• Aucun résultat trouvé

La transition consolidée ?

LE MALI OU LE « COMPLEXE DU TAILLEUR »

1/ La transition consolidée ?

L’espérance de vie des démocraties fait figure de déterminant pour les chercheurs qui tentent de s’y intéresser en « se basant sur la métaphore médicale » (SCHEDLER A., 2001, p. 228). Laconiquement, selon Andréas Schedler, les démocraties montrent des signes cliniques avant- coureurs de bonne ou de mauvaise santé. Diagnostiquer une démocratie, tel est le but, mais par quels moyens et quels objectifs ? On constate que quatre logiques se distinguent :

« La logique des symptômes », fondée sur l’absence de crise ; la « logique de mise à l’épreuve », qui a pour base la gestion efficace des crises ; la « logique préventive », fondée sur l’existence de fondements structurels solides ; et la « logique de l’autoperception », fixée sur les perceptions subjectives des citoyens et des élites politiques (pour une synthèse, cf fig. 3).

127

Cette enquête est une des seules qui existent à notre connaissance. Plus récemment, F. COULIBALY (2013) a effectué également une enquête auprès de l’électorat et notamment féminin pour les élections présidentielles de 2007. Cf COULIBALY F. (2013).

Figure 3 : Le modèle de SCHEDLER

Source : SCHEDLER A. (2001), p 228.

En définitive, nous nous proposons d’utiliser les différentes pistes de recherches proposées par Andréas Schedler. L’application de cette méthode se fera dans le prolongement de l’approche « écologique ». En effet, l’explication des facteurs déterminants est consécutive des choix politiques de l’électeur.

D’une manière générale, la « logique des symptômes » constitue la principale logique qui concerne cette étude. Du reste, il existe une adéquation entre la consolidation démocratique et une absence de comportements antidémocratiques que plusieurs essayistes ont appelée « la consolidation comportementale »128. Elle comporte trois catégories distinctes, mais interdépendantes les unes des autres :

128

o. p. cit, 2001, p 229. Se référer à DIAMOND L. (1999), Developing Democracy : Toward Consolidation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, pp. 65-72 ou encore GUNTHER R. et al. (1995), The Politics of

Democratic Consolidation: Southern Europe in Comparatives Perspective, Baltimore, Johns Hopkins University

L’utilisation de la violence : la compétition politique répond à un renoncement sans vergogne à la violence de la part des candidats. Dans le cadre malien, ces violences n’existent pas ou, tout du moins, le grand public n’en est pas informé. Pourtant, une spécificité semble intéressante à souligner. Effectivement, les pratiques calomnieuses restent courantes. À cet effet, le 8 juin, le quotidien malien Info-Matin a publié un article s’intitulant « Législatives au Mali : Complot et coups bas ». Mohamed D. Diawara relève que la candidature de Tiébilé Dramé129 aux législatives de 2007 a été invalidée au motif « de faux et usage de faux documents administratifs » par la Cour constitutionnelle. Pour autant, la candidature de ce dernier avait bien été validée par cette même Cour, lors des élections présidentielles du 29 avril 2007. Si l’on en croit le discours journalistique, « en tout état de cause, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un complot ourdi et savamment orchestré pour empêcher Tiébilé Dramé d’être député à l’Assemblée nationale et pouvoir ainsi redorer son blason politique ». Le ton de l’article paraît peu transparent, mais l’on peut noter que ces pratiques sont tout de même courantes.

Le rejet des élections : Au sein d’une démocratie représentative, « se conformer aux règles du jeu écrites (et non écrites) signifie clairement qu’on accepte l’institution fondamentale du régime : des élections libres et justes »130. La voix des urnes légitime une élection et son bilan. En tout état de cause, le président de l’instance (la Cour constitutionnelle) chargée d’avaliser l’avis définitif des élections a déclaré : « J’ai eu le sentiment profond que beaucoup d’acteurs politiques, des candidats de tous ordres, de quelque bord que ce soit, se sont installés à demeure dans la fraude généralisée. La fraude, pour ce qui nous concerne, nous devons la prouver. Ce serait facile si nous étions au niveau des juridictions d’ordre public, puisque là, le juge n’est pas limité par le temps et peut faire toutes sortes d’investigations pour parvenir à la manifestation de la vérité…»131

.

129

Président du PARENA (Parti pour la Renaissance Nationale). Au regard des résultats de la présidentielle 2007, le candidat Dramé a obtenu 3,04 % (source : Ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales). Des suffrages faisant de son parti une des forces politiques les plus importantes du Mali.

130

DIAMOND L., o. p. cit, 1999, p. 65.

