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Scoutisme et spéléologie

Les vacances : un temps de loisirs dans la nature

1. Scoutisme et spéléologie

favoriser les vacances des jeunes, ce qui aura pour effet de les rapprocher des lieux de pratique et leur ouvrir la voie des sports de nature. Ces nouveaux pratiquants, plus jeunes, issus de milieux sociaux souvent moins favorisés, jouent un rôle déterminant dans la démocratisation des sports de nature. S’il est trop tôt, pendant l’entre-deux-guerres, pour parler de massification, il est certain que l’origine sociale des pratiquants s’élargit considérablement.

Le scoutisme, entendu au sens large, c’est-à-dire incluant les mouvements de diverses obédiences et les groupes laïcs, connaît un franc succès jusqu’à la fin des années 1950 et le début des années 1960.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nouveaux acteurs vont apparaître et se distinguer par leur positionnement résolument centré sur les activités physiques. Les vacances deviennent sportives et les activités physiques ne sont plus une occupation parmi d’autres. Aux côtés des acteurs du mouvement sportif, des organisations naissent pour offrir des camps sportifs orientés vers des activités nautiques ou de montagne. La demande pour ces séjours est tellement importante que les acteurs associatifs sont concurrencés par des acteurs privés commerciaux. Le séjour sportif fait recette !

Nous analyserons successivement ces deux phénomènes : d’une part, le scoutisme et son rapport aux activités physiques ; d’autre part, la naissance des organismes spécialisés dans les séjours sportifs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le traitement de la spéléologie par le scoutisme est intéressant dans la mesure où, pendant l’entre-deux-guerres, cette activité n'est pas du tout structurée pour accueillir des jeunes. De ce fait, le scoutisme est amené à se poser les questions de la formation du pratiquant, questions que ne se posent pas réellement les membres du Spéléo-club de France qui se réunissent au Muséum d’histoire naturelle de Nîmes. Nous reviendrons ensuite sur la naissance de l’Union nationale des centres de plein air (UCPA) qui sera l’organisme dédié aux séjours d’activités physiques de pleine nature, à l’intersection du Haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports et des fédérations sportives. En parallèle de la genèse de l’UCPA, la création du Club Med, dans lequel les activités physiques ont une place particulièrement importante, révèle l’attrait pour les vacances sportives et conduit, par voie de conséquence, à développer la pratique de certaines activités comme la plongée sous-marine.

1. Scoutisme et spéléologie

La vie au grand air favorise la rencontre avec les grottes qui s’ouvrent dans les régions calcaires. Ainsi, les jeunes scouts se muent en explorateurs et, munis de lampes torches, illuminent les ténèbres des grottes. Dans le mouvement scout, les « routiers » des Éclaireurs de France représentent une classe d’âge plus élevée : les 16-20 ans. À cet âge, les jeunes membres d’un clan peuvent choisir de se spécialiser dans une ou plusieurs activités. Dans les années 1940, la spéléologie se présente comme une option possible et elle attire effectivement quelques clans résidant à proximité des régions karstiques. Il est à souligner que le contexte particulier du régime de Vichy est favorable aux pratiques physiques de plein air jugées intrinsèquement éducatives. Ainsi le mouvement scout bénéficie d’une aide importante de l’État et jouit d’un succès qui facilite la réalisation de ses ambitions (Cholvy, 1999).

Avant d’identifier la forme de pratique des routiers Éclaireurs, il est important de connaître quelles influences ces jeunes gens ont reçues. Le scoutisme leur a apporté un certain goût pour la nature et même un goût certain pour les aventures où elle préside. Après une solide formation physique par le biais de la méthode naturelle (Palluau, 2002), ils expérimentent différentes activités de plein air telles que le canoë, le kayak, la natation, la voile ou encore le ski. Parcourant la nature en tous sens, ils rencontrent des grottes vers lesquelles s’ouvre, tout naturellement, leur âme d’explorateurs en herbe nourrie par les romans de N. Casteret... Et voilà les premières incursions organisées au sein de plusieurs clans !

