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Le développement de l’alpinisme et le métier de guide

Émergence d’un secteur économique : équipements et services

2. Le développement de l’alpinisme et le métier de guide

l’innovation d’usage peut, quant à elle, créer ou révolutionner une pratique. Ainsi, l’histoire des technologies utilisées est encore riche en développements futurs.

2. Le développement de l’alpinisme et le métier de guide

Le développement du tourisme sportif entraîne des mobilités dans les régions de France. Là, les touristes peuvent faire appel à des guides. Souvent, notamment en montagne, les touristes s’adressent à des autochtones qui ont, de fait, une connaissance approfondie de la région visitée. Ces guides, improvisés au départ puis de plus en plus structurés, constituent l’une des premières formes de professionnalisation dans le sport. Il s’agit d’une forme originale d’emploi qui se distingue clairement de l’activité d’un entraîneur sportif qui se définira ensuite dans les sports de compétition. Le métier de guide de montagne a déjà fait l’objet de nombreux travaux (Bourdeau, 1991 ; Pinguet, 2002 ; Caille, 2002 ; Bellefon, 2003 ; Mennesson & Galissaire, 2004). Nous nous limiterons donc ici aux éléments mis en valeur par nos propres études.

Aux origines de l’alpinisme, il y a la rencontre entre le désir d’ascensions d’une catégorie de personnes, d’une part, et la connaissance du terrain ainsi que les aptitudes physiques des habitants des régions de montagne, d’autre part. Pour reprendre un exemple classique, l’ascension du Mont-Blanc est le résultat conjoint de la passion d’un homme, Horace Bénédict de Saussure74, qui promet une forte récompense à celui qui atteindra le sommet, et de l’effort de deux chamoniards, Jacques Balmat et Michel Paccard, qui relèvent le défi. Suite à cette expérience, Jacques Balmat, chasseur de chamois et cristallier, devient guide de montagne et accompagne le naturaliste genevois au sommet, dès 1787.

Cette situation n’est pas aussi atypique que l’on pourrait le croire. En 1863, Edward Whymper75 vit une expérience semblable lorsqu’il s’engage dans l’ascension du Pelvoux dans le Dauphiné. Les porteurs et guides sont recrutés sur place, dans les villages qui bordent la montagne convoitée. Mais l’expérience lui est très défavorable. En effet, son guide, qui était censé avoir déjà parcouru cet itinéraire, s’avère peu sûr : « Sémiond venait de jeter autour de lui un regard effaré, comme s’il n’était pas parfaitement sûr de la direction à suivre. Appelé de nouveau, je lui répétai la question : « “À quelle distance sommes-nous du plateau ? – À une demi-heure, répondit-il. – Mais vous nous l’avez déjà dit ; êtes-vous bien certain que nous sommes dans la bonne voie ? – Mais oui, je le crois.” Il ne faisait que croire, ce n’était pas assez. »76. Finalement, ne sachant pas exactement où elle allait, ni combien de temps il lui faudrait pour atteindre sa destination, la cordée revient sur ses pas. À ce problème d’itinéraire, s’ajoutent des limites techniques liées au manque d’aisance du guide en haute montagne : « Le vieux Sémiond, qui avait une antipathie remarquable pour les glaciers, fit de son côté de nombreuses explorations pour tâcher d’éviter cette inquiétante traversée »77. Après cette malheureuse aventure, Edward Whymper revient dans le Dauphiné, trois ans plus tard, pour tenter l’ascension de son point culminant, la

74 Saussure, H. B. de (1779). Voyages dans les Alpes. Tome 2, précédés d'un Essai sur l'histoire naturelle des environs de Genève. Neuchatel : S. Fauche.

75 Whymper E. (1872). Escalades dans les Alpes. Paris : Hachette.

Barre des Écrins78. Cette fois, il fait venir les guides Michel Croz de Chamonix et Christian Almer de Suisse. Ces derniers taillent des marches dans la glace sur les pentes raides qui mènent vers le sommet. Là, le courage, la force et l’habileté des guides sont déterminants pour la réussite de cette entreprise difficile.