131

TAKIOU C. (2007), « Proclamation des résultats définitifs des législatives par la Cour constitutionnelle »,

L’Indépendant, numéro 1776, 13 août 2007, p. 4 et TRAORÉ K. (2007), « Dans les coulisses de la proclamation

Le fait qu’un membre éminent de la plus haute instance juridictionnelle du pays reconnaisse des défaillances dans le processus électoral au Mali confirme bien le caractère unique des élections dans ce pays. En cela, Salif Kanouté avoue son impuissance à résoudre les contentieux électoraux inhérents132 à la démocratie malienne. Comme cela peut être souvent admis, la société civile n’a pas rejeté les résultats, en revanche, des candidats à la députation déçus de l’issue du scrutin n’ont pas forcément accepté le verdict des urnes. C’est là tout le paradoxe du rejet des élections au Mali, le résultat final est en général contesté par une infime minorité de la population malienne. Mais n’est-ce pas aussi en quelque sorte, une manière de s’opposer à l’autorité ?

La transgression de l’autorité : Dans les jeunes démocraties électorales, une mesure intéressante peut être établie, celle de la capacité de leurs dirigeants à pratiquer l’alternance. D’un point de vue juridique, la loi dresse le cadre législatif auquel tout le monde doit se conformer. Par voie de conséquence, « les dirigeants démocratiquement élus doivent perdre l’habitude de se placer au-dessus de la loi »133

dès lors qu’il existe une possibilité de réviser la Constitution, certains dirigeants envisagent de prolonger leur mandat. On l’a vu tout récemment encore, Abdoulaye Wade au Sénégal ou Blaise Compaoré à la fin de l’année 2011 ont tenté de modifier les textes constitutionnels afin d’effectuer un mandat supplémentaire. Pour le moins que l’on puisse dire, c’est un sujet qui porte à débats. Cela est plus vrai lorsque l’on observe la presse134. En l’état actuel des choses, le Sénégal a vécu une nouvelle

alternance qui a vu l’élection de Macky Sall135

. Concomitamment au Burkina Faso, Blaise Compaoré faisait face à des mutineries en séries sur tout le territoire.

132

250 requêtes portant annulation du scrutin ont été déposées auprès de la Cour constitutionnelle après le second tour des élections législatives de 2007 (Arrêt numéro 07-179/CC-EL du 10 août 2007, Cour Constitutionnelle).

133

CAROTHERS T. (1998).

134

Au Burkina Faso : L’HEBDO DU FASO (2011), « Débat sur l’article 37 de la Constitution : le Burkina Faso appartient à tous les Burkinabè. » Fasozine, le 28 décembre ; ZOUNGRANA Z. D. (2011), « Burkina Faso : article 37 – Blaise veut œuvrer au respect de la Constitution, Allafrica, le 21 juillet, accessible à l’URL : http://fr.allafrica.com/stories/201107220511.html ou au Sénégal : N’DIAYE O. (2011), « Pourquoi le Président Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat à l’élection présidentielle sénégalaise de février 2012 », Médiapart, le 28 octobre, accessible à l’URL : http://blogs.mediapart.fr/blog/oumar-ndiaye/281011/pourquoi-le-president- abdoulaye-wade-ne-peut-pas-etre-candidat-lelecti

135

Au début de l’année 2011, les manifestations des différents corps de la société civile136

se sont multipliées au Burkina Faso, dans lesquels, chaque faction luttait contre une trop grande disparité du niveau de vie137. En réalité, il s’agissait d’un mouvement, essentiellement urbain138, qui a touché les classes moyennes, les militaires et les couches sociales paupérisées du pays, principalement les jeunes. Particulièrement, la situation se distinguait par une concurrence entre les groupes sociaux. Les commerçants, par exemple, ont été victimes des mutineries des militaires139 à Ouagadougou, ainsi qu’à Koudougou. Ceci étonne, car traditionnellement, ces groupements ont des intérêts convergents dans la construction de la paix sociale. Céline Thiriot, à propos du Mali140 dans un contexte politique semblable, précise bien que Moussa Traoré, ancien Président entre 1968 et 1991, a dû conclure une entente avec les milieux commerçants du pays « une alliance d’intérêts mutuels bien compris, de services et de faveurs échangés, consolidée par des mariages »141, pour permettre au pouvoir de sécuriser son environnement. Dans ces conditions, pourquoi les militaires s’en sont-ils pris directement aux commerçants ? Un élément peut nous éclaircir, peu ou prou d’officiers ont été arrêtés après la répression du régime de Blaise Compaoré à Bobo Dioulasso contre les mutins au mois de juin 2011. Selon le chef d’état-major, le général Honoré Nabéré Traoré, « il n’y a pas pour le moment d’officiers parmi les radiés »142.

