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La campagne électorale ou comment faire son marché « de dupe »

CHAPITRE 7 : L’ESPACE SOCIAL ET LE VOTE

1/ La campagne électorale ou comment faire son marché « de dupe »

La mobilisation partisane275 dépend de stratégies mises en place par les candidats et leur entourage. Par conséquent, nous allons tenter de répondre aux messages envoyés par les candidats à leurs partisans sous l’angle des stratégies partisanes de mobilisation. Nous nous servirons de l’exemple de la campagne présidentielle des différents candidats ayant déclaré leur intention de briguer un mandat à Koulouba, lors des élections présidentielles du 29 avril 2012276.

En amont de toute action de sensibilisation électorale ponctuelle perdure un long processus de socialisation politique dont les effets se manifesteraient tout au long de la vie de l’individu. La socialisation a été, plus largement, définie comme « l’installation par intériorisation d’un individu à l’intérieur d’un monde objectif d’une société ou d’un secteur de celle-ci »277

. Tout au moins, l’héritage social se décline en deux étapes, la première que l’on pourrait qualifier de « primaire » se caractérise par une procédure qui résulte de l’apprentissage de manière d’être, de penser et d’agir adapté ou inadapté à la position occupée ou aux positions occupées dans le monde social à travers divers processus, notamment d’éducation, de transmission et d’identification… (GAXIE D., 2002, p. 148). La socialisation initiale est complétée par une éducation secondaire. Elle est le résultat de la « trajectoire biographique, qui peut être, par exemple, ascendante ou déclinante, de l’appartenance de divers milieux (familiaux, professionnels, amicaux, culturels ou encore communautaire et des positions occupées dans l’espace social » (Ibid, 2002, p. 148). Ces socialisations sont formalisées par des aspects plus contextuels, des situations de mobilisation, par certains états du champ politique ou par des représentations d’origines diverses. On pourrait extrapoler cette analyse en y intégrant une troisième catégorie de socialisation, celle-ci « ponctuelle ». La sensibilisation tiendrait dans le fait que les moyens utilisés par un tiers soient utilisés dans le but de faire réagir au plus vite l’individu. Ainsi, la culture d’accumulation et de redistribution de richesses au Mali atteste bien de cette particularité.

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Voir « l’observation d’un scrutin », partie « Lieux d’étude » en annexe n°1.

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Ces élections n’ont pas pu avoir lieu en raison du putsch du 22 mars 2012, cf annexe n 5.

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Pour Jean-Loup Amselle, les Maliens « baignant dans un univers aristocratique sur les normes éditées par les griots278 et les marabouts, sont contraints de convertir une partie de leur fortune en prestige social ou religieux. Procéder autrement susciterait l’incompréhension de la grande masse de la population » (1992, p. 636). Dès que l’on possède un peu de richesse, il faut obligatoirement la redistribuer à son entourage (proche et/ou lointain). Concrètement, le rapport au passé est prégnant, il s’agit bien ici d’une culture de socialisation. En revanche, ce modèle ne se vérifie plus en période de campagne électorale.

Photo 1 : Modibo Sidibé recevant une calebasse pleine de céréales à Kimparana décembre 2011, ©Kassim Traoré.

C’est le cas lorsque les hommes politiques se rendent en périphérie pour battre campagne. Tous les moyens sont bons pour sensibiliser l’opinion, dons de cadeaux ou de petites sommes d’argent. Le cas contraire est également envisageable, les électeurs potentiels peuvent offrir quelque chose au futur candidat (cf photo n°1). La temporalité change totalement, le long processus de socialisation se transforme en bref instants d’échanges.

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Le griot est un historien, un conteur, un chroniqueur. Il est dépositaire de la mémoire collective d’un peuple. Source : Sangonet, URL : http://www.sangonet.com/Legriot.html

