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Une tradition d’alternance

CHAPITRE 3 : L’ARRIMAGE DE LA DÉMOCRATIE ÉLECTORALE AU MAL

3/ Une tradition d’alternance

Immense pays de 1 240 000 km2 dont la moitié se situe en zone saharienne, le Mali connaît de sévères conditions climatiques, liées à une pluviométrie faible ou très faible dans la partie nord dénommée le septentrion. Contrairement aux idées reçues, le Mali ne se réduit pas à son image sahélienne. Toute la zone située au sud du parallèle de Mopti (où se concentre l’essentiel des 13 millions de Maliens) est pourvue de vastes périmètres de cultures (coton, céréales…) qui, grâce à une pluviométrie abondante et un fleuve corrigeant les déficits hydriques, permettent une installation pérenne des populations. Cette zone correspond au « cœur économique » du pays.

Une autre donnée permanente du pays est son enclavement. Orienté vers le carrefour sahélien durant la période précoloniale, le basculement des échanges vers la façade atlantique après coup a fait prendre conscience de l’éloignement de la côte et de l’importance des coûts logistiques (frais de transport par exemple). Ces frais pèsent fortement sur l’économie du pays et le Mali s’inscrit dans la trajectoire des « pays les moins avancés » (PMA). Selon cette litote, le pays reste fortement endetté et la période des « ajustements structurels » (dans les années 1990) n’a pas servi à apporter des solutions efficaces à ses problèmes. Dans la pratique, le Mali ne se résume pas aux termes - pauvreté, enclavement, désert - dans lesquels on a tendance à le circonscrire. Certes, il n’existe peut-être pas encore de nation malienne, mais, au demeurant, il se développe une vie citoyenne, qui possède de telles propriétés qu’il est nécessaire d’en cerner les contours109

. Après un changement de régime particulièrement sanglant au cours des émeutes de janvier et de mars 1991110, la transition malienne s’est consacrée à la préparation d’une Troisième République.

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Les informations distillées dans ce court rappel ont été recueillies dans CHAMPAUD J. (1992) et BRUNET R, 1994.

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219 morts et 917 blessés dénombrés par l’Association Malienne des Droits de l’Homme lors du premier anniversaire du 26 mars 1991 (BERTRAND M., 1992, p. 10).

Néanmoins, la revendication démocratique n’est pas née des évènements de 1991, mais elle s’est amplifiée ces dernières années, comme dans le reste de l’Afrique. Avant la colonisation, le recours à la violence pour bousculer l’ordre politique en place et « y substituer un autre (tout en conservant souvent les hiérarchies inférieures) constitue la dynamique de l’alternance » (LANGE M.-F., 1999, p. 118). Sous le régime de « l’indigénat »111

, le dispositif politique est, principalement, constitué « de rapports clientélistes […] le plus souvent reconduits dans le temps » (Ibid, 1999, p. 118). Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que vont naître de nouvelles perspectives. Jusque-là, les Soudanais112 ne pouvaient pas prétendre siéger à des postes électifs. Du 30 janvier au 8 février 1944, la Conférence de Brazzaville (Congo-Brazzaville) marque la « détente », Charles de Gaulle, se portait garant « que la gestion interne des territoires revenait aux élites africaines », mais ne parle pas encore d’indépendance113. À la sortie de la seconde Guerre mondiale, la superposition des conflits de contestation envers la présence française dans les colonies s’accroît de manière conséquente (les révoltes kabyles, la libération de l’Indochine et la guerre d’Algérie). Afin d’y remédier, la participation des Africains en tant qu’électeurs et élus au scrutin de 1945 est acquise. Le Soudan français devient une force politique, mais reste très faiblement représentée à l’Assemblée constituante de la IVème

République, avec un seul député représentant les quelques 3 à 5 millions d’électeurs potentiels de la colonie.

La période 1945-1946 correspond à un cycle de fort bouillonnement politique, les partis constitués se cherchent une identité. Celle-ci se calque, dans la majorité des cas, sur l’échiquier politique français. Les distinctions idéologiques se marquent par l’expérience des grands leaders et la pratique de la démocratie en France. Constitutif de l’apprentissage du jeu électoral et de la démocratie, le Soudan français va se doter de trois partis politiques en 1946 – le Parti Soudanais Progressiste (PSP), le parti SFIO du Soudan, le Parti Démocratique du Soudan (PDS). – qui composent en fait des sections soudanaises de partis français. Dans la même année, lors du congrès constitutif du Rassemblement Démocratique Africain114 (RDA), la vie politique soudanaise va se bipolariser.

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Statut d'infériorité pratiqué dans les colonies françaises du milieu du XIXe siècle à 1944-1947. Mis en place d'abord en Algérie, il est généralisé à l'ensemble de l'empire français à partir de 1889. Cf WEIL P. (2002), pp. 233 à 235.

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Le Soudan français est le nom porté par la colonie française correspondant par son territoire à l’actuel Mali.

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Informations obtenues lors d’un entretien avec monsieur le professeur d’histoire, Bakary Kamian le mercredi 27 février 2008.

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Le RDA était une entité qui regroupait les différents partis politiques africains. Son idéologie se basait sur la liberté d’expression et de mobilité, la fin de l’indigénat et du travail forcé.

