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Nouveaux engins, nouveaux sports de nature

Renouvellement des sports de nature

2. Nouveaux engins, nouveaux sports de nature

les masses, cent autres ont existé de manière éphémère ou isolée dans le temps et/ou l’espace. Aussi nous bornerons-nous à étayer ce raisonnement par quelques exemples emblématiques qui ont fait l’objet de travaux de recherches.

2. Nouveaux engins, nouveaux sports de nature

2.1 Le vélo tout terrain

Les travaux disponibles sur l’histoire du vélo tout terrain (VTT) démontrent le transfert de la culture californienne vers la France, semblable à celui qu’a connu le vol libre développé plus loin. En effet, la thèse de doctorat de F. Savre met en évidence l’émergence de l’activité sur la côte Ouest, avec ses leviers de développement médiatiques et économiques qui aboutissent à sa diffusion mondiale, notamment sur le territoire français où la population est culturellement disposée à recevoir avec enthousiasme cet engin et la nouvelle pratique qu’il implique.

La pratique du vélo hors des routes goudronnées commence au début des années 1970, autour de la baie de San Francisco. Les pentes du Mont Tamalpais offrent un terrain de jeux à ces cyclistes d’un nouveau genre qui ont soif d’aventure, de sensations de vitesse et de défis. Les expressions qui ressortent des entretiens réalisés par F. Savre, J. Saint-Martin & T. Terret (2010) auprès des pionniers de l’activité est : « just for

fun » ou « to have fun between friends ». Les premières expériences isolées créent des

émules, des associations voient le jour, des rassemblements et des compétitions sont organisés.

Bientôt, l’initiative commerciale participe à une diffusion de cette nouvelle pratique, face à un marché potentiel particulièrement important. Parmi les pionniers, certaines personnes mettent à profit des compétences techniques acquises dans leur formation professionnelle pour améliorer l’engin. Savre (2009) met en évidence le bricolage initié par les premiers pratiquants avant que certains d’entre eux, comme Gary Fisher, lancent une activité commerciale pour répondre à une demande de plus en plus importante. Dans son commerce, inauguré en 1979, la production vendue passe de 200 vélos à 2000 en deux ans. Les années 1980 voient exploser le nombre de vélos vendus. De 1983 à 1989, les ventes de vélos adultes passent de 10 à 23 millions.

En 1983, Stéphane Hauvette, au fait des initiatives engagées outre-Atlantique, inaugure en France le premier événement, dans une station de ski, avec l’aide de Gary Fisher. C’est le début du succès de l’activité. L’importation des premiers modèles de

mountain bikes, produits désormais à des prix les rendant plus accessibles, contribue à

diffuser très rapidement la pratique en France.

Le lancement et le développement du vélo tout terrain s’appuient sur des acteurs économiques qui accompagnent, sinon favorisent, la diffusion de la pratique. À l’image du ski, au début du XXe siècle, l’équipement et son accessibilité jouent un rôle important. Comme le ski également, la notion de « challenge » et l’institutionnalisation de compétitions accompagnent rapidement les pratiquants. Après quelques courses locales, les VTTistes se rapprochent des institutions sportives pour organiser la pratique de compétition. Dans certains cas, des groupements différents des fédérations existantes se manifestent pour exprimer la spécificité de leur

pratique mais le modèle sportif compétitif prévaut malgré tout. Les rapprochements s’opèrent au niveau national puis international ce qui permet, au bout du compte, de faire du VTT une discipline olympique lors des Jeux olympiques d’Atlanta en 1996. Cette brève évocation des travaux de F. Savre sur l’histoire du VTT montre comment une nouvelle pratique émerge en France, dans les années 1980, issue d’une innovation qui se développe en Californie. Le succès mondial du VTT est lié au fait que cette pratique s’est trouvée en phase avec les attentes du public : pratiquer une activité physique accessible, dans un environnement naturel, pour le plaisir. Si certains adeptes s’opposent dans des compétitions, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une forme de pratique quantitativement minoritaire, même si elle capte la part la plus importante de la médiatisation de l’activité. Les millions de VTT vendus témoignent, quant à eux, d’une pratique de masse, organisée en marge des instances sportives, entre amis, à l’image de la pratique des pionniers.