Que peut-on en penser ? Au premier abord, l’individu semble ne plus être redevable de qui que ce soit. Au lieu de donner, il reçoit. Cet aspect de la socialisation « ponctuelle » est très étroitement lié à la culture politique malienne et correspond à un des aspects les plus fondamentaux de la définition de la démocratie de « l’extraversion » que nous avons élaborée précédemment. À titre de comparaison, Marie-Soleil Frère constate que « les élections constituent l’occasion pour les formations politiques de guerroyer pour installer leurs hommes. Cela afin que s’exerce intégralement le jeu démocratique » (1999, p. 95). Contrairement à cette idée reçue des démocraties au Bénin et au Niger, la réalité n’est pas, complètement, en adéquation avec ce qui vient d’être évoqué. La compétition électorale au Mali ne gravite pas seulement autour des partis politiques, mais, surtout, autour d’une personne qui représente un groupe d’individus. Au sommet de l’État, à titre illustratif, en 1960, une nomenklatura composée d’intellectuels arrive au pouvoir. Modibo Keita, son leader, est considéré par les griots comme un descendant de Sunjata Keita, le fondateur supposé de l’empire du Mali (AMSELLE J.-L., 1992, pp. 637-638). Cette vision de représentation du pouvoir se perpétue dans le temps. Modibo Sidibé tout comme Amadou Toumani Touré, dans la continuité de Modibo Keita, incarne l’image du libérateur de 1991. Selon Madame Fofana Fily Traoré279, « il s’agira de démontrer au monde entier que Modibo Sidibé est le candidat idéal, une candidature voulue et demandée par le peuple malien. Le Mali a connu de grands hommes, il continuera d’en connaître […] Hier, c’était le temps de Soundiata Keita, de Babemba Traoré, de Samory ; et aujourd’hui, c’est l’ère Modibo Sidibé, le fils de l’illustre Capitaine Mamadou Sidibé et petit frère du regretté Mandé Sidibé280

». Filiation, lignée, hérédité, ces termes mettent en lumière « une institution dynastique où la transmission du pouvoir se fait de manière « latérale » de frère en frère […] Les règles de rotation adoptées par nos États supposent au contraire une adhésion pleine et entière du principe de la succession latérale, dont elles ne font que tirer toutes les conséquences ; elles manifestent donc une emprise persistante de cette idéologie lignagère dont le Mali avait au moins réussi à s’affranchir » (GOEH-AKUÉ N. A., 2010, p. 160).

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FOMBA Z., (2011), « Soutien à la candidature de Modibo Sidibé », Le Coq, Le 8 juillet, accessible à l’URL : http://www.diasporaction.com/index.php?option=com_content&view=article&id=3744:soutien-a-la-

candidature-de-modibo-sidibe&catid=30:le-coq-cocorico&Itemid=36

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Ancien Premier ministre malien (2000-2002) et candidat indépendant à la présidentielle de 2002, il est décédé début septembre 2009, Source : NAUDÉ P.-F. (2009), « Adieu à Mandé Sidibé », Jeuneafrique, le 8 septembre, accessible à l’URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2538p033.xml0/

En vertu de son caractère héréditaire, la légitimité dont jouit Modibo Sidibé pour sa candidature est importante, en revanche elle masque son bilan négatif à la primature281, synonyme d’une popularité faible auprès de l’opinion. De ce fait, il fut très critiqué, principalement pour sa gestion de « l’Initiative Riz »282 qui visait à rendre le pays autosuffisant pour la production rizicole et à augmenter sensiblement son rendement. Bien que son bilan politique ne soit pas positif au regard des intentions du départ, il est resté premier ministre du pays de 2007 après la réélection d’Amadou Toumani Touré jusqu’en 2011, date à laquelle il a démissionné pour se consacrer au devenir de sa carrière politique en se rapprochant des réseaux de pouvoir, qu’ils soient associatifs, culturels ou religieux.

Du côté du religieux, congrûment, Modibo Sidibé cherche à renforcer son audience auprès des groupements fortement implantés socialement et dont la parole est très écoutée283.

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Le bilan de Modibo Sidibé en tant que premier ministre est quelque peu mitigé. En effet, le domaine des infrastructures et de la construction est satisfaisant, toutefois en matière socio-économique (des taux de croissance faibles, de l’ordre de 4,5 % en moyenne au regard des 6 à 8 % du reste du continent, les grèves à répétition dans l’enseignement supérieur ou le prélèvement obligatoire sur salaire de l’assurance maladie à chaque travailleur malien) les résultats restent très critiqués. Source : DIARRA B. S. (2011), « Démission du gouvernement Modibo Sidibé : un bilan controversé et un avenir politique désormais ouvert, mais… », Le

Combat, le 31 mars, accessible à l’URL : http://www.maliweb.net/category.php?NID=73398 282

