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L’Atlas littéraire de l’Europe ou la gestion de l’incertitude des données

Conclusion sur la généralisation en littérature

Chapitre 3 : Les cartes littéraires – Rencontres de la modélisation géographique et de la modélisation littéraire géographique et de la modélisation littéraire

3.3. Les cartes heuristiques

3.3.2 Cartographie et bases de données de la géographie intradiégétique (9)

3.3.2.1. L’Atlas littéraire de l’Europe ou la gestion de l’incertitude des données

Plus généralement, l’Atlas littéraire de l’Europe (A Literary Atlas of Europe) que dirige Barbara Piatti se focalise sur les « lieux d’actions littéraires » et développe plusieurs projets cartographiant la littérature

636 Voir la vidéo de présentation du projet sur la page d’accueil du site internet de Mapping the Republic of Letters. Ibid.

637 Le Projet A Literary Atlas of Europe, Institut de Cartographie de l’Institut Fédéral Suisse de Technologie de Zurich. Literaturaltas [En Ligne], mis à jour en 2016, consulté le 27 juillet 2016. URL : http://www.literaturatlas.eu/.

638 MORETTI, Franco, L’Atlas du roman européen (1800-1900), op. cit., et MORETTI, Franco, Graphes, cartes et arbres. Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature, op. cit..

639 Le projet « aims at visibly rendering such complex overlays of real and fictional geographies. » selon la page présentant les motivations de l’atlas dirigé par Barbara Piatti. Page « Motivation », Literaturaltas [En Ligne], mis à jour en 2016, consulté le 27 juillet 2016. URL : http://www.literaturatlas.eu/en/project/project-frame/motivation/

640 Voir la critique de Jörg Döring à ce sujet. DÖRING, Jörg, « À propos du mapping en critique littéraire de Nagel à Piatti », art. cit., p. 166.

européenne, selon trois approches. La première approche consiste à choisir une région et à cartographier les « lieux d’action littéraire » des textes marquants qui s’y situent. C’est la « méso-géographie d’une région littéraire ». C’est par exemple le cas de l’étude menée par Kathrin Winkler et Kim Seifert sur la Frise septentrionale (Frontière entre l’Allemagne et le Danemark), qui aboutit au résultat que la « région modèle » (la méso-région) doit en fait être divisée en sous-régions qui sont évoquées chacune de manière originale dans les textes (Figure 28, voir aussi Annexe 16, figure 40). La deuxième méthode consiste à cartographier une œuvre entière – c’est la « géographie d’un texte isolé » (voir Annexe 16, figure 41). Enfin, une troisième approche propose de cartographier un « macro-espace littéraire » dans un esprit de synthèse beaucoup plus large641.

Figure 28 : Cartes du nombre de lieux et zones d’action dans des textes prenant place en Frise Septentrionale (Frontière entre l’Allemagne et le Danemark), à deux périodes (non précisées)642.

L’intérêt principal de ce projet, nous semble-t-il, est la centralisation de toutes les données littéraires dans une même base de données, à laquelle peut participer un grand nombre d’universitaires, par le concourt d’un formulaire simplifié643, et dont le modèle de la structure est rendu publique sur le site du projet (Figure 29). La cartographie selon l’Atlas littéraire de l’Europe est pensée est conçue comme « digitale, interactive, animée, reliée à une base de données » et interdisciplinaire ; et c’est à ces conditions, selon Barbara Piatti, que la cartographie littéraire peut se renouveler après déjà un siècle d’expérimentations644.

Il est intéressant de commenter ce modèle de données car il est assez représentatif des bases de données géographiques référençant des objets culturels. La base de données est organisée autour de l’objet spatial, toujours défini avant tout comme un point (les routes sont converties en points d’étape (« waypoint ») et les zones sont obtenues par transformation, à posteriori, selon un paramètre combinant plusieurs points (« combined setting »)). Cet objet spatial fait le lien entre les informations géographiques purement formelles (partie inférieure du schéma UML, Figure 29) et les informations littéraires ou de contexte (partie supérieure du schéma UML). Il est enfin

641 Nos empruntons ces trois classes synthétiques à Jörg Döring. DÖRING, Jörg, « À propos du mapping en critique littéraire de Nagel à Piatti », art. cit., p. 164.

642 WINKLER, Kathrin et SEIFERT, Kim, « Northern Frisa – a literary-geographical observation », Literaturaltas [En

Ligne], mis en ligne le 16 février 2012, consulté le 27 juillet 2016. URL :

http://www.literaturatlas.eu/en/2012/02/16/northern-frisa-a-literary-geographical-observation/.

