Réseaux de personnes

l’investissement des acteurs du CAF ou du TCF dans le développement des premiers parcs naturels.

Différents travaux ont porté isolément sur l’une ou l’autre de ces institutions : Le Canoë Club a été étudié par Hajek (2007), le TCF par Larique (2006), le CAF par Lejeune (1988) et d’autres, la Société de spéléologie par Schut (2007). L’objectif ici est de croiser les résultats de ces travaux pour essayer de dépasser les monographies et caractériser ces sociétés par leurs similarités et leurs liens. En effet, il ne s’agit pas seulement de ressemblances mais d’échanges. Des membres sont présents dans plusieurs sociétés et participent à la coordination des actions.

1. Réseaux de personnes

Le schéma d’organisation le plus courant dans le sport est de voir se multiplier les associations dont les membres pratiquent la même activité, puis de voir émerger une fédération qui regroupe ces clubs pour organiser leurs relations (chapitre 7). Le développement des associations est d’ailleurs souvent marqué par une logique géographique particulière. L’influence anglaise dans le développement des premières associations sportives a contribué à l’émergence des premiers clubs dans les villes portuaires de la Manche et de la côte Atlantique, avant qu’ils ne se multiplient dans les grandes villes, d’autant plus rapidement que les échanges commerciaux étaient étroits entre les foyers des pratiquants (Augustin, 1995). Ce développement a été notamment observé pour la diffusion du football et du rugby.

Les premières structures qui se fondent à la même période pour organiser les sports de nature s’inscrivent sur un schéma sensiblement différent. Un club est créé au niveau national, généralement à Paris, auquel adhèrent directement et individuellement les membres de toutes les régions de France. La plus ancienne de ces institutions est le CAF, fondé en 1874. Les membres adhèrent tous à une unique structure dont le siège est à Paris. Néanmoins, compte tenu de sa rapide expansion, le CAF s’est progressivement structuré en sections et même en sous-sections (Carte 1 et Carte 2). Si ces sections donnent l’impression d’un réseau de clubs, il ne faut pas se méprendre car il n’existe qu’une seule et unique structure administrative et la direction centrale est souveraine sur les orientations et la gestion de l’ensemble des sections.

Carte 1. Effectifs par sections et sous-sections du CAF en 1876

Sources : Annuaires du club alpin français

De la même façon, le Touring-club de France, fondé en 1890, ne propose que des adhésions individuelles. Malgré des effectifs particulièrement élevés, comparés aux autres institutions (Tableau 1), il ne se dote pas de structures intermédiaires qui rassembleraient les membres à un niveau local. En 1895, la Société de Spéléologie est fondée à Paris. Cette société, beaucoup plus modeste par la taille, ne regroupe que des individus, originaires de toutes les régions de France mais également de l’étranger (Shaw, 1988), à l’image de l’organisation du CAF. Cette faible structuration locale, autant que ce recrutement international, est révélateur d’un mode de fonctionnement particulier. D’une part, il n’existe pas nécessairement le même mode de sociabilité locale que l’on retrouve dans les sports traditionnels et qui, dans certains cas, dépassent l’intérêt pour la pratique elle-même. D’autre part, l’organisation de la pratique ne réclame pas la présence de partenaires et d’adversaires, même si l’activité s’organise souvent collectivement. Les assemblées générales et autres rassemblements qui rythment la vie de ces associations offrent tout de même des occasions de se rencontrer et d’échanger. Enfin, il est important de noter que le club, même si son siège est distant, entretient un lien avec ses membres, notamment à travers l’édition régulière d’un annuaire ou d’une revue qui devient le principal moyen d’échange et qui complète les contacts directs entre les membres.

