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Découverte du gouffre Berger, premières explorations et création du SG- Découverte du gouffre Berger, premières explorations et création du SG-CAF

Performances et médiatisation : le cas du gouffre Berger, premier « - 1000m »

2. Découverte du gouffre Berger, premières explorations et création du SG- Découverte du gouffre Berger, premières explorations et création du SG-CAF

publications en 1933, alors même que la littérature d’aventure bénéficie du plus vif succès221. Initialement science des cavernes, affaire de savants, la spéléologie est présentée au grand public comme un sport au service de la science222. Casteret marque ainsi la distinction entre l’exploration souterraine, qui devient une activité sportive à part entière, et l’exploitation savante des découvertes, qui relève de la science. En créant cette dualité, il donne une raison d’être à une nouvelle activité physique de loisir : l’exploration souterraine ou « spéléisme » comme l’appelleront avec mépris les savants spéléologues223. Les romans et conférences de Casteret contribuent à faire naître un certain nombre de vocations parmi la jeunesse et ils sont assurément à l’origine de l’augmentation du nombre des spéléologues.

D’ailleurs Eymas, Potié et Berger voient leurs rangs s’élargir au fur et à mesure de leurs découvertes. Ils sont bientôt une dizaine à se retrouver pour leurs explorations souterraines. Parmi eux deux montagnards, Jourdan et Fretty, trouvent dans la spéléologie une activité à leur goût. L’association entre les deux activités est fréquente. Depuis les années 30, de nombreux alpinistes s’adonnent à la spéléologie dans laquelle ils trouvent un certain renouveau224. L’exploration souterraine leur apparaît comme un sport séduisant car prometteur de belles découvertes. Ainsi, au sein du Club Alpin Français, plusieurs clubs de spéléologie sont créés à partir de 1936, et représentés par une commission nationale. Parmi eux, le Spéléo-Club Alpin de Lyon, dont fait partie Charles Petit-Didier, participe régulièrement aux sorties des Grenoblois.

2. Découverte du gouffre Berger, premières explorations et création du SG-CAF

La jeune équipe explore les galeries des Cuves de Sassenage et finit par buter sur des siphons, sections de galeries noyées limitant les investigations au commun des mortels. Ayant épuisé tous les espoirs de franchir ces obstacles, les spéléologues décident de partir à la recherche d’une entrée supérieure du réseau dans le bassin d’alimentation. Se pose alors le problème de circonscrire la zone d’absorption des eaux qui réapparaissent aux Cuves de Sassenage, au terme d’un long parcours souterrain.

À partir de ce moment, les explorateurs, s’ils veulent orienter leurs efforts dans la bonne direction, sont obligés de réfléchir au trajet hypothétique de l’eau au milieu des différentes couches de calcaire du massif du Vercors. L’exploration spéléologique ne peut se passer d’une compréhension du réseau souterrain pour orienter ses recherches. C’est pourquoi la dimension scientifique de la spéléologie d’hier et d’aujourd’hui, doit davantage à la nature de l’activité d’exploration qu’à la tradition. Le hasard qui a permis la découverte de nouvelles galeries dans les Cuves de Sassenage cède alors le pas à la réflexion savante pour évaluer le bassin versant du Germe. La première hypothèse consiste à postuler que l’eau descend dans la strate de calcaire sénonien dans laquelle est creusée la grotte. C’est ainsi que la prospection commence dans les Gorges du Furon où affleure ledit calcaire, à 300 mètres d’altitude au-dessus de la

221 Idem.

222 Casteret, N.(1955). Sondeurs d’abîmes. Paris : Perrin.

223 Joly, R. de (1947). La Spéléologie. Paris : Elzévir.

résurgence. Dès lors, tous les dimanches, les spéléologues hantent le secteur à la recherche de l’entrée supérieure du réseau. S’enfonçant dans le moindre orifice, fouillant chaque trou et descendant les puits, les recherches se poursuivent.

L’échec des prospections incite les explorateurs à reprendre leur réflexion, d’autant que les deux montagnards du groupe, Jourdan et Fretty, attirent l’attention sur un lapiaz225 situé sur le haut du plateau de Sornin, au-dessus des gorges du Furon. Mais ce lapiaz s’ouvre dans le calcaire urgonien, strate située immédiatement en dessous du sénonien. Néanmoins le pendage permet au calcaire urgonien d’affleurer à une altitude plus élevée et lui confère ainsi la possibilité de « remonter » vers la couche supérieure. Cette hypothèse est soumise par le groupe au spécialiste de l’hydrogéologie du Dauphiné, le savant spéléologue André Bourgin. Ce dernier confirme la plausibilité du phénomène. Les Grenoblois se dirigent donc vers le plateau de Sornin. Parcourant le lapiaz « en tirailleurs » pour plus d’efficacité, les spéléologues découvrent quelques gouffres et grottes de moindre dimension. Lors d’une prospection, Fretty descend à la corde lisse un puits de 30 mètres de profondeur. Peu expérimenté en spéléologie, le montagnard oublie d’anticiper sur sa remontée et ce n’est qu’au prix d’une escalade délicate qu’il réapparaît au grand jour.