136

Une définition de Maurice Kamto permet de clarifier le concept de « société civile » : « La sphère sociale distincte de celle de l’État et des partis politiques, formée de l’ensemble des organisations et personnalités dont l’action concourt à l’émergence ou à l’affirmation d’une identité sociale collective, à la défense des droits de la personne humaine ainsi que des droits spécifiques attachés à la citoyenneté. » in KAMTO M., (1994), « Les rapports entre État et société civile en Afrique », Afrique 2000, p. 47. Il faut préciser que ce concept peut être utilisé à des fins d’inventaire. in KASFIR N, (1998), « The conventional notion of civil society: a critique »,

Commonwealth and Comparative Politics, vol. 36, n° 2, juillet, p. 17. 137

Pour plus d’informations se référer à KÉRÉ P., « Le Burkina Faso après les récentes secousses sociopolitiques : Analyse et thérapies. », Le Faso, 6 mai 2011, adresse URL : http://www.lefaso.net/spip.php?article41911

138

Ce mouvement a débuté le 21 février 2011 à Koudougou par une manifestation estudiantine pour s’achever par une mutinerie réprimée par le pouvoir à Bobo-Dioulasso, le 4 juin 2011. Source : CHÂTELOT C, « Le président du Burkina Faso fragilisé par une vague de contestation », Le Monde, 12 mai 2011 et RFI (2011), « Burkina Faso : Bobo Dioulasso panse ses plaies», Radio France internationale, publié le 5 juin, consulté le 20 juillet 2011, URL : http://www.rfi.fr/afrique/20110605-burkina-faso-bobo-dioulasso-panse-plaies

139

RFI (2011), « Au Burkina Faso, les commerçants de Ouagadougou comptent sur les indemnisations pour se refaire. », Radio France internationale, publié le 30 avril, consulté le 20 juillet 2011, URL : http://www.rfi.fr/afrique/20110507-burkina-faso-commercants-koudougou-comptent-indemnisations-refaire

140

Le Mali et le Burkina ont pour particularité d’être dirigés par deux anciens militaires, Blaise Compaoré et Amadou Toumani Touré.

141

THIRIOT C., (1999b), p. 189.

142

APA-Ouagadougou, (2011), « Après la mutinerie de mars et juin derniers : 566 militaires burkinabés radiés. », Abidjan.net, publié le 16 juillet, consulté le 20 juillet 2011, URL : http://news.abidjan.net/h/404715.html

Pour plus d’informations sur les évènements de Bobo Dioulasso au mois de juin 2011, consulter l’article : RFI (2011), « Bobo-Dioulasso, théâtre d’un nouveau soulèvement militaire. », Radio France internationale, publié le 01 juin, consulté le 20 juillet 2011, URL : http://www.rfi.fr/afrique/20110601-bobodioulasso-theatre-nouveau- soulevement-militaire

Nous pouvons émettre une hypothèse plausible, au regard du peu de sources qui existent à ce sujet, les mutins pourraient être de jeunes soldats. Dans cette éventualité, les jeunes peuvent avoir une vision erronée de l’ordre avec un encadrement très hiérarchisé. « Les jeunes ne s’affirment donc pas comme des individus autonomes vis-à-vis de leur communauté d’origine et de l’État, mais comme des sujets en voie d’autonomisation partielle »143

. Néanmoins, le mobile de cette insubordination s’oriente vers une question pécuniaire (gestion des primes) ou d’ordre alimentaire144. Mobile de départ qui s’est vite aggravé en règlement de comptes par la

suite. Autrement, en 2012, le Mali n’a pas pu mener à bien le processus de consolidation démocratique dans lequel le pays était engagé suite au coup d’État du 22 mars 2012 que quelques soldats mutins ont déclenché.

Un an après le début de la transition démocratique au Mali, Monique Bertrand relevait : « les derniers mois de la transition ont sérieusement limé les ambitions politiques, usé les espoirs démocratiques politiques et rabaissé l’idéal républicain pour l’avenir » (1992, p. 9). En s’interrogeant sur la nature de la consolidation de la démocratie électorale au Mali, il est possible de dresser un tableau différent moins empreint de pessimisme. Avant toute chose, comme on l’a vu, la société demeure pacifique, les élections sont relativement libres et l’alternance existe. De manière analogue, la nature de la consolidation est stable, cependant, toute l’analyse porte sur les élites et non sur la majeure partie de la population. Cela sous- entend que dans l’examen de cette démocratie, on peut rajouter le volet « fragmentation » de la société et dire sans équivoque que la population est évacuée du jeu électoral. En conséquence, l’avenir évoqué partiellement ci-dessus avec la possibilité d’une modification de la Constitution ne permet aucune projection sur le temps long. Par opposition, les contradictions ouvertes (la multiplication des partis politiques par exemple) offrent un échiquier politique réellement unique et par-dessus tout, une offre politique foisonnante.

143

DE BONNEVAL É., (2011), p. 56.

144

« Comme vous le savez, c’était des questions d’alimentations, des primes de logement… », Source : Direction de la Communication de la Présidence du Faso, (2011), « Blaise Compaoré à propos des revendications des militaires… », Le Faso.net, le 02 mai, consulté le 20 juillet 2011,

Documents relatifs