• Aucun résultat trouvé

La perception de la démocratie électorale au Mali ou la légitimité de la représentation politique

LE MALI OU LE « COMPLEXE DU TAILLEUR »

3/ La perception de la démocratie électorale au Mali ou la légitimité de la représentation politique

La diversité des outils d’analyse qu’offre la géographie électorale est aussi bien un avantage qu’un inconvénient. En effet, elle n’est pas exclusive et associe une réflexion pluridisciplinaire, eu égard à François Goguel (1947)156 qui la délimite comme « une espèce de synthèse de ce qu’elle prend à différentes disciplines ». Indubitablement, avec un champ d’application vaste, l’étude spatiale du comportement électoral mérite d’être clarifiée. En fait, il existe principalement deux conceptions clairement définies : la conception psychologique et le modèle « écologique ».

Nous nous attacherons dans ce cas à mettre en évidence les comportements électoraux (perception et instrumentalisation) à partir d’une enquête effectuée par le mouvement politique CARE157 (Convergence Africaine pour le Renouveau) entre octobre et novembre 2001158 à Bamako auprès de 4400 personnes dans les 2400 ménages représentatifs de la ville. Le but de cette enquête était de recueillir le sentiment des électeurs bamakois sur deux indicateurs : la légitimité de la représentation politique et les évolutions de la démocratie depuis les années 1990. Au bout du compte, l’avantage de cette enquête demeure dans le fait qu’elle nous permet de prendre le pouls de la citoyenneté des électeurs maliens.

Les opérations de collecte ont eu lieu sur le terrain entre octobre et novembre 2001. Près de 4400 personnes ont été enquêtées dans les 2400 ménages échantillons de la ville de Bamako.

156

Repris de COLANGE C., 2007, p. 24.

157 Pour avoir accès à cette étude, se rendre à l’adresse suivante :

http://caremali.com/docs/perception_democratie_mali.pdf

158

Rétrospectivement, les questionnaires étaient destinés à aborder les élections législatives de 1997, boycottées par l’opposition.

Tout d’abord, le taux d’appartenance à un parti politique159

est de 35 % (graphique 3). Ce taux, très important en terme de mobilisation ne reflète que l’attirance (ou la sensibilité) d’un électeur vers un parti politique. Malheureusement, on ne connaît pas les taux d’adhésion pour avoir un regard exhaustif sur la réalité du militantisme partisan.

Graphique 3 : Appartenance à un parti politique (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011

Si le chiffre de sympathisants est important, les causes de non-participation aux élections sont multiples. 34 % des personnes interrogées invoquent la « non-inscription sur les listes électorales » comme étant la principale raison de leur désaffection (Graphique 4). Pour 43,5 % d’entre eux (Graphique 4), voter ne reflète pas leurs désidératas (23,6 % pensent que voter ne sert à rien et 19,9 % jugent qu'il n’y a pas de candidat représentant leurs aspirations).

159

En France, le taux général d’adhésion à un parti politique oscille aux alentours de 1 %. Source : http://democratie.cidem.org/index.php?page=politique 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

Graphique 4 : Pourquoi ne votent-ils pas ? (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011

Pour cette dernière raison, 79,7 % des sondés évoquent l’individualisme des hommes politiques. Malgré ce manque d’altruisme, l’intérêt pour la politique reste substantiel chez les hommes (45 %) au contraire des femmes (32 %) qui ont une convenance modérée (graphique 5).

Graphique 5 : Intérêt pour la politique (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50

Masculin Féminin Total 0 5 10 15 20 25 30 35 40

Causes de non participation aux élections

Non inscrit sur les listes électorales

Voter ne sert jamais à rien

Pas de candidats représentant vos aspirations Aucunes raisons

Si la politique intéresse un peu moins d’un électeur sur deux, elle se pratique principalement au jour le jour en dehors des périodes électorales. Au premier plan, les discussions entre amis ou grins160 (52 %, graphique 6) semblent être le principal moyen d’avoir de l’entregent, c’est- à-dire « un capital de relations sociales qui incarne l’estime qu’on suscite et le crédit de confiance dont on dispose » (BOUJU J., 2000, p.149).

