http://visionscarto.net/cartographies-traverses.

329 La consigne qui accompagne ce projet de cartographie participative est la suivante : « Tracer vos déplacements dans Gennevilliers en différenciant les parcours appréciés en vert, les parcours sans intérêt (ni aimé ni malaimé) en noir, les parcours faisant l’objet d’un malaise, d’une appréhension, d’une méfiance en rouge. En trait plein on dessinera les trajets de jour, en pointillés les trajets nuit, en variant les couleurs selon le ressenti » (Groupe de recherche les Urbain.e.s – Hypothèse [En Ligne], dernière mise à jour en 2016, consulté le 27 septembre 2016. URL : http://urbaines.hypotheses.org/.

330 On peut citer par exemple l’article de Nicolas Lambert, « des cartes dans la tête » pour définir la carte mentale : « En géographie, la carte mentale est une méthode permettant de recueillir des informations spatiales. Il s’agit en fait d’une technique d’enquête permettant de collecter des informations sur un territoire donné. Introduites en Angleterre dans les années 1970 et appliquées dans un premier temps à l’espace urbain (Lynch, 1976), les cartes mentales permettent d’acquérir et collecter des “connaissances” spatiales individuelles et subjectives. Pour cela, la personne enquêtée est invitée à dessiner à main levée sa propre perception de l’espace géographique sur une feuille blanche. On parle alors de “sketch map” (“cartes-croquis” ou “cartes-esquisses”). », Carnets NéoCartograhiques [En ligne], mise en ligne le 23 juin 2016, consulté le 24 juin 2016. URL : https://neocarto.hypotheses.org/2389.

331 Voir la page Facebook de l’association Droit à la /belle)ville, consulté le 22 juin 2016. URL : https://www.facebook.com/Droit-%C3%A0-la-belleville-188818994785758/?fref=ts.

dernière collabore avec le collectif Prenons la ville sur la thématique du logement à Montreuil332. L’intérêt de la cartographie n’est alors pas l’objet fini qui résultera de ces consultations – la carte en elle-même –, mais tout le processus qui a servi à la créer, le dialogue qu’elle a ouvert, la réflexion sur l’effort de formulation et de formalisation qu’elle a nécessité. Nous pouvons encore citer un film cartographique, Vidéocartographies : Aïda, Palestine, de Till Roeskens333, composé de séances de tracés cartographiques par des réfugiés palestiniens du camp de Aïda à Gaza. Les cartes, que l’on voit se tracer sur l’écran, sont accompagnées de la voix du ou des cartographes qui racontent, grâce à ce support, leur histoire. Ici la carte est deux fois révolutionnaire : d’abord parce qu’elle montre, au sens propre, la version du territoire et de l’histoire des populations en guerre, ensuite parce qu’elle est en 3 dimensions – longueur du plan, largeur du plan et temps de la vidéo –, permettant ainsi de montrer une véritable histoire-géographie des territoires quotidiens de la guerre Israël-Palestine. Enfin, nous pouvons évoquer les recherches menées dans le champ de la « cartographie sensible », méthode empruntée aux paysagistes et qui consiste à libérer « l’imagination » et « la créativité du cartographe ». La géographe Elise Olmedo, par exemple, développe une réflexion sur « l’émancipation » que cette technique constituerait par rapport à la cartographie « conventionnelle », pour représenter l’espace quotidien pratiqué par les femmes d’un quartier pauvre de Marrakech334. Enfin, c’est la fonction de la cartographie qui peut être « autre ». C’est le cas de tous les exemples déjà cités, ainsi que, de manière exemplaire, de la carte-manifestation mise en ligne par « Loi-travail : Non, merci ». Le site permet de se localiser sur une carte, geste qui équivaut, selon lui, à une nouvelle manière de manifester ou de signer une pétition (Figure 12)335.

Figure 12 : carte manifestation contre la loi El-Khomri – « Loi travail : Non merci »

Ces quelques exemples de cartographies « alternatives » nous intéressent en tant qu’ils illustrent le fait que la cartographie peut se départir de la réputation de domination et de coercition qu’elle porte souvent. Elle

332 Voir la restitution photographique d’un événement de cartographie participative sur la page Facebook de l’association Carthorisons, consulté le 22 juin 2016. URL : https://www.facebook.com/carthorisons/?fref=ts.

333 ROESKENS, Till, Vidéocartographies : Aïda, Palestine, 2009, publié sur Vimeo [En Ligne], mis en ligne en 2013, consulté le 18 juillet 2016. URL : https://vimeo.com/64089801.