Bientôt, presque toutes les grandes régions karstiques sont explorées par les routiers Éclaireurs. Le clan de la Toison d’Or pratique dans les environs de Dijon ; le clan de la Diosaz débute ses explorations à la Diau, près d’Annecy ; le clan Lesdiguières fait ses premiers pas dans le Vercors ; le clan des Genévriers de Toulon s’oriente vers les grottes de la Sainte-Baume. Dans les colonies aussi, les Éclaireurs de France se livrent à des explorations souterraines. Ainsi, en Algérie, le clan Millot explore les grottes du Djebel Taya avec succès. De plus, outre ces clans qui font de la spéléologie une spécialisation, il en existe de nombreux autres qui font des incursions souterraines plus ponctuelles (Choppy, 1988).

Issus d’un milieu populaire, les jeunes Éclaireurs sont parfois freinés dans leurs explorations par manque de matériel, mais certains groupes s’ingénient à trouver des solutions pratiques et s’équipent d’échelles et de cordes pour descendre leurs premiers gouffres.

Guidés par une certaine idéologie de conquête (Laneyrie, 2000), les jeunes Éclaireurs découvrent la terre sous tous ses aspects : ils investissent la mer en pratiquant la voile, les montagnes avec l’alpinisme, et les grottes grâce à la spéléologie. Celle-ci apparaît, au même titre que les autres activités de plein air, comme un ensemble de techniques permettant de s’engager dans un espace particulier.

Au-delà des techniques, la rencontre avec les cavernes offre l’opportunité d’observer la nature pour la connaître et la comprendre. Les pédagogies actives développées par les scouts s’appuient sur cette rencontre pour favoriser une éducation complète de l’enfant, à la fois physique et intellectuelle. La formation aux rudiments de la spéléologie pousse les jeunes gens à lire des auteurs tels que N. Casteret, R. de Joly ou É.-A. Martel. La dimension scientifique de l’activité leur apparaît et, souvent, les passionne. S’appropriant cette culture, ils témoignent dès lors, d’une activité scientifique qui suscite l’admiration. Ainsi, le dirigeant du mouvement qui présente la publication des résultats de l’expédition du clan Millot conclut par ces mots :

« Mais je tiens à signaler que le clan Millot est un clan comme tous les autres, un clan de routiers de 16 à 20 ans, et non pas une réunion de vieux messieurs ou de professionnels de la spéléologie [...]. C’est donc une réussite à tous points de vue, que cette nouvelle expédition de spéléologie du clan Millot. Je suis heureux de le féliciter et de le citer en exemple à tous les clans spécialisés »175.

Et lorsqu’il s’agit de juger « l’Exploit de l’Année » en 1943, les deux clans vainqueurs sont récompensés pour leur activité en spéléologie. Il est assez remarquable que l’un de ces deux clans vainqueurs soit choisi pour avoir exploré une nouvelle partie de la grotte du Boundoulaou, ce qui a amené à corriger les premières conclusions de É.-A. Martel sur son fonctionnement !

Cette complémentarité entre l’exploit sportif et la découverte d’ordre scientifique apparaît de manière récurrente. Alors que certains clans se contentent de visiter les grottes, d’autres les explorent et en extraient de multiples informations, des plans, etc. Deux exemples : le clan des Genévriers expose au musée de Toulon ses découvertes souterraines, et le clan des Chênes Verts de Montpellier, après avoir réalisé des fouilles archéologiques, publie une note sur ses résultats dans le Bulletin de la Société

Préhistorique Française.

Au contact des spéléologues, les Routiers découvrent l’importance de la dimension scientifique de l’activité et s’engagent dans cette voie, souvent avec succès. L’éducation par les pratiques de plein air trouve un complément pertinent dans l’activité scientifique, ce qui explique avec quelle facilité les clans ont intégré la culture de l’activité. En échange, ils vont confirmer l’intérêt pédagogique de la spéléologie dans l’éducation de la jeunesse.