Le 24 mai 1953, pendant le week-end de Pentecôte, Berger a la chance de trouver un trou d’une belle taille. Il est immédiatement descendu sur près de 50 mètres mais le groupe est arrêté face à un grand puits. Le lendemain, dès l’aube, tout le monde continue l’exploration. L’équipe de pointe dépasse la profondeur de 100 mètres. À la remontée, alors que Berger, surexcité, raconte les résultats de l’exploration, « un hurlement lugubre monte du puits, nous arrachant les entrailles. Puis un choc mat, qui nous fait du mal. On devine, on voit. (…) En bas, le silence, oppressant, tellement plus éloquent que les cris ! C’est l’accident, la chute. »226

L’échelle s’est rompue et Félix Ruiz a basculé dans le vide. Ce jeune étudiant espagnol qui s’était joint au groupe se retrouve étendu sur la glace au pied du puits. Aussitôt, les spéléologues s’organisent pour extraire leur ami du gouffre avec l’aide, en surface, des bûcherons. Heureusement, l’accident de Ruiz se solde par quelques côtes fêlées, des contusions, des déchirures musculaires et des ecchymoses.

L’incident de Fretty et l’accident de Ruiz illustrent un accroissement de l’accidentologie souterraine dans les années 1950 (Frachon, 1993). Or, l’extraction des victimes pose de réels problèmes techniques. Si bien que l’administration choisit, à l’image du secours des alpinistes (Zuanon, 2002), de confier cette tâche aux spéléologues par l’intermédiaire de leur institution de tutelle. C’est en ce sens que la Direction Générale des Sports s’adresse au Comité National de Spéléologie et lui octroie des subventions227.

L’accident de Ruiz n’altère pas l’enthousiasme des jeunes gens qui se remettent en route pour de nouvelles explorations. Les sorties sont de plus en plus longues et le gouffre Berger, baptisé en l’honneur de son inventeur,donne des espoirs grandissants de découvertes futures. Autour de l’exploration du gouffre s’agglomèrent les spéléologues grenoblois. Alors qu’ils entreposent leur matériel dans les locaux de la section iséroise du Club Alpin Français, le président de la section, Félix Germain,

225 Un lapiaz est un relief karstique qui apparaît sous la forme de dalles ciselées de rigoles du fait de la dissolution de la roche. Il caractérise donc une zone d’absorption importante.

226 Cadoux, Lavigne, Mathieu & Potié (1955). Opération -1000, Op. cit., p. 94.

encourage les spéléologues à se constituer en association. Eymas se charge des démarches administratives et il est bientôt élu président du Spéléo Groupe du Club Alpin Français (SG-CAF) pour l’année 1953-1954. Outre l’aspect formel que prend le groupe, la formation du club marque un sentiment d’appartenance de chacun des membres au groupe qui s’unit autour d’un objectif commun : l’exploration du gouffre Berger. Les adhérents du SG-CAF s’affirment en se démarquant des autres groupes spéléologiques et s’organisent désormais entre eux.

Avant ce regroupement, les Grenoblois partageaient leur activité avec des spéléologues lyonnais dont Petit-Didier. Ensemble, ils ont parcouru le même chemin, depuis les chatières des Cuves de Sassenage jusqu’au plateau de Sornin. L’aboutissement de ces recherches sommeille dans l’obscurité du gouffre Berger qui promet de riches expéditions. Mais les Grenoblois, suffisamment nombreux, n’entendent plus inviter les Lyonnais qui réclament leur part de « première ». Les relations entre les groupes se transforment en un affrontement ouvert. Le SG-CAF obtient du maire d’Engins, commune sur laquelle s’ouvre le gouffre, un arrêté municipal228 assurant l’exclusivité de l’exploration au groupe grenoblois. Petit-Didier, membre du club lyonnais, en appelle alors à une institution spéléologique nationale : la Société Spéléologique de France, et réclame l’arbitrage du différend qui l’oppose à Eymas, représentant du groupe grenoblois. Tous les arguments légitimes de Petit-Didier se heurtent à l’inflexibilité d’Eymas qui n’entend pas s’engager en contradiction avec les vœux émis par les spéléologues du SG-CAF. Cette obstination lui vaut d’être radié de l’association nationale229. Lors d’une prochaine assemblée générale de la Société Spéléologique de France, Petit-Didier réclame même la radiation de Fernand Petzl qui mène l’équipe grenobloise. Cet artisan de trente-trois ans a déjà fait ses preuves dans des expéditions importantes. Les jeunes Grenoblois lui ont demandé de les guider dans celles qui les attendent. La demande d’exclusion de Petit-Didier est consternante puisque Petzl n’est pas affilié à la Société Spéléologique de France !

En fait, la représentativité de la spéléologie française à travers cette société savante est très mitigée. Elle coexiste avec le Comité National de Spéléologie, lequel est reconnu par la Direction Générale des Sports qui le subventionne. La première société, la plus ancienne, est une société savante rassemblant des individus intéressés par les aspects scientifiques de la spéléologie, tandis que la seconde a pour vocation initiale de rassembler tous les groupements spéléologiques dont les ambitions, essentiellement sportives, ne les invitent pas à rejoindre la Société Spéléologique de France. Le malentendu entre Lyonnais et Grenoblois met en évidence le problème de représentativité de l’activité aux yeux, non des pouvoirs publics qui s’organisent avec le Comité, mais des spéléologues eux-mêmes. À travers l’épisode du gouffre Berger se joue un enjeu institutionnel qui illustre le clivage entre les spéléologues.

Le dénouement de l’affaire contribue à souder le groupe grenoblois. Cette équipe solidaire se lance alors dans des explorations dont on sait qu’elles peuvent les mener jusqu’à 1170 mètres de profondeur, la différence de dénivelé existant entre l’entrée du gouffre Berger et celle des Cuves de Sassenage.

228 Arrêté Municipal du 25 novembre 1954, Engins.

229 Société Spéléologique de France (1955). Conseil d’administration du 27 novembre 1955. Bulletin du Comité National de Spéléologie 4.

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