Graphique 6 : Participation des citoyens aux mouvements politiques (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011161

Lieu de débat, le grin semble être un moyen d’informations important. En effet, il catalyse l’information, la discussion, en apportant souvent la contradiction. « Ainsi à l’occasion des élections, de quelque nature que ce soit, il est fréquent de voir les membres du grin partagés sur la question, chacun soutenant son candidat et essayant de convaincre les autres […] C’est donc un lieu de débat politique, social et sur toute autre question qui touche à la vie de la nation et de la cité »162. Dans les faits, la citoyenneté n’est pas effective au niveau des chiffres, mais elle s’exécute dans le débat et la palabre à des moments de vie privilégiés.

160

Le « grin » est un lieu de discussion où les protagonistes se retrouvent tous les jours pour parler de l’actualité ainsi que de la vie publique et privée des gens. Pour chaque membre, il constitue un réseau personnel de relations effectives et individualisées où la participation comporte toujours une obligation morale d’assistance mutuelle à la demande des autres membres. Source : (op. cit, p.149)

161

Ceci est une reproduction fidèle de l’enquête et prend en compte les principales informations distillées par les enquêteurs.

162

Auteur non cité, « Une particularité culturelle du Mali – le grin : lieu de détente, de discussion et de décisions », Bamako hebdo, le 04 mai 2007, adresse URL : http://www.maliweb.net/category.php?NID=18095

0 10 20 30 40 50 60 70

Masculin Féminin Total

Parler politique avec les proches Participation aux mouvements politiques ou syndicaux Compréhension de la notion de Gauche et de Droite

Seulement 25 % des sondés se disent « actifs » dans un mouvement politique ou syndical. Après, on ne perçoit pas aisément pourquoi le volet « compréhension de la notion gauche- droite » apparaît dans ce graphique, ce qui n’a rien à voir avec la participation des citoyens aux mouvements politiques. Pour clore ce chapitre sur la légitimité de la représentation politique, nous retiendrons que la sensibilité politique des électeurs maliens est très développée, mais qu’elle ne se reflète pas dans la participation politique directe (vote ou militantisme) ; néanmoins, elle fait ressortir une pratique de la participation politique détournée dans laquelle les grins, notamment, servent en même temps de lieux de sociabilité, mais aussi de décision. Lors d’un débat entre les différents membres d’un grin en période électorale, ils peuvent décider, après maintes discussions, de désigner une personne qui les représentera pour voter. Ainsi, les taux de participation finaux seront faibles, cependant, le résultat du scrutin qui les concernera directement reflètera leurs aspirations politiques. Qu’en est-il de la perception de l’évolution de la démocratie depuis les années 1990 ?

En général, l’évolution de la démocratie depuis les années 1990 est perçue comme étant positive (49 %, graphique 7).

Graphique 7 : Comment la démocratie a-t-elle évolué ? (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011 0 10 20 30 40 50 60

Masculin Féminin Total

Améliorée Identique Dégradée

Seulement, lorsque l’on aborde les écueils163

de la démocratie que les électeurs peuvent retenir, l’opinion générale est beaucoup moins diffuse et s’équilibre autour de 30 % (graphique 8).

Graphique 8 : Les méfaits de la démocratie (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011

Ces résultats qui expriment une ambivalence entre le ressenti positif de la démocratie au travers des chiffres et l’homogénéité des réponses soulignant les difficultés du régime, laissent entendre que le processus de démocratisation donnant la possibilité à chaque électeur de s’exprimer par le vote ne suffit pas. Le maintien de l’ordre, la prise de décision et le circuit économique doivent être bonifiés. On pourrait penser qu’il s’agit d’une admonestation ou d’un ressenti envers le pouvoir légal. De la même façon, le type de gouvernement que souhaitent les électeurs est principalement un corps politique élu démocratiquement (graphique 9). Or, la composition d’un gouvernement de technocrates ou le pouvoir fort d’un seul homme ne sont pas entièrement rejetés (45 % et 36,2 %). En revanche, le retour d’une junte militaire est fortement proscrit par les hommes (21,8 %), sans doute en souvenir des événements de mars 1991.

