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Un système semi-compétitif, synonyme de consolidation démocratique ?

CHAPITRE 3 : L’ARRIMAGE DE LA DÉMOCRATIE ÉLECTORALE AU MAL

2/ Un système semi-compétitif, synonyme de consolidation démocratique ?

Selon Rouquié A. et al (1978), le système semi-compétitif se situe à mi-chemin entre les systèmes pluralistes occidentaux et les partis uniques idéologiques de la révolution communiste, comme le montre le tableau ci-dessous (tableau 3)

Tableau 3 : le système semi-compétitif, d’après “ Aux urnes l’Afrique ”, 1978

Le système semi-compétitif peut se définir par un système d’élections où la compétition entre les partis est inexistante, mais où la compétition au sein d’un même parti est très vive, notamment au niveau local. Cette compétition résulte d’une forte participation des habitants à la phase préélectorale de désignation des candidats. L’élection semi-compétitive est conditionnée par un certain nombre de facteurs. Tout d’abord, elle se développe davantage dans une organisation partisane lâche, qui ne permet pas au parti de contrôler les responsables de second rang ou de la base. Elle témoigne d’une organisation largement décentralisée. En cela, elle se différencie fortement des partis révolutionnaires très structurés. Ensuite, le discours partisan n’est pas idéologique.

système compétitif système semi-compétitif système non compétitif

compétition entre les partis élevée faible nulle

participation des citoyens dans la compétition au sein

des partis

faible et en déclin élevée nulle

organisation partisane moyenne ou forte faible forte place de l’idéologie dans la

campagne moyenne faible forte

incertitude du résultat

La base des revendications des élus locaux est la défense des intérêts territoriaux, et donc celle de l’équilibre géographique de la représentation nationale. On peut ainsi postuler sur une forte rationalité dans la désignation des notables au niveau local (statut, compétence, disponibilité, sincérité...), qui peuvent indirectement affecter la composition, l’orientation, sinon la rotation, des élites dirigeantes. Néanmoins, du point de vue des élites, ce système constituerait une adaptation douce et stabilisatrice de la démocratie. On peut y voir également l’interprétation largement discutable de dirigeants défendant le parti unique contre la liberté partisane. Du point de vue des habitants, l’élection semi-compétitive pourrait être perçue comme relativement fonctionnelle vis-à-vis de leurs intérêts propres. Elle pose alors la question de la relation entre décentralisation et démocratie. En effet, cette question a été traitée dans l’article coécrit par Bussi M., Lima S., Vigneron D. (2009) dont nous avons extrait le passage suivant :

R. Otayek (2000) admet qu’en Afrique, la décentralisation est avant tout imposée de l’extérieur. Néanmoins, il n’omet pas de signaler qu’il existait des formes précoloniales non pas démocratiques, mais au moins de contrôle d’un pouvoir absolu : des lois non écrites dans le Royaume akan, une démultiplication des niveaux de pouvoirs dans le Royaume moose, une organisation politique de type « acéphale » chez les Gouin du Burkina Faso (DACHER M., 1997), une organisation « quasi démocratique » chez les Lebous au Cap-Vert. Selon une certaine lecture de l’histoire, c’est la colonisation, notamment française, qui aurait imposé une logique jacobine, largement reprise par les partis uniques lors de l’indépendance, au nom de l’unité nationale, après une très courte période de multipartisme et de liberté locale. La réalité, comme l’influence de cette démocratie précoloniale est très largement discutée, voire niée. É. Fauroux (1999) montre que les Fokonolona malgaches, longues assemblées locales où chacun est libre de s’exprimer, souvent citées en exemple de démocratie participative locale, sont en fait faussement consensuelles, puisque les décisions sont au final « presque toujours prises, très discrètement, par un tout petit nombre de notables âgés ». C. Coquery-Vidrovitch102 confirme également que les « sociétés précoloniales ne portaient aucun germe directement utilisable par la démocratie moderne ».

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A. Rouquié (1978) va dans le même sens : « L’existence de communautés égalitaires et autonomes et de nombreux contre-pouvoirs propres à la structuration politique originelle n’a pas laissé d’empreintes indélébiles sur l’organisation étatique contemporaine, sinon comme mythe mobilisateur ou justification idéologique, tels que l’Ujamaa en Tanzanie ou la résurgence des Fokonolona malgaches. Il est vrai que ces types d’organisations apparaissent comme bien peu propices à l’accumulation de capital, ressort et fin de la croissance ». Les modalités de désignation des représentants dans l’Afrique précoloniale se conformaient aux rites et aux pratiques du moment103. Les techniques les plus répandues correspondaient à l’hérédité pour les successions, l’oracle des dieux ou l’invocation des mannes des ancêtres, quand bien même dans certains cas, des collèges électoraux désignaient leurs chefs.