Les expériences d’Edward Whymper nous apprennent plusieurs choses sur les guides : en premier lieu, ils sont généralement recrutés au sein de la population montagnarde. Il s’agit d’ailleurs d’une condition règlementaire. Néanmoins, l’origine géographique ne donne pas de certitudes sur les capacités physiques des personnes, comme l’ont révélé les difficultés de Sémiond. En second lieu, certains d’entre eux développent de véritables compétences pour surmonter des obstacles spécifiques à la haute montagne. C’est le cas de Michel Croz et Chrisitian Almer qui ont accompagné de nombreux alpinistes dans des ascensions difficiles.

Le métier de guide se construit progressivement pour répondre aux besoins des touristes. La corporation se structure très tôt : à Chamonix, la Compagnie des guides est fondée en 182179. Mais ces organisations sont souvent locales80 jusqu’à ce que le CAF ne prenne en charge l’organisation de la corporation, peu après sa création. Localement, d’autres instances comme la STD se mobiliseront également autour de cette charge. Ces instances se chargent d’éditer des règlements qui permettent de répondre efficacement aux besoins de la clientèle.

Or, s’agissant d’une activité commerciale, la qualité du service est d’abord liée à l’honnêteté du guide et passe par le respect des biens du client. Edward Whymper81 narre, à différentes reprises, le vol de cigares ou la consommation, aussi discrète que rapide, du vin emporté pour l’expédition. Ensuite, le guide doit afficher une tarification transparente pour ses prestations. À cet effet, la STD publie un annuaire82 des guides accompagné des tarifs des principales courses réalisées dans le Dauphiné. Le règlement des guides de la STD impose également une attestation de bonnes mœurs signée par le maire de la commune83.

Toujours dans le règlement de la STD, le degré de compétence est attesté à deux niveaux. D’une part, par le statut de la personne employée : il est soit porteur, soit guide de seconde classe, soit guide de première classe. La différence de statut est liée à l’expérience que la personne a de la montagne. On devient guide après avoir été porteur et avoir parcouru les « principales de la région »84 et le statut le plus élevé de « guide de première classe » est le fait de la réalisation d’ascensions exceptionnelles. À ce dispositif s’ajoute un carnet dans lequel un guide doit consigner ses courses, attestées par ses clients. De ce fait, l’expérience peut être prise en compte.

L’alpinisme est l’activité dans laquelle la professionnalisation des guides est très précoce et très organisée. D’autres activités connaissent des formes de guidage plus ou moins organisées, notamment la spéléologie. La visite de grottes par des touristes est

78 Appelée alors Pointe des Arcines. Son ascension est relatée dans le chapitre IX de : Whymper E. (1872). Escalades dans les Alpes, op. cit.

79 Rappelons que la Savoie appartient au Royaume de Piémont-Sardaigne jusqu’à son annexion par la France en 1860.

80 Les premières compagnies de guides créées avant la naissance du Club Alpin Français sont celles de Bagnères-de-Bigorre en 1863, de Saint-Gervais-Mont-Blanc en 1864 et de Bagnères-de-Luchon en 1872

81 Whymper E. (1872) Escalades dans les Alpes, op. cit.

82 STD (1901). Guides, porteurs et muletiers de la société. Grenoble : STD.

83 Idem.

encore plus ancienne que l’ascension du Mont-Blanc. Les guides locaux sont ceux qui connaissent le cheminement permettant d’éviter les dangers et qui se munissent de l’éclairage adéquat. Dans certains cas, les grottes font l’objet d’un affermage : le guide obtient un monopole pour exploiter la cavité pour le tourisme (Schut, 2005a). Généralement, les cavités proposées aux touristes sont d’accès aisé et il n’est pas question ici de prouesses techniques particulières.