Tableau 1. Date de fondation et nombre de licenciés par club avant la Première Guerre mondiale Date de fondation Effectifs en 1913

Club Alpin Français 1874 8 000 Société de Spéléologie 1895 400 Touring-Club de France 1890 137 000 Canoë Club de France 1904 218

À la fin du XIX^e siècle, l’édition, dans ces clubs, prend une forme particulière, autour de deux formats bien distincts. D’une part, les informations administratives sur la vie de l’association et des brèves sur les activités des membres ou des informations qui touchent les pratiquants de la discipline, paraissent dans un bulletin comme le bulletin

du CAF ou le Spelunca bulletin de la Société de Spéléologie. Ces bulletins publient les

informations sur les nouveaux membres et les rassemblements qui contribuent à forger une communauté homogène et unie.

D’autre part, et il s’agit là des publications qui ont le plus de valeur pour la qualité de l’information, des « Annuaires » paraissent, comme ceux du CAF, de la STD ou encore les Spelunca Mémoires de la Société de Spéléologie. Ces publications, souvent annuelles, correspondent à des articles de fond d’un format beaucoup plus long, qui s’appuient systématiquement sur les explorations ou les réflexions menées par leurs auteurs.

Sur le fond, l’édition dans les sports de nature n’a rien de commun avec le journalisme sportif tel qu’il se développe, notamment à travers le journal l’Auto-Vélo. Les matches rapportés par des journalistes ou la compilation des scores et des classements dans les

différents championnats, ne ressemblent pas aux récits de courses ou de croisières (Hajek & Marsac, 2008) réalisés par leurs auteurs.

Ils n’ont pas non plus la même fonction. Le récit des expéditions a un rôle important : celui d’être utilisé pour répéter la course réalisée. Cette conscience incite à une description spécifique et à la diffusion des indications qui facilitent les démarches. Il est fréquent d’avoir des informations précises sur la durée des étapes, les moyens de locomotion utilisés, les guides sollicités ou les hôtels dans lesquels se sont arrêtés les voyageurs. La narration descriptive du cheminement suivi est au cœur du texte et laisse parfois la place, en fonction de la sensibilité de l’auteur, à des évocations sur les dangers surmontés, des anecdotes de voyages ou, plus sérieusement, des observations d’ordre scientifique.

Au fil des années, ce travail éditorial conséquent tend à s’épuiser. Si les précieux annuaires paraissent régulièrement, les bulletins voient leur fréquence ralentir par le regroupement des numéros, puis la cessation de leur parution, comme ce sera le cas du bulletin de la Société de spéléologie (Schut, 2007b). Dès lors, le format de la revue évolue pour fusionner les deux types de publications en une seule dans laquelle les articles de fond alternent avec les brèves et autres informations sur le fonctionnement du club. Les sociétés créées plus tardivement, comme le TCF ou le CCF, fonctionnent uniquement sur ce modèle. Leurs articles sont néanmoins plus courts que ceux qui pouvaient paraître dans les Annuaires du CAF mais, finalement, cette façon de faire répond mieux aux besoins des membres car les numéros sont plus fréquents que les annuaires et plus riches que les bulletins. De ce fait, le CAF change son format de publication en 1904. Il interrompt trente années de publication des Annuaires pour éditer La Montagne, adoptant le format d’une revue trimestrielle et mêlant différents types d’informations (Encadré 1). Seule la Société de spéléologie conserve le format de ses Mémoires jusqu’à la Première Guerre mondiale. Mais, compte tenu des difficultés de la Société qui ne sera pas relancée à l’issue de la Grande guerre, le dernier paraitra en 1913. Encadré 1. Evolution des publications du CAF entre 1874 et 1914 1874-1904 1904-1914 Annuaire (annuel) Rubriques : - Courses et ascensions - Sciences, industrie et beaux-arts - Miscellanées - Chronique du CAF - Bibliographie et cartographie La Montagne (mensuel) Rubriques : - Articles originaux - Chronique alpine Bulletin (trimestriel) Rubriques (variables selon les numéros): - Direction centrale - Caravanes scolaires - Sections provinciales - Congrès et réunions - Chronique alpine - Clubs alpins étrangers - Bulletin météorologique - Nouvelles et avis divers - Liste des membres nouvellement admis