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L’inscription dans les institutions sportives

Des fédérations et des moniteurs

1. L’inscription dans les institutions sportives

1. L’inscription dans les institutions sportives

1.1 Une vague d’institutionnalisation

L’institutionnalisation des sports de nature, évoquée dans la première partie, a révélé un certain nombre de spécificités, notamment des liens avec les acteurs du tourisme et/ou le monde savant, souvent plus étroits que ceux entretenus avec le milieu sportif. Après la Première Guerre mondiale, les sports de nature connaissent une nouvelle vague de création d’organisations, suivie d’une troisième, encore plus forte, à la Libération. Ce phénomène d’institutionnalisation est tout à fait semblable à celui que connaît l’ensemble du mouvement sportif. Il est important de noter que, à la différence de ce qui s’est produit à la fin du XIXe siècle, les organisations qui se créent, se développent cette fois au sein de l’institution sportive, sous la forme de « fédérations françaises ». Entre 1922 et 1931, six groupements sont ainsi créés. Puis, entre 1945 et 1964, dix fédérations supplémentaires viennent assurer la gestion d’un ou plusieurs sports de nature (Figure 16).

Figure 16. Effectif cumulé des fédérations de sports de nature en fonction de leur date de création entre 1922 et 1970

Le partenariat entre l’État et les Fédérations sportives, mis en place à travers la Charte des sports pendant le gouvernement de Vichy, est beaucoup plus séduisant à la Libération car il permet aux organisations sportives de bénéficier de subventions pour une contrepartie insignifiante. Aussi, les années qui suivent le conflit mondial voient la création d’un grand nombre de fédérations, souvent issues d’institutions existantes, qui s’inscrivent désormais en conformité avec le modèle sportif.

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 1922 1927 1932 1937 1942 1947 1952 1957 1962 1967

Cet élan institutionnel, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, est porté en partie par le phénomène de démocratisation et de massification des activités physiques. Les sports, comme les sports de nature, profitent de la conjonction de plusieurs facteurs qui contribuent à faire des années 1960 la période de croissance la plus importante de l’histoire du sport (Figure 17).

Figure 17. Évolution des effectifs licenciés au sein des fédérations sportives

source: Ministère des sports, Stat-info, n°04-06, 2006

D’une part, le phénomène sportif, en tant que spectacle et comme pratique de loisir, a pris de l’ampleur ; d’autre part, les politiques sociales et éducatives accordent une place de plus en plus importante à l’activité sportive, non seulement autour de l’école (Renaud, Grall & Delas, 2014), mais aussi dans l’école (Arnaud, 1982). Il faut également tenir compte de l’affaiblissement des mouvements de jeunesse (Mayeur, 1986) à la fin des années 1950 et dans les années 1960. Ceux-ci, qui avaient largement contribué à transmettre le goût des sports de nature, voient leurs effectifs diminuer. L’hypothèse d’un glissement au profit de l’activité fédérale est plausible. Ce phénomène s’est produit pour certains groupes de spéléologie mais il doit être examiné plus largement pour pouvoir être validé.

Enfin, si le développement du sport a été freiné par le manque d’installations sportives au cours des années 1950, la question ne se pose pas de la même façon pour les sports de nature, même si des aménagements tendent à favoriser le développement de certaines activités (chapitre 10).

Cette multiplication des institutions sportives, synchrone avec celle du mouvement sportif dans son ensemble, et sur un modèle très proche sinon identique des autres fédérations nationales, pose un certain nombre de questions. Nous avons d’ailleurs

1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 6 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 M il li on s

évoqué précédemment (chapitre 6) un phénomène de sportivisation qui, s’il reste inachevé, est cependant assez fort dans certaines activités ou formes de pratique. Il prend de l’importance pendant cette nouvelle période car, comme le suggère Einarsson (1991), la résistance au phénomène sportif expose désormais à un risque de marginalisation.