Plus tard, à la fin du XIXe siècle, en Afrique francophone, les consultations électorales introduites par l’administration coloniale ont été graduellement étendues aux pays de la sous- région. À l’origine, seuls les habitants des quatre communes du Sénégal (Dakar, Gorée, Saint- Louis et Rufisque) pouvaient voter en tant que citoyens français104. Ailleurs, dans l’AOF et l’AEF105, l’expansion du droit de vote se fera de manière progressive en fonction des

évolutions du statut administratif des électeurs jusqu’à la décolonisation institutionnelle amorcée à partir de 1956 par la Loi-cadre Deferre106. Outre quelques exceptions, telles que le Bénin avant 1975, la Haute-Volta (ancien nom du Burkina Faso) dans les années 1970107 et le Sénégal entre 1970 et 1989, qui ont connu des scrutins présidentiels et législatifs, les États d’Afrique de l’Ouest étaient dominés par des élections non concurrentielles et le monopartisme. Une fois les indépendances consacrées, les nouvelles élites vont faire face aux impératifs du développement économique et social de leur pays.

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Se référer dans le détail aux auteurs suivants : PERROT C.-H., (1995) sur les Ashantis du Ghana; CISSOKO S. (1981) sur les Malinkas de l’Ouest Atlantique ; BÂ A.-H., (2000) sur les rites initiatiques des Peuls du Maacina Toro au Mali ; M’BOKOLO É. (1976) sur les fondements de la création de l’ancien Royaume du Katanga.

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Consacré définitivement en France en 1848 par l’instauration de la Première République, le suffrage universel a été étendu la même année à la colonie du Sénégal, qui était appelée à élire un représentant à l’Assemblée constituante. Par la suite, la loi Blaise Diagne (premier député d’origine africaine élu) du 29 septembre 1916 va déclarer citoyens français les originaires de quatre communes de plein exercice du Sénégal et leurs descendants. Les citoyens de ces communes élisaient non seulement leurs autorités locales, mais aussi un député à l’Assemblée nationale française. Cf. MOLEUR B. (2000), « L’indigène aux urnes : le droit de suffrage et la citoyenneté dans la colonie du Sénégal », in CHIANÉA G. et. CHABOT J.-L., 2000, pp. 65-97.

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L’Afrique-Occidentale Française et l’Afrique-Équatoriale Française correspondant à une bande territoriale allant du Nord mauritanien à Pointe-Noire dans l’actuel Congo-Brazzaville excepté la Guinée-équatoriale, le Cameroun, le Nigéria, le Libéria, la Sierra Léone, la Guinée Bissau et la Gambie.

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Accordant plus d’autonomie aux colonies.

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La Haute-Volta constitue le seul cas où un ancien Président sera mis en ballotage au second tour par son opposant avant d’être élu par la suite.

Pour y répondre, le pluralisme politique sera supprimé et des élections « sans choix » seront privilégiées pour ratifier la politique imposée par le parti unique. En Côte d’Ivoire, de 1960 à 1979, les élections législatives se sont déroulées sur la base d’une circonscription unique, le territoire national avec des candidats soigneusement sélectionnés.

Plus tard, à partir du début des années 1980, le régime ivoirien va diviser l’entité nationale en plusieurs circonscriptions électorales en mettant en place un système semi-compétitif108. L’organisation des élections appartenant au ministère de l’Intérieur, organe exécutif du parti unique, elles représentaient un enjeu important pour les candidats. Une redistribution des cartes pour les postes électifs qui s’avère être décisive pour consolider les bases du régime en place. D’un côté, les gagnants affermissaient leur position autour des cercles proches du pouvoir, de l’autre, les perdants s’en trouvaient écartés. En raison de l’incertitude qui, paradoxalement, planait autour des scrutins pour la distribution des prébendes, la compétition électorale était très disputée. Sans quoi, les observateurs extérieurs (en général, le bras financier des élections) n’auraient relevé qu’une infime partie des fraudes constatées (bourrages d’urne, défauts du fichier électoral). Ce système comporte ses propres limites, en cela, la prééminence d’un président omnipotent, Félix Houphouët-Boigny à ce moment-là, ne permettait pas d’entrevoir une alternative à l’organisation électorale en vigueur. En somme, le système semi-compétitif est à la croisée des chemins entre le besoin de mobilisation des populations par les élites politiques et l’obligation de répondre à des exigences institutionnelles (libre choix de l’électeur, des consultations régulières, ...) provenant souvent de la communauté internationale. Dans cette trajectoire similaire, le Mali a, dans son histoire récente, connu un processus similaire à celui des exemples précédemment cités. Désormais, chaque pays africain possède ses propres particularités et le Mali ne fait pas exception à la règle. Dans le cas présent, le Mali a connu également une trajectoire houleuse pour la construction de sa démocratie dès son indépendance jusqu’à aujourd’hui.

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Les informations recueillies dans ce paragraphe ont été essentiellement collectées à partir de LOADA A. (2004), pp. 41-43.

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