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Un paysage politique émietté

LE MALI OU LE « COMPLEXE DU TAILLEUR »

2/ Un paysage politique émietté

L’abondance est le terme qui correspond le mieux, aujourd’hui, aux caractéristiques de l’offre partisane au Mali. Désormais, la carte d’identité du jeu politique ne se résume plus au régime à parti unique (ou parti présidentiel), mais au « multipartisme ». Synchrone avec le reste du continent africain, le Mali a connu une refonte complète de son organigramme politique. Les raisons de cette rupture, avec un passé récent, restent mal connues, mais pour le moins que l’on puisse dire, ce phénomène n’est pas près de s’interrompre.

De façon plus générale, la sensibilité à la conjoncture internationale n’apparaît pas clairement dans le processus de changement au Mali. Ce sont les « dynamiques politiques du dehors et du dedans »145 qui interagissent pour créer un contexte, à la fin des années 1990, propice aux transformations étatiques. Le dedans répond à ces mêmes fondamentaux, le passage brutal d’un régime d’« extraversion »146

à une démocratie représentative ne peut être digéré en peu de temps. « Le spectacle est frappant, par exemple, de voir à Bamako tous les motards circuler sans casque, devenu symbole d’oppression parce qu’il était obligatoire à l’époque de Moussa Traoré »147. Cette phrase illustre bien ce qui s’est passé au Mali, après le 26 mars 1991 et la chute de Moussa Traoré. Verrouillée, cadenassée, la société malienne s’est retrouvée, du jour au lendemain, libérée, mais insistons sur le terme « libéralisée », plus approprié au contexte malien. La vague a tout emporté, faisant naître de nouveaux espoirs, l’État n’assurait plus son rôle de modérateur, tout devenait dérégulé. En conséquence de quoi, le nouvel ordre démocratique a permis la prolifération non contrôlée du multipartisme et des libertés. Dès l’instauration du multipartisme par l’ordonnance n° 2 du Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) d’Amadou Toumani Touré, la création et la réapparition inflationniste de 3 partis devenus 14 en un mois, puis 45 à l’issue de la Conférence nationale148

, montrent combien le jeu politique malien devient dérégulé (BERTRAND M., 1992, p. 13).

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Pour reprendre l’expression de BALANDIER G. (1986) : « Au début des années 90, les régimes politiques africains ont du s’adapter à une demande internationale de libéralisation. Des changements profonds dans les statuts constitutionnels ont été effectués (adoption du multipartisme ou encore l’organisation de référendums), mais en réalité, l’application de ces évolutions sur le terrain ne fut, la plupart du temps, que peu respectée ».

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Basé sur « la captation d’une véritable rente de la dépendance comme matrice historique de l’inégalité, de la centralisation politique et luttes sociales » in BAYART J.-F., (1999).

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CHAMPAUD J, op. cit, p. 7.

148

La logique malienne « d’explosion du multipartisme » (BUSSI M., 2004, p. 167) équivaut- elle, réellement, à la définition couramment utilisée pour définir un régime pluraliste ? Le multipartisme est considéré comme « un système politique possédant plus de cinq partis importants, les deux premiers obtenant moins de 50 % des voix » (Ibid, p. 167). Effectivement, la définition du multipartisme communément admise ne répond pas aux spécificités de la démocratie malienne. Ainsi, la configuration partisane représente en 2004 une centaine de partis149. De la sorte, « les légitimités différenciées du multipartisme malien se sont, donc, construites en quelques semaines sur d’autres terreaux, et sont, donc, à rechercher, à la fois, dans de vieux réflexes sociaux de ralliement et de scission, et dans une grande fluidité des alliances et des démarcations » (BERTRAND M., 1992, p.13). Concrètement, la profusion des partis politiques renforce le risque de voir le jeu politique s’embourber dans des considérations de personnes et des alliances fragiles (cf fig. 4). Tout aussi paradoxal, le jeu des alliances fait partie intégrante de la compétition politique. Au détour des grandes échéances électorales (présidentielles ou législatives), des coalitions se créent dans le but avoué de constituer le futur vainqueur.

Les clivages idéologiques entre les groupes n’existaient que très peu, la différence se jouait sur la personnalité des leaders partisans. Cela se voit sur la figure 4, si l’on prend l’exemple de l’Adema-Pasj. En 1992, il coexistait une situation de statu quo où s’est créé le futur échiquier politique, les alliances n’ont pas encore eu lieu d’être. En revanche, à partir de 1994 et jusqu’en 2001, au lieu de rester figées, les choses bougent. Au sein de l’Adema-Pasj, des conflits d’intérêts particuliers éclatèrent et au final, le parti s’est scindé en trois, le parti originel, le MIRIA (Mouvement pour l’Indépendance, la Renaissance et l’Initiative Africaine) et le RPM. En 1997, plusieurs alliances politiques se sont créées, mais le mauvais déroulement du premier tour des élections législatives puis le boycott par l’opposition des élections présidentielles ne permirent pas de tirer un enseignement sur les rapports de force en présence. La classe politique se divisa entre la mouvance présidentielle, autour de l’Adema- Pasj et le Collectif des Partis d’opposition, rassemblement composite constitué pour obtenir la tenue de nouvelles élections.