Le rapprochement qui s’opère avec l’institution sportive et le modèle de la « fédération française » conduit-il à une normalisation de la gestion des activités sportives ? Dans ce cas, comment se manifeste la spécificité des pratiques des activités de plein air ? Les réponses à ces questions sont au cœur des analyses suivantes qui tentent d’embrasser plusieurs cas pour identifier les traits communs à plusieurs de ces activités, des spécificités liées à l’histoire de l’une ou l’autre de ces disciplines.

1.2 Des partenariats avec l’État

Dans le chapitre précédent, le phénomène de « mise en administration » du sport, engagé sous le Front populaire et poursuivi par les gouvernements successifs, a révélé la volonté de l’État de s’appuyer sur le mouvement sportif pour mettre en œuvre une politique dans ce domaine. Dans ce contexte, les sports de nature, qui existaient parfois à travers des institutions atypiques, de par les objectifs qu’elles s’étaient fixés autant que par leur organisation interne, sont amenés à prendre des formes plus conventionnelles, tandis que les activités émergentes sont incitées à s’institutionnaliser en respectant le modèle sportif. En nous appuyant sur les exemples de la montagne, la spéléologie et la plongée sous-marine, il est possible d’appréhender les enjeux et les formes que prennent ces mutations.

- La Fédération Française de Montagne

Durant la Seconde Guerre mondiale, les activités de montagne ont bénéficié de la politique du gouvernement de Vichy puisque le dispositif Jeunesse en montagne a été l’occasion de faire découvrir l’alpinisme à de nombreux jeunes, et également de participer à l’aménagement de l’espace montagnard puisque des chantiers ont été engagés pour rénover des refuges ou améliorer des chemins. Désireux de collaborer plus efficacement avec les clubs, les instances du gouvernement chargées du sport incitent des personnalités du milieu montagnard à créer la Fédération Française de la Montagne (FFM). Née en 1942, cette institution a vocation à réunir les associations qui pratiquent des activités montagnardes. En effet, à cette époque, le paysage est marqué par des acteurs historiques comme le CAF et le Spéléo-club de France, et par un grand nombre d’associations locales n’entretenant pas de lien formel entre elles. La FFM permettrait donc de rassembler les acteurs et d’être l’interlocuteur unique du gouvernement. Ses statuts précisent ses missions :

« Article 1. L’Association dite Fédération Française de la Montagne, a pour but : d’une manière générale d’encourager, faciliter et coordonner la fréquentation, par tous

les moyens et en toutes saisons, de la montagne ainsi que des cavités souterraines, spécialement en France. »189

Bien entendu l’existence de cette institution – dont l’essentiel des membres est issu d’un seul club, le CAF – est susceptible de poser des problèmes de gouvernance, mais la représentation importante des membres du CAF au sein des instances de la FFM évite l’émergence de ce type de tension. De fait, l’adhésion du CAF révèle l’intérêt des clubs à rejoindre la FFM. En effet, celle-ci bénéficie de subventions de l’État qu’elle redistribue aux associations membres en fonction de leurs projets. En 1948, la FFM dispose d’un budget dont le montant total dépasse les deux millions de francs, ce qui en fait un partenaire attractif. Ainsi, pendant de nombreuses années, le Club Alpin Français évoluera dans les rangs de la FFM alors que les groupes de spéléologie qui l’avaient rejointemigrent vers une nouvelle institution sportive.

- La Fédération Française de Spéléologie

En effet, l’après-guerre est une période de bouleversements institutionnels chez les amateurs du monde souterrain. Jusqu’à la Libération, il n’y a qu’un club qui rassemble des individualités à travers toute la France. Mais de plus en plus d’associations pratiquent la spéléologie. C’est pourquoi, en 1946, le Comité national de spéléologie est créé pour réunir les clubs, parmi lesquels le Spéléo-club de France, société historique qui a pris la suite de la Société de Spéléologie, après la Première Guerre mondiale. Ainsi ce que nous avons appelé précédemment les « clubs nationaux » sont absorbés par des fédérations de clubs qui répondent à un enjeu fondamental : ils permettent de réunir tous les clubs de la discipline car un nombre croissant d’associations évoluent en parallèle des sociétés historiques qui ont développé une identité forte et dans laquelle ne se reconnaissent pas systématiquement les nouveaux pratiquants formés, en partie, dans les mouvements de jeunesse.

