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Une époque charnière

Renouvellement des sports de nature

1. Une époque charnière

sensations fortes aux pratiquants, démultiplié par la prise de risques (Raveneau, 2006 ; Martha & Griffet, 2006).

Ces activités naissent en marge du monde sportif dont elles n’incarnent pas les valeurs. Mais leur développement – voire leur succès – amène les uns et les autres à se rencontrer. Des franges des nouveaux arrivants cherchent une reconnaissance du monde sportif, tandis que les dirigeants de ce dernier voient dans ces activités un fort potentiel de développement, à l’heure où la croissance des effectifs de licenciés atteint un palier. Dès lors, c’est le choc des cultures : avec plus ou moins de succès, chacun tente de s’intégrer sans se compromettre dans les valeurs et l’identité qui ont fait le succès de la pratique.

1. Une époque charnière

1.1 L’ère californienne

Dans sa thèse, P. Mao (2003) retrace la dynamique historique du développement des sports de nature et caractérise cette période par ce titre : « l’ère californienne et technologique : vers une diversification, massification et diffusion spatiale des pratiques sportives de nature » (p. 146). En premier lieu, l’ère « californienne » fait écho aux travaux d’A. Loret (1995) qui démontre que les sports émergeants, comme le surf, sont nés des cultures « beat » et « hippy » qui se développent particulièrement en Californie et dont les valeurs de rejet des institutions établies se traduisent dans ces activités physiques. G. Lacroix (1982), qui a plus particulièrement étudié la planche à voile, met en évidence cette culture « fun » et « free » dans les sports de glisse.

En second lieu, P. Mao (2003) affine son analyse en multipliant les exemples pour appréhender plus précisément les phénomènes multiples qui contribuent à bouleverser en profondeur les sports de nature. Il en dénombre six :

- la création de nouvelles pratiques, comme le vol libre ;

- l’émergence de nouveaux instruments issus d’innovations techniques, comme le vélo tout terrain ;

- l’utilisation ou la création de nouveaux supports, à l’image des structures artificielles d’escalade ;

- l’apparition de nouveaux usages de pratiques existantes ;

- l’hybridation entre différentes pratiques, à l’image du canyoning ;

- de nouvelles formes de cultures sportives s’inscrivant dans de nouvelles relations au corps, à la nature et aux autres.

Il est possible de regrouper et de simplifier ces catégories, en partant du principe que le changement de rapport au corps et à la nature est le fondement contextuel d’une évolution des pratiques. Dès lors, en tant que pratiques sociales, elles évoluent dans ce sens et deviennent les vectrices, sinon les accompagnatrices, de ce changement. Ces pratiques doivent intégrer les nouvelles représentations ou échouer dans la marginalité. Dès lors, le renouvellement des formes de pratique use des leviers qui sont à l’origine des mutations des activités : évolution du terrain, des enjeux et des équipements qui produisent de nouvelles formes de pratique. Le système des sports prend une nouvelle configuration(Figure 21).

Figure 21. Le système des sports de nature (à partir des travaux de C. Pociello (1981), annoté par P. Mao (2003))

Le schéma de C. Pociello est intéressant à plusieurs titres. Sans aborder ici tous les aspects liés au capital culturel, économique et aux phénomènes de distinction liés à l’application du modèle de P. Bourdieu (1979), il est intéressant de noter les indicateurs retenus par C. Pociello. Il y a deux lignes directrices liées : 1. aux engins (instrumentés sans machines ; machines écologiques ; machines motorisées) ; 2. aux modalités (libres ; balisées). Cette dernière formule n’est pas très heureuse mais l’idée sous-jacente est liée à l’espace de pratique investi qui sera l’objet d’aménagements plus ou moins importants.