2.2 Le vol libre

Le vol libre s’inscrit dans ces pratiques qui ont bénéficié d’une curiosité durable des hommes mais qui ont connu une évolution particulière au cours des années 1970. En France, deux études sont incontournables sur le sujet : d’une part, le travail pionnier de C. Pociello (1978) qui a choisi d’enquêter auprès des pratiquants de cette activité pour construire l’espace des sports ; d’autre part, la thèse de D. Jorand (2000) qui étudie l’émergence de l’activité et son évolution après vingt ans de développement et un changement d’engin : lorsque le parapente remplace majoritairement le deltaplane. Si la problématique du vol humain est ancienne, depuis le mythe d’Icare, en passant par les inventions de Léonard de Vinci ou le développement de l’aérostation (Robène, 1996), un souffle nouveau inspire les pionniers californiens du hang-gliding. La réflexion sur l’engin est au cœur de la pratique. Les premières réalisations se font en bambou et polyéthylène. Puis l’engin se perfectionne : armature métallique, voile en dacron comme celle utilisée dans les activités nautiques, et harnais qui rend possible les grands vols – les débuts du hang-gliding se faisaient en appui brachial, technique qui a laissé son nom dans le terme anglophone.

En France, les premiers vols sont réalisés en 1973. L’aile « delta », du fait de sa forme triangulaire, est bientôt produite par une marque, Delta-plane, qui donnera son nom à l’activité pour les francophones. Là encore, il est important de voir que l’engin est au fondement de la pratique. Le deltaplane offre aux hommes la possibilité de voler ; il procure des sensations de vertige et de vitesse ; et il donne une forme de liberté : le matériel est léger et peut être transporté aisément sur le toit d’une voiture. Pour autant, son succès sera rapidement effacé par celui du parapente. Cet engin tout neuf révolutionne le vol libre, sans en changer les fondements mais en offrant une simplicité d’usage et en renouvelant la relation entre l’homme et l’air.

Dans sa thèse, D. Jorand (2000) analyse ces transformations. Plusieurs aspects pratiques sont à retenir. D’une part, l’apprentissage nécessaire au parapente est beaucoup plus rapide : une semaine de formation permet aux deltistes de s’engager dans leur premier grand vol, tandis qu’un ou deux jours suffisent en parapente. Par ailleurs, si le deltaplane est transportable sur le toit d’une voiture, le parapente se range dans un sac à dos et pèse moins de dix kilos, ce qui rend possible la pratique de

l’auto-stop pour rejoindre le décollage après un atterrissage dans la vallée. Mais D. Jorand (2000) évoque également une dimension sensorielle fondamentale : le deltaplane est un engin que l’on pilote, à l’image du planeur, tandis que le parapente représente un prolongement du corps du libériste qui réalise « le rêve de l’air » (Bachelard, 1943).

L’esprit qui anime les libéristes est également important. Leur appellation est déjà symptomatique. Les pionniers sont animés par l’esprit d’une pratique libre, pour le plaisir, les sensations et la sociabilité. Certains refusent la professionnalisation, comme on peut le voir dans l’univers de la spéléologie (Schut, 2007a). Le partage perd de son sens dans une relation tarifée. Mais, comme de nombreuses activités émergentes, le vol libre se segmente rapidement en différentes modalités de pratique qui intègrent des conceptions variées de l’activité : les puristes continuent de voler pour le plaisir, en dehors de toute structure institutionnelle ; d’autres se professionnalisent pour enseigner la pratique à de potentiels pratiquants désireux de s’initier ; enfin, des institutions et compétitions sont mises en place pour ceux qui s’engagent dans la voie de la performance et du record.