643 Voir l’explication du fonctionnement du « data submission forum », « Data acquisition », Literaturaltas [En Ligne], mis à jour en 2016, consulté le 27 juillet 2016. URL : http://www.literaturatlas.eu/en/project/project-structure/data-acquisition/. 644 PIATTI, Barbara, « Literary Geography – or how Cartographers open up a New Dimension for Literary Studies », dans Proceedings of the 24th International Cartographic Conference, Santiago de Chile, 2009.

intéressant de constater que l’information de l’incertitude de la donnée, liée à la précision de la référence géographique dans le texte, figure parmi les paramètres basiques de chaque objet spatial (« not mappable », « certain », « uncertain », « indetermined »). La précision de la donnée et la fixation de ses coordonnées géographiques sont des problèmes qui se posent de manière centrale dans toute entreprise de formalisation de données littéraires fictionnelles, puisque les informations géographiques n’y sont pas toujours explicites, ni systématiques. La réponse graphique de l’Atlas littéraire de l’Europe à cette difficulté est de varier sur les cartes entre figurés ponctuels pour implanter les lieux localisés explicitement ou qui peuvent être exactement localisés par indices, et figurés de surface645, lorsque les lieux ne peuvent pas être exactement localisés, mais qu’une zone peut être estimée646. L’Atlas littéraire de l’Europe ouvre en tout cas quelques pistes pour guider les choix auxquels tout cartographe littéraire doit se confronter.

Figure 29 : Modèle de la base de données du projet A literary Atlas of Europe en UML647 simplifié. 3.3.2.2. De la flexibilité de la base de données géo-littéraire

A propos de la construction de bases de données capables d’accueillir des informations géographiques

645 Il faut préciser que la surface peut aussi avoir d’autres significations dans l’Atlas : quand le lieu est défini précisément mais qu’il a une grande extension spatiale (utilisation classique de l’implantation zonale en cartographie) ou que plusieurs lieux ponctuels plus ou moins proches constituent une zone d’action homogène.

646 Pour plus d’informations sur la manière dont l’équipe du Literary Atlas of Europe a statué sur les problèmes d’incertitude des données, voir REUSCHEL, Anne-Kathrin et HURNI, Lorenz : « Modelling Uncertain Geodata for the Literary Atlas of Europe ». dans KRIZ, Karel (dir.), Lecture Notes in Geoinformation and Cartography. Understanding Different Geographies, Berlin Heidelberg, Springer, 2012, p.135-157.

647 L’UML est un langage de modélisation unifié (Unified Modelling Language en anglais) qui permet de schématiser graphiquement et de manière normalisée la conception de systèmes, notamment la structure de bases de données, et de communiquer à son propos.

extraites d’œuvres littéraires fictionnelles, nous pouvons citer le projet de création d’un outil « géomatique socio-littéraire » mené par Amy Wells et Farid Boumediene (Université de Limoge)648.L’outil réalisé semble somme toute assez classique, mais nécessite une réelle coopération interdisciplinaire et entraine quelques réflexions intéressantes. Il consiste en une base de données relationnelle SIG « associée à des saisies d’analyse littéraire sur les lieux, les personnages, les trames, etc., d’une œuvre littéraire. Les tables de la base de données sont liées entre elles pour pouvoir répondre aux requêtes et croisement de données649. » Les résultats des requêtes sont ensuite exportés vers des logiciels de cartographie pour leur mise en forme finale. L’intérêt de cette démarche est d’insister sur le fait que l’étude soit composée de deux phases : premièrement la construction de la base à partir du corpus littéraire, c’est-à-dire fondée sur une analyse littéraire plus classique en amont, et deuxièmement l’exploration de la base et des données à travers des requêtes vers une (ré)interprétation du corpus (à propos par exemple des fréquences de citations des lieux, de l’intertextualité, de l’émergence d’archétype de lieux, etc.). La cartographie ne peut se substituer totalement à l’analyse textuelle, les deux sont complémentaires et s’influencent mutuellement. Notre méthode sera aussi ponctuée par ces deux volets. Le compte rendu de cette expérience souligne enfin l’importance de pouvoir explorer la base de données selon des objectifs divers, et donc la nécessité de construire une structure de base flexible. Cette préconisation rejoint aussi notre volonté : bien que la manière de construire la base de données influence forcément les résultats des requêtes, l’objectif est de construire une base assez flexible pour permettre d’y voguer selon différents objectifs (non seulement la perspective géographique) et pour diminuer au maximum le biais provoqué par l’outil650.