Le Comité national de spéléologie, bien qu’il s’inscrive dans la mouvance souhaitée par l’État, est le fait de l’initiative de spéléologues. Néanmoins, il bénéficie de subventions, comme d’autres groupements sportifs. Il faudra encore attendre quelques années avant que les spéléologues n’aient leur propre institution conforme aux normes sportives (Schut, 2007a). En 1963, la majorité des spéléologues est prête à franchir le pas : le Spéléo-club de France et le Comité national de spéléologie fusionnent pour créer la Fédération française de spéléologie.

- Fédération Française d’Études et de plongée Sous-Marine

L’histoire de l’institutionnalisation de la plongée sous-marine, étudiée par V. Mascret (2010), ressemble à celle de la spéléologie, dans sa forme et sa temporalité, mais elle révèle également des enjeux de concurrence qui sont sujets à un arbitrage ou, tout du moins, à une médiation de la part des services de la jeunesse et des sports. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, différentes institutions voient le jour et se transforment successivement, depuis la Fédération des sociétés de pêche à la nage et

189 Statuts Officiels de la Fédération Française de Montagne (J.O. du 6 mai 1945), Fédération Française de la Montagne : Bulletin Officiel, n°1, 1947, p. 1.

d’études sous-marines créée en 1948, jusqu’à l’actuelle Fédération française d’études et de sports sous-marins fondée en 1955 (Figure 18).

Figure 18. Institutions de regroupements des plongeurs en France entre 1948 et 1955 (d’après V. Mascret, 2010, p. 184).

Sans expliquer les subtilités de chaque étape, il est intéressant de noter, d’une part, que cette évolution institutionnelle s’est faite parallèlement à un rapprochement de la Direction générale de la Jeunesse et des Sports et, d’autre part, qu’un mouvement dissident s’est manifesté entre la FFASM et la FNFESSM,. En effet, quelques mois après la transformation de la FFGRESSM en FFASM, une Fédération des activités sous-marines est créée : la FASM. D’après Mascret (2010), la création de la FNEFESSM est le fruit de l’absorption de la FASM par la FFASM. Cette opération, envisagée un temps comme une fusion, tient son origine dans un courrier de l’inspecteur régional de la Jeunesse et des Sports demandant à ces institutions de se rencontrer car les deux associations avaient souhaité un agrément ministériel, or l’État privilégie un interlocuteur unique par activité et par là, une subvention unique.

À travers ces exemples, il est important de noter que les dirigeants des sports de nature sont nombreux à faire un pas vers les instances sportives. L’organisation est modifiée pour prendre la forme d’une fédération sportive unique qui rassemble des associations réparties sur l’ensemble du territoire national. Ces fédérations adoptent des statuts qui leur permettent d’être reconnues par l’État. Ces statuts leur imposent de participer à la politique sportive de l’État dans le contexte peu contraignant de la IVe République (Amar, 1987). Aussi, cette relation est surtout, dans un premier temps, avantageuse pour les instances sportives qui bénéficient désormais d’un soutien financier de l’État. Néanmoins, la première demande de l’État en direction des fédérations de sports de nature concerne la formation professionnelle, non pour structurer une filière de haut niveau mais pour assurer la sécurité des pratiquants de plus en plus nombreux. En effet, un effort notable de la direction en charge des sports sous la IVe République est lié à la définition des formations et qualifications professionnelles dans plusieurs métiers (guide de montagne, maître-nageur sauveteur, moniteur de ski). La volonté de définir un cadre général commun à tous les sports n’aboutira qu’avec le soutien de M. Herzog, quelques années plus tard, malgré la préparation du dispositif dès cette époque (Pierre, 2009).

FSPNESM Fédération des so- ciétés de pêche à la nage et d’études sous-marines 1948 FFGRESSM Fédération fran- çaise des groupe- ments régionaux d’études et de sports sous-marins 1952 FFASM Fédération fran- çaise des activités sous-marines 1953 FNFESSM Fédération nationale française d’études et de sports sous- marins 1954 FFESSM Fédération fran- çaise d’études et de sports sous- marins 1952

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