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Le métier d’éducateur sportif

Des fédérations et des moniteurs

2. Du guide à l’éducateur sportif

2.2 Le métier d’éducateur sportif

officielle des services de la Jeunesse et des Sports. Malgré son succès, les spéléologues, en pleine période de réorganisation institutionnelle (Schut, 2003), mettent quelques années à systématiser ce type de stage de formation de cadres. La Fédération française de spéléologie n’est créée qu’en 1963. Michel Letrône est l’artisan de cette évolution institutionnelle et il s’engagera dans la continuité de la formation de cadres en créant l’École Française de spéléologie dont l’activité progressera rapidement tout en assurant une formation de qualité192.

Ces exemples attestent d’une époque charnière dans les sports de nature entre la fin de la IIIe et le début de la IVe République. Le développement de l’encadrement révèle plusieurs éléments : d’une part, les activités sont en essor du fait, entre autres, du développement des mouvements de jeunesse (Chapitre 7), des politiques publiques (chapitre 8) et de leurs effets sur le développement des loisirs et des sports en particulier (Attali & Saint-Martin, 2015) ; d’autre part, les besoins d’encadrement répondent à un besoin d’apprendre à pratiquer en sécurité. Il est nécessaire de passer par un apprentissage pour s’approprier les techniques et technologies des pratiques et, simultanément, pour éviter les accidents auxquels s’exposent des pratiquants de plus en plus jeunes.

Toutes les fédérations sportives se saisissent de cette problématique et construisent des cursus de formation pour préparer les cadres susceptibles d’initier les nouveaux adeptes de ces activités à leurs techniques et à la maîtrise des engins adaptés aux difficultés de l’environnement qu’ils parcourent. Les contenus de formation révèlent également la spécificité de ces activités car la préparation de la performance cède le pas à la connaissance de l’environnement pour gérer la prise de risque. C’est ainsi que le guide qui, à l’origine, était simplement celui qui connaissait le chemin, est progressivement remplacé par un technicien qui connaît son environnement.

2.2 Le métier d’éducateur sportif

L’intervention de l’État dans le domaine du sport se structure progressivement, depuis le Front populaire jusqu’à la Libération (Chapitre 8). La mobilisation du mouvement sportif pour mener sa politique lui confère des devoirs vis-à-vis de la sécurité de la pratique. Il n’est pas pensable de préconiser des activités physiques pour l’éducation et la santé de la jeunesse alors que ces activités sont accidentogènes. Aussi, la mise en place de la formation de moniteur diplômé est une évidence, sinon une obligation pour l’État français. Pendant le gouvernement de Vichy, la formation d’aides-moniteurs a permis de pallier, dans l’urgence, les besoins d’encadrement, mais cette solution n’est pas durablement satisfaisante.

Finalement, pour répondre aux besoins d’encadrement dans les sports de nature, Le Haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports définit une qualification propre aux « activités physiques de plein air pratiquées sans compétition »193 parmi lesquelles : « activités sous-marines, alpinisme, camping, cyclotourisme, descente de rivière, navigation à voile, ski, spéléologie »194. Trois niveaux hiérarchisent les niveaux de

192 Letrône, M. (2013). Naissance de la Fédération et de l'École française de spéléologie 1960-1974. Villeurbanne : éd. à compte d’auteur.

193 Arrêté du 11 mai 1959 portant sur la création de brevets sanctionnant la formation des cadres chargés de l’enseignement des activités physiques de plein air.

compétence : le brevet d’initiateur de plein air, le brevet de moniteur de plein air, et le brevet d’instructeur de plein air. Ces diplômes valident un temps de formation plus ou moins long, dans deux ou trois des activités précitées. Ils permettent à des intervenants issus des services en charge de la jeunesse ouvrière et rurale, et des directions de la jeunesse et des sports, d’acquérir des compétences techniques et d’accompagner le développement de ces pratiques (Bouchout, 2015).