Cette comparaison est importante car il faut souligner que l’activité de guidage est relativement courante. L’essentiel de l’activité est lié à la connaissance de l’itinéraire adéquat, celui-ci étant rarement parsemé d’obstacles particulièrement difficiles. Ces exemples du XIXe siècle illustrent la spécificité du métier tel qu’il perdure encore dans les sports de nature. Le professionnel montre le chemin à suivre et, lorsque celui-ci est délicat, assiste ses clients pour leur permettre de franchir l’obstacle.

Un autre élément important à considérer est la distance relative qui existe entre la vie des clubs et l’activité des professionnels. Pour l’alpinisme comme pour la spéléologie, les guides professionnels sont apparus bien avant la naissance du CAF ou de la Société de Spéléologie. Ils n’ont pas eu besoin de l’institutionnalisation de ces pratiques pour développer une activité lucrative, dynamisée par le développement du tourisme. Bien entendu, ces professionnels vont, par la suite, interagir avec les clubs et sociétés, mais la relation qui les unit tient davantage d’une complémentarité que d’une dépendance. À l’inverse, les entraîneurs professionnels, tels qu’ils apparaissent dès la fin du XIXe siècle dans certains sports (cf. chapitre 6), sont dépendants de l’organisation des compétitions qui deviennent progressivement l’apanage des fédérations sportives. Les professionnels du sport travaillent souvent pour des clubs affiliés aux institutions sportives. Ainsi, ils sont beaucoup plus étroitement liés au mouvement sportif que ne peuvent l’être les professionnels de sports de nature qui profitent plutôt de l’influence du secteur touristique.

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Les flux économiques, vus du côté des sports de nature, reposent sur des circuits foncièrement différents des autres activités physiques. D’abord, la pratique nécessite presque systématiquement des engins, puisque bon nombre de pratiques se distinguent autant par l’espace naturel investi que par la spécificité de l’engin utilisé pour s’y mouvoir. Au tournant du siècle, l’automobile et l’aviation, en plein développement, constituent les exemples les plus évidents des exigences matérielles et financières nécessaires pour accéder à la pratique. Avant cela, l’aérostation exigeait également un investissement conséquent rentabilisé par l’organisation de spectacles (Robène, 1998). Mais l’enjeu ne se réduit pas à une sélection des pratiquants sur la base de critères économiques.

Les activités prises en exemple, les sports d’hiver, imposent également l’acquisition d’engins spécifiques. Dans la famille des sports d’hiver, qui rassemblent les mobilités sur la neige et la glace, les pratiques se distinguent par le type d’engins utilisés (skis, luges, etc.). Aussi, la création d’engins est un facteur important de développement de pratiques ou de formes de pratiques différentes. Chaque forme de pratique renvoie ensuite à une activité singulière qui connaît son propre développement, sa propre

accessibilité et qui se détache plus ou moins des autres. Par exemple, le patinage sur glace se pratique aujourd’hui davantage en milieu urbain, dans des infrastructures dédiées, que sur des surfaces extérieures dans les régions froides ou en montagne. Les services proposés participent également à rendre une activité plus ou moins accessible financièrement et physiquement. En effet, le guidage est né pour orienter vers le cheminement adapté, souvent le plus aisé. En cela, atteindre un sommet aux allures inaccessibles devient envisageable grâce au soutien d’un guide et de porteurs ; l’expérience de H. B. de Saussure au Mont-Blanc en est la plus belle démonstration. Le service des guides est également un service touristique puisqu’il permet à des voyageurs d’être pris en charge par des autochtones lors de leurs voyages, en montagne notamment. Les synergies entre le tourisme que l’on qualifiera de « sportif » et les guides sont importantes, semblables en de nombreux points à celles que vivent les entraîneurs avec leur fédération sportive. En effet, dans le sport de compétition, l’entraîneur développe son activité professionnelle auprès des sportifs qui s’entraînent pour participer aux compétitions. Dans les sports de nature, le guidage est souvent un service local proposé aux visiteurs de la région.

Chapitre 5

Le tourisme au service du développement du nautisme et de

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