Ces deux éléments participent largement à la définition des activités et des modalités de pratique. Le renouvellement des activités est largement conditionnée par la création de nouvelles combinaisons entre les engins et les espaces investis. Ces espaces ne sont pas seulement libres ou balisés. Ils ont aussi des caractéristiques différents liées aux éléments naturels rencontrées, aux obstacles qu’ils opposent et plus précisément à leur topographie. Face à ces espaces, l’innovation dans les engins ouvrent la voie à d’innombrables modalités d’investissement.

1.2 Une mouvance favorable

Les travaux de sociologie du sport, qui se multiplient au début des années 1980, débouchent sur une réflexion prospective sur le devenir du monde sportif. C. Pociello (1999) définit quatre tendances très nettes :

1. massification et diversification des activités, 2. féminisation de l’ensemble des pratiques,

3. allongement de la durée des cycles de vie sportifs, 4. recherche de modes d’organisation à faibles contraintes ; et cinq faits porteurs d’avenir :

1. individualisation, ou mieux, personnalisation des activités, 2. délocalisation, écologisation, agoraphilie,

3. combinaison, enchaînement, hybridation d’activités diverses,

4. technologisation des pratiques (instrumentation, appareillage, véhicules), 5. mise en forme aventureuse des activités.

C. Pociello propose quelques éléments d’explication de ces nouvelles demandes. Elles s’expriment à travers « la valorisation du vécu corporel (comme vague sentiment anti-compétitif ou comme critique fondamentale de la société industrielle machinique), la mise en jeu hédoniste et mystique du corps dans les nouvelles pratiques d’exercice, (exprimant une méfiance vis-à-vis de la morale sportive de l’effort, ou le refus de l’instrumentalisation corporelle excessive que produisent les sports hyper-codifiés) et l’émergence d’une aspiration informationnelle » (1981, p. 11). D’aucuns y verraient les traits du post-modernisme. Ces valeurs constituent le creuset dans lequel naissent et se développent les sports de nature que nous avons cités précédemment.

En effet, l’écologisation est un mouvement en faveur des activités qui sont organisées en pleine nature. Là, face aux aléas du climat et de l’environnement, l’aventure est souvent au rendez-vous241. L’hybridation des pratiques et la multiplication des formes de pratique (Schut, 2007a) qui donnent parfois lieu à la création de nouvelles activités sont d’autant plus aisées que ces activités ne sont pas bridées par les carcans du modèle compétitif. Nous en donnerons différents exemples dans les pages qui suivent. Enfin, l’archétype du mode d’organisation à faible contrainte est souvent représenté par la tribu de surfeurs (Augustin, 1994). Ainsi, si le sentiment « anti-compétitif » évoqué par C. Pociello met un frein à la croissance du sport dans les clubs qui défendent le modèle compétitif, la demande d’activités physiques peut trouver une offre dans les sports de nature et contribuer à créer une offre en stimulant le développement de nouvelles pratiques. C’est bien cette période faste dans les sports de nature qui contribue à faire de ces activités les préférées des Français242.

Mais une conjoncture et une étude prospective ne sauraient remplacer l’épaisseur de l’analyse historique, qui tente de restituer toute la complexité du réel. Restituer ici l’ensemble des innovations et dynamiques qui ont conduit au développement de nouvelles pratiques et attiré de nouveaux adeptes serait impossible et illusoire. Impossible, car les initiatives sont trop nombreuses pour être recensées de manière exhaustive, et illusoire car, dans ce foisonnement, pour dix activités qui ont conquis

241 S. Venayre (2002b) souligne d’ailleurs la proximité entre l’alpinisme et la littérature d’aventure.

242 Voir le chapitre 6. ‘Le goût affirmé des Français pour les sports de nature : mythe ou réalité ?’ (pp. 117-130) de B. Zédet & L. Muller (2005).

les masses, cent autres ont existé de manière éphémère ou isolée dans le temps et/ou l’espace. Aussi nous bornerons-nous à étayer ce raisonnement par quelques exemples emblématiques qui ont fait l’objet de travaux de recherches.

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