Le vol libre offre un nouvel exemple de pratique d’origine californienne qui permet, grâce à la mise au point d’un engin spécifique, de parcourir un univers naturel : l’air. L’esprit des pionniers s’inscrit dans la mouvance socio-culturelle post-1968 mais le succès du parapente implique une diversification des modalités de pratique et la création d’une activité sportive au sens plein du terme, même si cette dernière n’est pas majoritaire parmi les pratiquants.

2.3 La planche à voile

Sur l’eau, l’histoire de la planche à voile ressemble en de nombreux points à celle du VTT. La thèse de doctorat de D. Jallat (2001) analyse historiquement et sociologiquement ce phénomène contemporain de la voile légère. Beaucoup plus ancienne que la pratique du vélo, la voile est une activité de loisirs bien installée depuis le XIXe siècle et s’appuie sur plusieurs millénaires d’expérience nautique utilitaire. Néanmoins, les années 1970 représentent une période charnière dans son histoire, caractérisée par un renouvellement des modalités de pratique dont la planche à voile pourrait être l’emblème tangible.

Les années 1960 sont marquées par une multitude d’innovations technologiques, notamment au niveau de l’accastillage et des matériaux de fabrication, pour améliorer les performances. Dès lors, la rupture avec les années 1970 est forte car, si la recherche de vitesse perdure, elle s’inscrit davantage dans une recherche de sensations que dans la volonté de remporter une victoire. Au lieu d’améliorer les engins existants, la solution est trouvée dans des engins nouveaux et innovants. Les catamarans de sport tels les hobbie cats marquent la différence avec les monotypes de régate, comme les 505, qui ne laissaient aucune place à la voile d’agrément et se destinaient exclusivement à la régate. À l’inverse, le hobbie cat se veut accessible et polyvalent, sans pour autant priver de sensations l’amateur de vitesse car les performances des multicoques sont remarquables.

La planche à voile représente un stade encore supérieur de cette tendance. Comme le souligne D. Jallat (2001), c’est le modèle de pratique et d’enseignement dans sa

globalité qui est remis en cause. Les anciens de l’UNF (Malesset, 1985) se souviennent de longues formations théoriques avant d’avoir pu enfin monter à bord d’une embarcation. La planche à voile, quant à elle, s’apprend facilement, entre amis. Elle s’achète à un prix bien inférieur à celui du moindre bateau et se transporte sur le toit de la voiture. Elle incarne la simplicité et la liberté des pratiques qui émergent à cette époque.

Pour autant, le côté pratique ne prive pas le véliplanchiste de sensations fortes, au contraire. La planche à voile offre des performances séduisantes et son perfectionnement permet même de passer un cap important dans l’histoire de la voile : lancer un engin à une vitesse supérieure à celle du vent. Bien entendu, ces performances donneront lieu à l’organisation de compétitions. Mais le succès de la planche à voile s’exprime par sa diffusion dans des strates de population beaucoup plus nombreuses que celles des yacht-clubs élitistes qui seuls existaient jusque-là. Si l’engin est plus cher qu’un ballon, il n’en demeure pas moins accessible aux classes moyennes qui représentent la majorité de la population active et qui sont entrées simultanément dans l’ère de la consommation (Baudrillard, 1970) et des loisirs (Dumazedier, 1962).

Chacune de ces activités – VTT, vol libre ou planche à voile – a sa propre histoire mais témoigne du même mouvement de fond. Des tendances fortes et des faits porteurs d’avenir se retrouvent en de nombreux points dans ces activités. Sur l’eau, sur terre ou dans l’air, elles témoignent d’une volonté de pratiquer une activité physique dans un milieu naturel. Pour profiter des sensations fortes que procurent ces activités, la mise au point d’un engin technologiquement adapté, c’est-à-dire permettant d’investir le milieu dans des conditions de sécurité satisfaisante et au prix d’un apprentissage rapide, est souvent une clef. C’est pourquoi les innovateurs, bricoleurs de génie ou industriels, et le relais de la fabrication en série, sont les gages d’une diffusion rapide de ces pratiques. L’innovation d’usage n’est pas toujours conditionnée par la technologie, et l’hybridation des activités est également source de créativité.

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