D’imbroglio en imbroglio, les délégués soudanais décident la dissolution des trois partis existants (le PSP, la SFIO-Soudan et le PDS). Fily Dabo Cissoko, instituteur, formera le PSP autonome et Modibo Keita, père de l’Indépendance, conservera l’appellation soudanaise du RDA, soit l’Union Soudanaise du RDA (US-RDA). Pendant une décennie, les partis s’affronteront jusqu’à ce que soit adoptée la loi-cadre de 1956, donnant aux territoires de l’Afrique-Occidentale Française (AOF)115

une large autonomie.

Par conséquent, elle consacre la « territorialisation » (DIARRAH C. O, 1991, p. 30) chère à Félix Houpouët-Boigny et tant décriée par Modibo Keita. L’US-RDA ne s’en laissera pas compter et, le 8 mars 1959 (voir tableau 4), les élections générales ont lieu affirmant la domination politique de l’US-RDA.

Tableau 4 : Résultats des élections du 8 mars 1959 Inscrits 2 148 667

Votants 693 335 US-RDA 522 080 PSP 197 575

Source: DIARRAH C. O., 1991, p. 35.

En position de force, l’US-RDA lors de son congrès extraordinaire proclame l’indépendance du Mali le 22 septembre 1960. De 1960 à 1968, le régime de Modibo Keita, oriente sa politique vers la recherche de la voie malienne du socialisme, mais les pénuries à répétition mettent un terme à cette période et conduisent la junte militaire dirigée par Moussa Traoré à renverser la structure fragilisée de Modibo Keita. À la tête du Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN), la « politique du ventre creux »116 menée par le lieutenant Moussa Traoré durera 23 ans jusqu’en 1991.

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Le décret du 16 juin 1895 créa l’AOF (Afrique Occidentale Française). Elle correspond à un gouvernement colonial regroupant une fédération de territoires (Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry, Niger, Côte d’Ivoire et Bénin). Sa capitale était à Dakar. Source : JUS C. (2003).

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En référence à l’ouvrage L’État en Afrique de Jean-François Bayart, Marie-France Lange (1999, p. 119) évoque deux hypothèses qui permettent d’employer cette expression : 1) « Suite au vide constitutionnel engendré par la prise de pouvoir des militaires » et 2) « Le parti unique, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM), est crée en 1979 dans le but de combler le vide politique engendré par la dictature militaire ». Aussi, la « politique du ventre » définie par Jean-François Bayart est « la manière d’exercer l’autorité avec un souci exclusif de la satisfaction matérielle d’une minorité » (Challenge hebdo, numéro 34, 1991, p. 11).

Si l’on tient compte de ce qui a été évoqué, ci-dessus, la démocratie électorale au Mali est arrivée dans un contexte de « dirigisme politique » (LANGE M.-F., 1999, p. 120) exacerbé où les formes de décrispation naissantes seront elles-mêmes démesurées. Le visage de la société va indéniablement changer.

À travers cette démonstration, nous avons essayé de contextualiser et de conceptualiser la démocratie électorale pour qu’elle puisse s’adapter, dans les grandes lignes, à la géographie électorale malienne. Tout projet de construction démocratique démarre à partir d’une volonté des élites politiques. Ainsi, le modèle électoral revêt les caractéristiques propres à chaque groupe humain, mais ne peut se territorialiser sans État. Des interrelations se nouent entre les administrés et les élus et la qualité de ces liens déterminent la conjoncture démocratique. La géographie est une porte d’entrée pour analyser ces rapports de pouvoir qui replace au centre de l’étude, l’individu et ses particularités psychologiques. De ses aspirations, l’électeur détermine l’affranchissement de son comportement par rapport à son réseau d’appartenance ou au contraire il suit ses propres logiques relationnelles.

De ce point de vue, la comparabilité des systèmes électoraux mondiaux prévaut à l’Afrique et au reste du monde un rôle de point d’ancrage pour toute étude sur le politique, car l’étude des « démocraties d’ailleurs » apporte un lot de facteurs explicatifs à la compréhension du fonctionnement des démocraties occidentales. Le concept même de démocratie électorale est mouvant et différent selon le pays concerné. Pourtant, les organes mondialisés de décision ont besoin de formaliser ce concept comme par exemple le classement établi selon l’indice démocratique par le magazine The Economist. Ce système, bien que critiquable, sert les intérêts des investisseurs internationaux qui recherchent des conditions locales propices pour engager des fonds financiers. Aussi, les erreurs décelées dans ce type d’analyse peuvent servir au chercheur pour ne pas réitérer ces mêmes erreurs et d’utiliser ces mêmes outils, mais cette fois-ci complétés par des indicateurs scientifiques, à l’image du tableau n°2 de P. Quantin ou la définition du système semi-compétitif établi par M. Bussi (2009) dont la démocratie électorale malienne semble épouser les formes.

À l’instar d’une partie non négligeable du continent africain, le Mali fut un pays relativement stable politiquement. De plus, comme on l’a vu précédemment les rapports hiérarchiques sont prégnants, la société civile tient un rôle important dans le processus de décision, et ce même s’il faut le signaler qu’il existait une certaine apathie dans le champ politique malien avant le putsch de 2012117. Comment peut-on expliquer les raisons de ces maux apparents ?

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