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L’INFLUENCE DE LA TERRITORIALISATION COMMUNALE SUR LES DÉTERMINANTS DU CHOIX POLITIQUE

Pour comprendre l’influence du territoire sur les déterminants du choix politique, prenons l’exemple de l’organisation des bureaux de vote, principal avatar de la décentralisation lors d’un scrutin. En effet, le bureau de vote sous bien des aspects reste le « haut lieu » du vote. Dans un espace « ciselé » comme l’est celui du Mali, l’organisation spatiale des bureaux de vote paraît, a priori, complexe à mettre en œuvre dans l’ensemble du territoire. Au demeurant, le critère du zonage pour 500 habitants peut être réaliste dans le sud, grâce aux nombreuses infrastructures d’accueil des bureaux de vote (des écoles essentiellement). Tandis que, dans le septentrion, les distances importantes par rapport aux bureaux de vote accroissent les difficultés d’organisation de la répartition des structures de vote. De plus, certaines des compétences administratives transférées en matière électorale ont été reprises par Bamako en 2004. L’échelon communal conserve, toutefois, la gestion matérielle de l’organisation des élections sous contrôle étroit de l’État central238. En définitive, l’organisation territoriale des élections exige de prendre en compte les particularités spatiales (le clivage géographique) des territoires d’élections. Pourtant, si l’on excepte le caractère matériel de l’organisation des élections, le bureau de vote, dans bien des aspects, inclut des variables symboliques que l’on ne peut occulter.

La répartition des bureaux de vote s’effectue, aussi, selon des critères tendant à caractériser au mieux l’acte de vote, qu’il soit individuel ou collectif. Répondant à quatre logiques (« sacré », « communautaire », « neutralisé » et « accessible »)239, la géographie électorale intègre bien des dimensions symboliques dans son analyse. Le vote n’est-il pas, avant tout, une affaire de représentation ? Le concept « d’espace social » n’associe-t-il pas cette mesure ? « En somme, les lieux où l’on vit, par leur situation dans l’espace, par leur valeur marchande, du fait de leur coût d’accès et des commodités qu’ils offrent, en raison de leur agencement et des appréciations esthétiques qu’ils suscitent, par l’effet de distinction qui en découle, fonctionnent comme des signes sociaux.

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SNV Mali, CEDELO, KIT (2004), La décentralisation au Mali, Bulletin 358, Amsterdam, série Décentralisation et gouvernance locale, p. 42.

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Cette seconde optique de lecture de l’espace social en fait une instance dynamique et causale, mue par les stratégies individuelles et sociales des actants, mais susceptible, aussi, d’expliquer nombre de leurs comportements (DI MÉO G., BULÉON P., 2005, pp. 80-81).

Attendu que la géographie électorale reste, implicitement, liée à la géographie sociale, reprenons les logiques de l’organisation spatiale des bureaux de vote, citées ci-dessus. En résumant, le lieu de vote « sacré », symbolise, d’abord, à l’image d’une église, un endroit pacifié où l’électeur peut se recueillir et accomplir son acte de foi, renforçant par la même occasion la particularité opiniâtre de l’acte de vote. Ensuite, le lieu de vote « communautaire » reflète le caractère festif des élections. « Convivialité au sein d’un réseau d’interconnaissance, symbolique du consensus collectif, l’organisation communautaire du vote participe à un élan citoyen, encadré par un fort contrôle social local » (BUSSI M., 2004, p. 131). Impliquant des liens sociaux forts, le lieu de vote « communautaire » freine les velléités d’abstention. En outre, le lieu de vote « standardisé », espace « neutralisé » par excellence, se détermine par la prévisibilité de son utilisation. Tout y est rationalisé, ordonné et temporaire. Aux antipodes du lieu de vote « sacré », le bureau de vote neutralisé renvoie, par son caractère éphémère, à la particularité supérieure des élections. Le dernier point s’applique, directement, à la notion de distance. En effet, le lieu de vote « accessible » comporte l’exigence de rapprocher le bureau de vote de l’électeur. Ce raisonnement vise, assurément, à limiter tant bien que mal, les trop fortes abstentions qui caractérisent beaucoup de jeunes démocraties électorales.

En ce qui nous concerne, le lieu de vote au Mali intègre, principalement, deux aspects. L’un, se rapprochant du lieu de vote « sacré ». Effectivement d’un point de vue humain, la finalité de l’acte de vote est la nomination d’un candidat. Si l’on imagine l’électeur voter avec ses propres représentations, ses propres conceptions de l’espace, qu’en sera-t-il de la symbolique de son geste ? Obligatoirement, il sera lié à l’environnement qui l’entoure au moment du vote surtout si le votant se sent rassuré. Dans un cadre qui s’y prête, la décision qui était peut-être prise avant de rentrer dans le bureau de vote peut changer subitement. Par conséquent, un bureau de vote se trouvant « apolitique » devient un lieu hautement politisé. Pour illustrer ce propos, beaucoup de témoignages concordent dans le sens où des représentants de partis politiques sont à l’extérieur comme à l’intérieur du bureau.

« Ne sont socialement reconnus comme symboles que les lieux identifiés comme tels par un certain nombre de personnes, et, c’est dans ce mouvement de reconnaissance qu’un groupe peut être institué en tant que tel et s’attribuer une identité. Pour cette raison, la dimension symbolique de l’espace est, à la fois, un enjeu et un instrument de pouvoir : celui qui manipule les symboles peut manipuler le processus d’identification, et peut, donc, influer sur la constitution du groupe qui légitime l’exercice du pouvoir » (MONNET J., 2007). L’espace, ainsi instrumentalisé, peut en tout état de cause, avoir des conséquences sur les résultats du scrutin. L’autre, concordant avec le lieu de vote « accessible », répond au questionnement de la « distance ». On s’en est aperçu tout au long de cette argumentation, la distance revêt un caractère d’envergure dans le cadre des élections.

Ce chapitre se propose donc d’aborder toute la symbolique combinée autour de la relation territoire/élection. La première partie porte sur un des aspects primordiaux de notre approche, la « psychogéographie », que nous définirons et, par la suite, que nous mettrons en adéquation avec la notion de distance. Nous le verrons, cette dernière n’est pas seulement physique, mais aussi culturelle. En définitive, il s’agira de faire ressortir l’influence de l’environnement social sur l’homme et plus particulièrement l’électeur. Par la suite, nous nous servirons de cette base axiologique pour différencier les différents types de comportement du votant et les facteurs exogènes qui enclenchent certains réflexes comportementaux, à travers la distinction entre le vote d’échange, le vote communautaire ou le vote d’opinion. De plus, cette typologie nous permettra de comprendre comment les autorités maliennes ont essayé d’ancrer certaines représentations (surtout la notion de décentralisation) auprès de la population. Ceci nous permettra d’aborder le thème du « temps électoral » et d’essayer de mettre en place l’observation participante d’un scrutin (la campagne, le jour du vote et l’après-élection) que nous proposons dans cette étude.

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