« L’initiative riz » initiée en mai 2008 pour augmenter la production nationale de riz paddy de 50 % entre 2008 et 2009 (1,082 millions de tonnes produites en 2008 pour atteindre 1,618 millions de tonnes pour 2009). Objectivement, les résultats escomptés par le Ministère de l’Agriculture ont été atteints avec une production de 1,607 millions de tonnes. Source : TRAORÉ S. (2010), « L’initiative riz au Mali », interview de Mamadou Goïta, coordinateur nationale de l’Initiative riz au Mali, RFI, le 2 janvier, accessible à l’URL : http://www.rfi.fr/contenu/20091231-initiative-riz-mali Ce coup de pouce étatique devait permettre aux organisations paysannes de gagner en autonomie pour l’accès aux intrants ou aux crédits bancaires. En parallèle de l’initiative riz, l’ancien Président ATT a crée un programme de moralisation de l’administration publique en mettant en place le Bureau du Vérificateur Général. Ce programme a permis de déceler des anomalies financières concernant la gestion de l’Initiative riz. Modibo Sidibé a été vivement critiqué pour sa gestion de l’Initiative Riz où l’État aurait dépensé en pure perte près de quarante-deux milliards de Francs cfa pour la campagne de récolte 2008-2009. Source : TOURÉ S. (2009), « Scandale de l’initiative riz : comment ne pas démettre Modibo Sidibé ? », Info-matin, date non précisée, accessible à l’URL :

http://www.info-rmatin.com/index.php?otion=com_content&view=article&id=806:scandale-de-linitiative-riz-- comment-ne-pas-demettre-modibo-sidibe-&catid=60:dossiers-de-la-rédaction&Itemid=83

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Le 21 février 2011, lors de la célébration du Maouloud (le baptême du Prophète) au stade Modibo Keita à Bamako, le prêche de l’imam a été émaillé par une bousculade faisant au moins 36 morts. Source TOURÉ S. (2011), « Drame de Maouloud 2011 : Cheikh cherif Ousmane Madani Haïdara parle », Le caïman de Indè, le 02 mars, accessible à l’URL : http://www.maliweb.net/category.php?NID=71879&from=cat&page=2

Photo 2 : Modibo Sidibé, à Tamani, chez Bassa Traoré, la mère de Chérif Madani Haïdara, ©Kassim Traoré

Par exemple, Chérif Madani Haïdara284, « l’imam rouge », est respecté par les Maliens pour ses discours qui pointent l’immoralité et les pratiques malhonnêtes des politiciens. En allant plus loin et pour éclairer notre compréhension, le succès actuel de l’Islam est à mettre en lien avec le contexte politique. Les associations, depuis 1991, ne cessent de croître. Pour cette raison, elles deviennent incontournables en tant que forme d’organisation sociopolitique pour agir et s’exprimer (BRENNER L., 2001, p. 299). Pareillement, en tant que valeur montante, l’Islam peut, aujourd’hui, constituer une voie encourageante pour les espoirs déçus (DOQUET A., 2007, p. 386). Peut-on affirmer que la montée des associations religieuses créée un « nouvel espace public religieux » (HOLDER G., 2009).

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Prédicateur et fondateur du mouvement Ançar Dine (Association malienne pour le Développement de l’Islam). On sait qu’il a implanté en 1991 le siège de son mouvement à Dianguinabougou (cercle de Koulikoro, à quatre-vingts kilomètres au nord-ouest de Bamako), mais la date de sa création n’est pas connue. Source : BOURDARIAS F. (2009), « Construction religieuse du politique. Aux confins de Bamako (Mali), Civilisations [En ligne], 58-2 | 2009, mis en ligne le 30 décembre 2012. URL : http://civilisations.revues.org/pdfindex2070.html

Le 21 février 2011, 36 personnes ont été tuées et 70 autres blessés, lors d’une bousculade au stade omnisports Modibo Keita où 25 000 personnes s’étaient rassemblées pour suivre le prêche de Maouloud du prédicateur. Source : FOFANA M. (2011), « Maouloud meurtrier au stade omnisports de Bamako : L’État, les forces de sécurité et l’association Ançardine responsable », L’Indépendant, le 23 février, accessible à l’URL : http://www.maliweb.net/category.php?NID=71562 Un an plus tôt, une même bousculade eut lieu à Tombouctou faisant quasiment autant de victimes. Source : MAÏGA A. (2010), « Maouloud endeuillé à Tombouctou : la liste officielle des 15 morts et des 54 blessés », 22 septembre, le 1er mars, accessible à l’URL : www.maliweb.net/category.php?NID=57331

À supposer que nous traitons des manifestations sociospatiales de la religion, le concept d’espace public prend sens précisément là où s’interrompt la continuité avec l’origine ou la culture partagée, là où s’institue un espace politique qui unit le « disparate sans effacer la disparité » (TASSIN E., 1992, p. 33). De cette façon, on distingue bien, l’espace communautaire, qui par essence est homogène et le domaine public se distinguant par sa pluralité (Ibid, p. 35). Les mouvements religieux, par conséquent, obtiennent une légitimité dans l’espace politique du moment où ils arrivent à incarner les aspirations des électeurs. Parallèlement, les médias se sont fait l’écho des idéologies religieuses, relayant les problèmes sociaux ou les mécontentements pour augmenter leur audience.