334 OLMEDO, Elise, « Cartographie sensible, émotions et imaginaire », Visionscarto [En Ligne], mis en ligne le 15 mars 2015, consulté le 24 septembre 2016. URL : http://visionscarto.net/cartographie-sensible#nh10. Voir également la thèse d’Elise Olmédo : OLMEDO, Elise, « Cartographie sensible. Tracer une géographie du vécu par une recherche création », Thèse de géographie, sous la direction de Jean-Marc Besse, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, soutenue le 13 novembre 2015.

335 La carte est accompagnée de la consigne suivante : « Vous pouvez manifester symboliquement dès maintenant en vous ajoutant sur cette carte. Il suffit de Tweeter avec le tag #LoiTravailNonMerci, en activant la géolocalisation. Si vous n’avez pas de compte Twitter, cliquez sur “depuis le site”. », « Manifester », Loi travail : Non merci [En ligne], mis en ligne en 2016, consulté le 22 juin 2016. URL : http://manifester.loitravail.lol/.

peut en effet, au contraire, devenir une arme politique d’émancipation populaire. 1.2.3.2. Un autre espace cartographié

Cartographier autrement implique aussi de considérer les cartographies d’autres espaces que celles de l’espace géographique référentiel. Dans ce cadre nous pouvons mentionner la cartographie des données abstraites et de connaissances. Plusieurs types de cartographies abstraites ont été formalisés depuis les années 1960 (voir Annexe 2, Figure 2). Parmi elles se trouvent la cartographie heuristique qui « vise à optimiser l'organisation et la mémorisation des idées en recourant à une visualisation schématique non linéaire, arborescente et hiérarchisée, des informations336 » (voir Annexe 2, Figure 3). Malgré la prétention à l’appréhension non linéaire des informations, ces schématisations adoptent une logique arborescente de compartimentation qui correspond, somme toute, à la structure de pensée du « classique » plan détaillé. Son apport ne réside donc que dans la visualisation. Nous pouvons également évoquer les cartes conceptuelles qui offrent des « outils pour l’organisation et la représentation des connaissances. Elles comportent des concepts, généralement notés dans un certain nombre de modèles de cases ou de cercles, et des relations entre ces concepts, qui sont indiquées au moyen de lignes. Des mots sur ces lignes précisent la relation entre deux concepts337 », d’après Joseph Novak, leur créateur (voir Annexe 2, Figure 4). Ce sont des schémas qui mettent en lumière les liens transversaux dans une pensée, dans l’élaboration d’un concept. Ainsi ces cartes conceptuelles nous semblent davantage intéressantes dans le cadre d’une réflexion sur la performance de la cartographie pour une appréhension et une communication spatiale des informations. Ces cartographies abstraites inspireront certaines de nos représentations du récit de Nedjma.

La référence à ces types de « cartographies » – désignée par le terme « cartographie » par leurs auteurs et utilisateurs – posent la question de la frontière entre carte et graphique, entre la « map » et le « mapping ». En effet, ces représentations peuvent-elles encore participer à la réflexion cartographique alors que l’espace qui y est représenté n’a aucune dimension matérielle ? Ou n’est-ce là qu’un usage métaphorique du terme et de la technique ? Certains théoriciens de la cartographie, comme Denis Cosgrove, appellent à l’élargissement de la définition de la carte (map) jusqu’à lui substituer celle de mapping, entendu « dans le sens large avec lequel les géographes culturels l’utilise maintenant : c’est-à-dire comme le fait de représenter un savoir spatial sous forme graphique338 ». Pour Cosgrove, l’élargissement de la définition vers le mapping se fait surtout dans la direction de l’art qui utilise et participe à la conceptualisation la cartographie, mais on peut trouver dans cette définition, effectivement très large, la possibilité d’y intégrer les « cartographies » abstraites et non géographiques que nous avons citées.

Dans notre cas, la question se posera en fait différemment, puisque l’objectif de la thèse est de montrer

336 NOBIS, Pierre, « Cartes heuristiques : pourquoi ? pour qui ? », Agence des usages TICE [En Ligne], mis en ligne le 4 février 2014, consulté le 24 septembre 2016. URL : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/les-cartes-heuristiques-pourquoi-et-pour-qui-65.htm

337 NOVAK, Joseph D., « La théorie qui sous-tend les cartes conceptuelles et la façon de les construire », Rezo [En Ligne], consulté le 24 septembre 2016. URL : http://sites.estvideo.net/gfritsch/doc/rezo-cfa-410.htm

338 ». COSGROVE, Dennis, « Cultural cartography: maps and mapping in cultural geography », art. cit., §25. Traduction personnelle. Texte original : « in the expanded sense in which cultural geographers now use it: organizing, documenting and representing spatial knowledge in graphic form.

que l’espace littéraire est réellement un espace – avec une dimension matérielle, le texte – et qu’en faire des cartes n’est pas une opération métaphorique (la métaphore impliquant de traduire quelque chose de non spatial dans un mode spatial).