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Selon le répertoire des partis politiques, au 31 juillet 2004, on compte 94 partis politiques au Mali. En 2009, il existe 120 partis enregistrés auprès du ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales. À l’aune de chaque scrutin, le nombre de partis croît. Conjoncturellement, les créations de partis ont eu tendance à diminuer ces dernières années.

L’échéance des élections de 2002 (figure 4) provoqua la dispersion des principaux ténors de l’Adema-Pasj et la fin du monopole de la mouvance présidentielle. À terme, c’est l’arène politique qui s’en trouva bouleversée avec la victoire en tant qu’indépendant aux élections présidentielles d’Amadou Toumani Touré, soutenu du bout des lèvres par le leader charismatique du « parti aux abeilles » et Président sortant de l’époque, Alpha Oumar Konaré. Désormais, les indépendants obtiennent une lisibilité en tant qu’arbitres des joutes électorales. On remarquera que la coalition indépendante entre 1994 et 2001 est composée d’environ un tiers des partis du pays et, par conséquent, symbolise un poids politique relatif, mais, en revanche, une diversité partisane d’envergure. Fortuitement, en 2002, on assiste à un basculement du monopole des partis politiques vers une polarisation partisane autour d’un seul homme, Amadou Toumani Touré. Sa notoriété et son programme politique de consensus lui permirent de remporter la magistrature suprême face aux candidats soutenus par les grands partis maliens. 2007, nouvelle année électorale, confirmera ce renversement de tendance où seulement deux coalitions se constitueront. La première, l’ADP (Alliance pour la démocratie et le progrès) autour d’Amadou Toumani Touré, est composée d’une trentaine de partis dont les deux plus importants partis politiques en termes de potentiel électoral, l’URD et l’Adema- Pasj. La seconde, le FDR (Front pour la Démocratie et la République) regroupe une vingtaine de partis, dont le PARENA et le RPM.

Figure 4 : Le jeu des coalitions

Source : Répertoire des partis politiques au Mali, Institute for Multiparty democracy, 2004, auteur : David VIGNERON, 2008

Au soir du 27 mars 2007, après la déclaration de la candidature d’Amadou Toumani Touré aux élections présidentielles, le président de l’Adema-Pasj et de l’ADP, Dioncounda Traoré déclarait dans les colonnes de L’Essor150 : « Nous allons faire en sorte que le rêve de beaucoup de Maliens devienne une réalité c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de second tour »151

. Cette déclaration a le mérite de mettre au jour beaucoup de vérités. Par exemple, l’issue du scrutin ne laissait pas la place au suspense au vu du score, 71,2 % des suffrages exprimés pour Amadou Toumani Touré. Une fois que la FDR a accepté timidement152 les résultats de l’élection présidentielle, le bicéphalisme électoral s’est brisé et on a assisté au début d’une période de fusions et d’alliances pour préparer les prochaines élections communales à venir, le 29 avril 2009 avec en point de mire les échéances présidentielles de 2012153. À ce moment- là, les grands bénéficiaires de cette recomposition partisane étaient l’Adema-PASJ et l’URD, sans doute en rapport avec le poids électoral important qu’ils représentent à l’issue du scrutin législatif de 2007 en termes d’élus à l’Assemblée nationale (93 députés sur 147 au total). À l’aune du choix politique que constituent les élections municipales de 2009, beaucoup de partis se sont constitués154 entre le 20 février 2008 et le 19 février 2009. Mise à part la CoDem, tous les partis qui se sont créés ont un faible poids au sein de l’électorat. Ce schéma s’est reproduit avec l’arrivée des nouvelles élections présidentielles en 2012 avec la création en premier lieu du RDPM (Rassemblement pour le Développement du Mali) de Cheick Modibo Diarra 155et de la CARE (Convergence Africaine pour le Renouveau) de Cheick Boucadry Traoré, le fils de Moussa Traoré.

Cette profusion de partis n’a-t-elle pas nui à l’image de la classe politique malienne et plus globalement à la démocratie électorale ? Pour s’en rendre compte, nous allons désormais interroger une enquête réalisée par CARE Mali auprès de ménages bamakois. Elle permet de formaliser par des données quantitatives la perception globale de la démocratie au Mali.

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Quotidien d’État pro-gouvernemental. Numéro 15922 du 28 mars 2007.

151

Plus communément appelé le « takokélé » en Bambaras.

152

« Le FDR prend acte et invite le peuple à la vigilance et à la mobilisation », L’Indépendant du 14 mai 2007.

153

Se référer à l’annexe n°5 pour un complément d’informations.

154

Ainsi, 10 nouveaux partis sont apparus : Le Mouvement des Patriotes pour la Justice (MPJS), le Front pour le Développement du Mali-Mali Nieta Jekulu (FDM-MNJ), l’Union pour le Développement du Mali (UDM), l’Action Démocratique pour le Changement et l’Alternance au Mali (ADCAM), la Convergence pour le Développement au Mali (CoDem), le Parti de la Différence au Mali (PDM), Bolen Mali Dene Ton (BMDT), le Front Africain pour le Développement (FAD), l’Union des Forces pour le Changement (UFC) et l’Union des Forces pour le Changement (URP). Selon les références des récépissés. Source : MATCL (2009), Liste des

partis politiques, Direction Nationale de l’Intérieur, Bamako, 10 p. 155

3/ La perception de la démocratie électorale au Mali ou la légitimité de la

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