La pratique de la spéléologie constitue en elle-même une pratique éducative. Son statut de spécialisation lui vaut d’être enseignée aux plus jeunes pour que ces derniers puissent s’enrichir davantage en la pratiquant. Ainsi la tradition pédagogique du mouvement de jeunesse aboutit à la création d’un « enseignement de la spéléologie », chose parfaitement inédite. Pendant l’été 1944 va se dérouler à Saint-Julien-en-Vercors le premier stage d’initiation et de perfectionnement à la spéléologie. Le contenu de cette formation aborde autant la progression souterraine et ses techniques que les aspects scientifiques de la spéléologie. Le « brevet de spéléologie » exige de l’impétrant qu’il soit capable de rédiger un rapport sur son exploration, comportant : - un croquis topographique avec plan d’exploration à l’usage d’un visiteur éventuel ; - des photographies (extérieur et intérieur) ;

- des dessins ;

- des observations sur la faune, les concrétions, les fossiles, éventuellement sur les traces préhistoriques, l’habitat humain ;

- des histoires ou légendes recueillies à propos de cette grotte, s’il y a lieu.

Ce stage connaît un succès certain qui lui vaut d’être renouvelé l’année suivante et multiplié dans différents lieux par la suite.

Ces formations, qui s’adressent d’abord aux Éclaireurs de France, vont bientôt être offertes aux « sympathisants », c’est-à-dire à toute personne intéressée. Cette ouverture donne à l’initiative scoute une influence directe sur la communauté spéléologique puisqu’elle adresse aussi sa formation à ses nouveaux ou futurs membres. En éduquant les spéléologues qui seront plus tard les figures de proue de la spéléologie française, elle introduit sa culture et notamment sa culture pédagogique. Celui qui sera le principal organisateur de la formation en spéléologie par la suite, M. Letrône, a effectivement suivi l’un de ces stages.

De plus, le caractère éducatif des activités de plein air leur vaut d’être récupérées par l’administration de la Jeunesse et des Sports pour sa politique éducative176. L’intégration de la spéléologie au scoutisme et son enseignement contribuent à donner une signification éducative à cette activité.

La rencontre du scoutisme et de la spéléologie va finalement enrichir les deux activités. Les jeunes Éclaireurs découvrent une nouvelle pratique qui leur réserve de nombreuses aventures dont ils sont friands. La spéléologie apporte, en outre, aux

176 La construction pédagogique formalisée dans le cadre du scoutisme servira d’appui à la formation des cadres souhaitées par la Direction des sports sous la IVe République (Schut, 2007a).

jeunes gens une perspective scientifique très vaste qui leur ouvre de nouveaux horizons et contribue à les éduquer selon le projet pédagogique formulé par Lord Baden-Powell. Cet engagement dans l’activité les incite à concevoir un enseignement qui légitime sa fonction éducative ; c’est ce qui va, par la suite, enrichir les adeptes de la spéléologie.

Le scoutisme, par son mode de fonctionnement, est propice à la pratique des activités de plein air. En premier lieu, le camping est dans les fondements même de la pratique. En second lieu, la découverte de la nature implique une immersion dans les espaces naturels qui amène nécessairement à aller au-devant des sites où se pratiquent les activités de plein air. La découverte, la formation intellectuelle, la solidarité du groupe pour progresser ensemble dans cet environnement… toutes les valeurs du scoutisme s’enseignent par la pratique des activités physiques. La rencontre était inévitable et elle offre une opportunité unique à la jeunesse de s’initier à certaines activités.

La période de Vichy représente un moment particulier dans l’histoire. Les heures sombres de la Nation correspondent à un moment privilégié pour les activités de nature car elles participent au projet de rénovation nationale initié par le Maréchal Pétain (chapitre 8). Pour le mouvement scout, en dépit des contraintes liées à l’Occupation, c’est un moment privilégié dans la mesure où le soutien, financier notamment, de l’État est particulièrement fort. Simultanément, des organisations comme Jeunesse et montagne sont établies pour suppléer l’absence du service militaire. Cette organisation, qui offre à des jeunes gens l’opportunité de s’initier à des activités physiques de montagne à travers des actions d’intérêt général, est à l’origine des institutions qui organisent des camps de vacances en montagne à la Libération et qui deviendront, à terme, l’UCPA.

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