Les mouvements pentecôtistes285 à l’image des associations coraniques en Afrique de l’Ouest sont manifestement capables d’occuper l’espace public, si bien que les hommes forts des régimes en place sont plus ou moins contraints de considérer leur potentiel politique. Mathieu Kérékou286, ancien président béninois, s’est converti par la force des choses. En Côte d’Ivoire, cette mouvance était présente dans l’entourage du président Laurent Gbagbo ou dans celui de politiciens de premier plan au Togo, tels que l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo, ou en Zambie autour du président Frédéric Chiluba (1991-2002) (GIFFORD, 1998 ; MAYRARGUE C., 2004 ; STRANDSBERG., 2005). Au Gabon, c’est à partir des élections présidentielles de 1998 que le pouvoir prend au sérieux « les églises prophétiques », leur poids sur l’opinion et leur capacité de mobilisation électorale (ANDRÉ G., 2009, p. 11). Avec cette redéfinition de l’espace public confondu avec le développement des mouvements religieux à la fin des années 1990 (BOURDARIAS F., 2009, p. 22), les stratégies de sensibilisation électorale marquent l’intrication profonde des réseaux politiques avec le sacré (cf photo 2).

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De 1900 à 1960, de grands mouvements messianiques ou millénaristes, chevauchant parfois les mouvements de libération nationale et catalysant les imaginaires sociaux, se développent en Afrique. Le pentecôtisme né aux États-Unis au début du XXe siècle, notamment dans les communautés noires, et apparaît en même temps au Brésil et en Afrique du Sud. Il a essaimé dans les années 1930 […] Offrant parfois des espaces néo- communautaires, le pentecôtisme devient dans de vastes régions du monde un imaginaire social capable d’offrir une alternative au processus de sécularisation qu’on croyait presque naturel. Source : CORTENA A., MOLINA V. (2007).

286

« En 1996 et après son retour au pouvoir, il s’est présenté comme un born again, un nouveau converti, par un pasteur pentecôtiste. Certains pasteurs pentecôtistes n’hésitent pas à entretenir des connexions étroites avec le pouvoir politique et à être leur conseiller ». Source : BONY G. (2010), p. 23.

Photo 3 : Modibo Sidibé recevant les bénédictions de l’imam de Yélimané Début janvier 2012, ©Kassim Traoré

Au Mali, face à des candidatures évanescentes à l’élection présidentielle de 2012, seuls trois candidats peuvent se détacher et profiter de moyens importants pour mener leur campagne. Le premier, Modibo Sidibé, dauphin présumé d’Amadou Toumani Touré287

, bénéficiait des réseaux et des soutiens du PDES (Parti du Développement Économique et Social)288. Quant au candidat du principal parti politique, l’Adema-PASJ, Dioncounda Traoré, l’ancien président de l’Assemblée nationale, il tirait avantage de la structure la plus étoffée territorialement d’un point de vue du nombre des élus locaux ou nationaux289

. Enfin, Soumaïla Cissé, ancien président de l’UMEOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine), candidat de l’URD290, a réussi avec son parti en presque dix ans d’existence à en

assurer la pérennité spatiale.

287

DICKO A. (2012), « Le PDES face à la présidentielle : l’option pour Modibo Sidibé se précise », Les échos, le 16 janvier, accessible à l’URL : http://www.lesechos.ml/le-pdes-face-a-la-presidentielle-l%E2%80%99option- pour-modibo-sidibe-se-precise.html

288

Formation issue de l’ex-Mouvement citoyen, l’association politique indépendante, composée de nombreux décideurs du pays, a soutenu le président Amadou Toumani Touré lors de ses deux mandats présidentiels de 2002 et de 2007.

289

51 députés et 3185 élus communaux en 2012. Source : Résultats électoraux, Ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités Locales.

290

Second parti du pays en terme d’implantation électorale avec 34 députés et 1935 élus communaux en 2012 (Source : Résultats électoraux, Ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités Locales).

Pour chaque candidat, les stratégies sont différentes. On l’a vu, Modibo Sidibé oriente sa stratégie de campagne sur la recherche de soutiens notamment religieux et des pouvoirs légitimes (chefferie traditionnelle) et légaux (élus), cf encadré 4.

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