Enfin, ces certifications spécifiques laissent la place à un cadre national commun à l’ensemble des sports : « l’éducateur physique ou sportif », formulation consacrée par la loi du 6 août 1963. Le canevas général proposé par cette loi doit permettre la mise en place de diplômes professionnels dans chaque activité sportive.

Les sports de nature, relativement professionnalisés dans l’ensemble, s’inscrivent dans le courant de la réforme. Ainsi, en 1963, le brevet d’État de moniteur de plongée sous-marine est créé (Mascret, 2010). En 1965, c’est le tour du brevet d’État de moniteur de voile, dont le lancement accompagne la création de l’École Nationale de Voile. Il est intéressant de noter que les écoles nationales, créées et gérées par le Ministère en charge des sports, sont toutes dédiées à des sports de nature. Par rapport à des CREPS, qui réalisent des missions semblables de formation professionnelle et de préparation à un haut niveau dans les autres activités sportives, ces écoles ont la particularité d’intégrer des activités plus larges autour de ces pratiques. Elles intègrent, notamment, des laboratoires de recherche avec leurs centres de documentation où sont étudiés l’environnement, le matériel, ou encore les animaux, pour ce qui concerne l’école nationale d’équitation. Même si, aujourd’hui, une partie de leur activité est également consacrée au sport de haut niveau, elles incarnent, dans leur structure, la différenciation des sports de nature.

La spéléologie se distingue sensiblement des autres sports de nature, à cette époque, car les dirigeants fédéraux font la sourde oreille aux instances sportives et aux besoins du marché, pour maintenir une certaine indépendance vis-à-vis du ministère. La Fédération française de spéléologie est tout juste créée en 1963 lorsque paraît le texte qui définit le diplôme du brevet d’État. Or, avant de s’engager dans les voies de la professionnalisation, ses dirigeants souhaitent asseoir sa légitimité auprès des pratiquants. Aussi, la création du brevet d’État dans cette discipline est retardée de près de 30 ans, alors que des professionnels assurent déjà des prestations de guidage (Schut & Pierre, 2012).

À cette exception près, les sports de nature suivent sensiblement le même schéma de développement, marqué par une certaine précocité dans sa professionnalisation. Cette chronologie propre est, d’une part, le fait d’une accidentologie particulière inhérente à la confrontation aux aléas des éléments naturels et, d’autre part, liée à une organisation commerciale de l’activité relativement précoce. Dans les sports de nature, les professionnels ont un rôle particulier entre l’État et la population. En effet, d’une manière générale, ces pratiques sont marquées par une faible adhésion au mouvement sportif. Néanmoins, les professionnels touchent une partie importante de pratiquants non fédérés et sont ainsi un relais entre l’État et les pratiquants pour transmettre des connaissances nécessaires à une pratique sécuritaire des sports de nature. Cette volonté constitue même le mot d’ordre de l’Union des Centres de Plein Air (UCPA) dont il a été question dans le chapitre 7.

D’ailleurs, la problématique de la sécurité renvoie à des réalités très différentes dans les pratiques professionnelles. En effet, un éducateur sportif enseigne des techniques corporelles spécifiques qui lui permettent, entre autres, de pratiquer son activité dans