163

1) La démocratie ne permet pas de maintenir l’ordre. 2) La démocratie ne permet pas de prendre des décisions. 3) En démocratie, le système économique fonctionne mal.

0 5 10 15 20 25 30 35 40

Masculin Féminin Total

La démocratie ne permet pas de maintenir l'ordre La démocratie ne permet pas de prendre des décisions

En démocratie, le système économique fonctionne mal

Graphique 9 : Le type de gouvernement souhaité par sexe (en %)

Réalisation : David Vigneron, 2011

Maintenant, si l’on va au-delà des chiffres, il ne faut pas nier que le pouvoir central est légitimé par la voix des urnes. Si Amadou Toumani Touré bénéficiait d’une bonne image auprès des populations tant par son volontarisme politique (politique de grands travaux, surtout à Bamako) que par sa capacité à résoudre les problèmes quotidiens, son bilan après dix ans à la tête de l’État a été pour autant critiqué et la majorité de la population avait le sentiment de voir sa situation économique et sociale stagnée (cf évolution du PIB depuis 2002, graphique 10).

Graphique 10 : Les variations du PIB au Mali entre 2002 et 2012 0 10 20 30 40 50 60 70 80

Masculin Féminin Total

Système démocratique Gouvernement de technocrates Gouvernement d'un homme fort Gouvernement de l'armée

La démocratie est le régime politique souhaité par la majorité des Maliens (75 à 80 %). De même, l’essentiel de la population reconnaît l’amélioration de la démocratie depuis les années 1990 (50 %). Le niveau des sympathisants reste (35 % des personnes interrogées se sentent proches d’un parti politique) à peu près équivalent aux taux de participation constatés lors des élections présidentielles de 2002 ou de 2007 (environ 36 %). N’y a-t-il pas un lien de causes à effets ? Néanmoins deux facteurs sont redondants dans cette enquête d’opinions : les taux de participation aux élections demeurent faibles souvent en raison de la distance du bureau de vote par rapport au domicile, ou encore les procédures de retraits des cartes électorales sont contraignantes.

Dans l’ensemble, la démocratie électorale est bien perçue au Mali par les électeurs, et ce, malgré les points d’achoppement relevés dans cette partie (multipartisme intégral, transgression de l’autorité). Aussi, le fonctionnement démocratique au jour le jour laisse la place à une certaine forme de liberté d’expression ou d’opinion perçue de manière positive par les électeurs. En même temps, la libéralisation de la société suite à la démocratisation a entraîné la profusion de la représentation politique se recentrant très rapidement sur des allégeances sociales. Finalement, l’institution électorale ne peut former par elle-même le « dispositif transformationnel » de la société africaine annoncé par A. Rouquié en 1978. L’objet électoral semble être l’apanage d’une minorité alphabétisée rompue au militantisme. Une forme d’élite politisée qui s’est approprié la chose politique très tôt pour maintenir un

statu quo social. Sans doute cette particularité est-elle l’une des nombreuses causes qui ont

provoqué la crise de 2012164, mais entre-temps le Mali s’était doté d’un appareil institutionnel et territorial suffisamment solide pour être réactivé en 2013 afin de sortir de la période difficile qu’il connaissait.

En 1992, la démocratie s’est installée au Mali, mais les premières élections organisées (1992 ou 1997) n’avaient pas bénéficié de réformes territoriales efficientes simplifiant l’organisation des élections. C’est à partir de 1995-1996 que les premières concertations villageoises ont enclenché le processus de territorialisation administrative de la décentralisation. Auparavant, il préexistait le système des cercles et des arrondissements, héritage de l’indépendance, qui pouvaient servir de repères spatiaux.

164

Une lente maturation issue d’histoires successives de l’évolution de la grille spatiale a été à la source de la bonne marche de la participation aux élections.

De plus, la constitution de l’espace malien s’est réalisée selon la conjugaison de schémas politiques et sociaux. Outil de pouvoir, outil de différenciation, sur quelles logiques les territoires s’appuient-ils ?

Documents relatifs