des conditions de sécurité satisfaisantes, tandis qu’un professionnel spécialisé dans les sports de nature apprend d’abord à assurer la sécurité de ses clients, avant d’envisager de leur enseigner des techniques. Il assume avant tout, un rôle de « passeur », c’est-à-dire qu’il doit être capable de guider et d’assurer la sécurité des participants dans un environnement potentiellement dangereux. L’usage du terme de « guide » pour la haute montagne, qui a aussi été utilisé pour les premiers professionnels en spéléologie (Schut, 2007a), prend tout son sens. Ainsi, le professionnel exerce d’abord son métier auprès d’un public néophyte, voire étranger à l’activité. Ensuite, l’acquisition de compétences amène les pratiquants à être autonomes, comme le montre le développement de l’alpinisme sans guide, dès la fin du XIXe siècle (Hoibian, 2001). À l’inverse, la professionnalisation des sports de compétition a généralement suivi un processus qui débute auprès des meilleurs compétiteurs. En effet, les premiers professionnels sont les athlètes qui remportent les victoires au plus haut niveau et leurs entraineurs. D’une part, aux origines du sport, il faut rappeler l’activité des propriétairesqui génère rapidement des flux financiers importants liés aux paris et qui justifie la préparation professionnelle des athlètes. D’autre part, il faut également prendre en compte la multiplication des dotations financières qui récompensent les meilleurs compétiteurs. L’émergence du spectacle sportif se construit sur une logique du profit, dans laquelle l’organisateur cherche à mettre sur pied le spectacle sportif le plus attractif pour attirer le plus grand nombre de spectateurs. Pour cela, il cherche à faire venir les meilleurs athlètes qu’il arrive à convaincre par des cachets généreux. Ainsi, derrière le même titre d’« éducateur sportif », cadré par une loi commune, les réalités de l’activité des uns et des autres sont très différentes. D’un côté, les professionnels encadrent les pratiquants débutants pour assurer leur sécurité et, progressivement, les former à l’autonomie ; d’un autre côté, le professionnel prend en charge les athlètes prometteurs pour les amener au plus haut niveau. Cela a des conséquences sur les modalités de recrutement et les compétences attendues. Dans le sport de compétition, les premiers professionnels sont souvent d’anciens joueurs devenus entraineurs (Grün, 2011), tandis que dans les sports de nature, le professionnel est quelqu’un qui connaît les lieux, comme les guides de la compagnie de Chamonix qui sont exclusivement des chamoniards. Ce critère n’est pas simplement un constat, il est clairement établi dans le règlement. Il faut pratiquement attendre le milieu du XXe siècle avant qu’arrivent les premiers guides originaires des villes. Gaston Rébuffat, Marseillais d’origine, fut l’un des premiers d’entre eux lorsqu’il reçut son diplôme en 1942.

* * * * *

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’État reprend de Vichy l’idée de travailler en partenariat avec le mouvement sportif. Sur un mode incitatif plutôt qu’autoritaire, le mouvement sportif profite d’une relation asymétrique où la subvention versée par l’État est plus généreuse que les devoirs qu’elle impose. Aussi, dans une conjoncture où la demande pour les pratiques sportives est forte et où les organisations qui accueillent les pratiquants se structurent, le soutien financier de

l’État est le bienvenu. C’est pourquoi plusieurs activités de plein air voient leur organisation se conformer au modèle des fédérations sportives.

En dépit de cette normalisation statutaire, les activités de plein air sont traitées différemment par l’État qui s’investit très tôt dans la formation des cadres. Des diplômes professionnels spécifiques sont créés. Des écoles nationales sont également ouvertes uniquement dans le domaine des sports de nature. Ces centres de formation sont encore peu étudiés en dehors de l’ENSA qui a fait l’objet d’une publication récente (Attali, 2015). Là encore, cet investissement dans la formation est justifié par la prise en compte du développement de ces pratiques et la nécessité d’en assurer l’encadrement, professionnel notamment, à même de prévenir des accidents dont les conséquences sont souvent plus dramatiques que dans des activités sportives qui s’organisent dans des infrastructures spécifiques.

Aussi, cette étape de développement des sports de nature est fondamentale car c’est à ce moment que se créent les bases de l’organisation des activités pour les décennies à venir. Cette intégration au monde sportif paraît alors logique et naturelle. Le traitement spécifique de ces activités est d’autant mieux assuré que M. Herzog, nommé Haut-Commissaire à la Jeunesse et aux Sports en 1958, est lui-même alpiniste. Son engagement en faveur des sports de plein air se manifestera également par la création d’aménagements spécifiques détaillés au chapitre suivant.

Chapitre 10

Aménagement du territoire : le cas des bases

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