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Un système inadapté pour accueillir la population étrangère

III. Accueillir sans être accueillant, vers une intégration partielle dans le quartier des

III.1. Un système inadapté pour accueillir la population étrangère

Les processus d’intégration des populations immigrées sont souvent mis en question dans la politique publique du pays. Le bilan de la politique d’intégration en France depuis

vingt ans, qui a été publié dans le rapport du Haut Conseil à l'Intégration en 2011 "La France sait-elle encore intégrer les immigrés ?", confirme que la fonction de l’intégration peut renter

dans un état de réussite mais aussi d’échec. Le rapport montre que les difficultés de l’intégration ne sont pas uniquement liées aux conditions sociales des immigrés, « le facteur

culturel peut jouer un rôle négatif dans l'intégration ». De plus, il apparait que « relever les défis de l'intégration à l'école, à la structure familiale et sa mobilisation pour la réussite scolaire des enfants apparaissent déterminants pour une bonne intégration ». Alors, dans quelle mesure les actions politiques de la ville de Poitiers réussissent-elles à intégrer la

population issue des d’origine et de culture diverses ? Pour quelles raisons dirons-nous que l’intégration des habitants étrangers dans le quartier des 3Cités est partielle ?

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Le fonctionnement du système éducatif dans la société française ne s’adapte pas

forcément aux dimensions socio-culturelles de la population étrangère des quartiers populaires. Nous n’imaginons pas qu’une personne étrangère puisse être perdue dans le rôle et le fonctionnement de tout ce qui touche à son enfant : « c’est très compliqué pour certaines familles étrangères de connaitre tous les lieux dans le quartier. Elles ne connaissent pas ce qui se fait et où se fait ? Il y a des parents qui ne connaissent pas le club de foot ou comment

il fonctionne. Certains d’entre eux pensent que le club et l’école c’est la même chose. Pour

eux, les enseignants travaillent au club, et ils font aussi l’aide aux devoirs au CSC après

l’école. Il n’y a jamais assez d’explication pour les parents d’origine étrangère. »54

Ce qui

fait qu’une grande majorité des familles étrangères sont absentes de la vie scolaire de leurs

enfants, (réunions organisées au sein des structures éducatives, au sein de l’association des

parents d’élèves, séminaires organisés autour de l’éducation, débats aux CSC sur les rôles de l’école, de la citoyenneté et de la vie associative…). Cela n’est donc pas considéré comme

une intégration partielle de cette catégorie de la population, mais plutôt un échec

d’intégration.

Lahire (1995, p. 74) a parlé dans son ouvrage Tableaux de familles, « des phénomènes de dissonances et de consonances entre des configurations familiales populaires et l’univers scolaire ». L’auteur explique que « la description fine de la configuration familiale permet bien de voir que « l’échec » scolaire d’un enfant n’est pas nécessairement associé à des « démissions parentales » mais, dans ce cas précis, à un trop grand éloignement par rapport

aux formes scolaires d’apprentissage et de culture. ». Lahire montre que la liaison entre l’univers familial et l’univers scolaire est impossible surtout si les familles sont issues d’origine étrangère, qu’elles maîtrisent peu la langue française et sont dans des situations

économiques instables et modestes. Aux 3Cités, il nous semble que cette approche est réelle,

ces facteurs bloquent l’implication des familles étrangères dans l’univers scolaire de leurs enfants comme l’illustrent les entretiens cités au paragraphe suivant. La difficulté d’intégration de ces familles est-elle liée aux méthodes et aux fonctionnements scolaires ?

54

Entretien, habitante du quartier des 3Cités, membre du conseil d’administration des CSC, du conseil de classe

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La difficile intégration des familles d’origine étrangère est-elle liée en premier lieu aux

méthodes que l’école utilise dans son fonctionnement ?

Tout d’abord, il y a la réunion de rentrée scolaire où des parents étrangers ne parlant pas la langue française ou n’étant jamais allés à l’école sont déjà mis en difficulté car le discours n’est pas adapté à toute la population ciblée : « on ne peut pas adresser la parole

qu’aux parents parfaits55

qui sont déjà minoritaires dans le quartier. Le discours des

enseignants n’est pas constructif, ils n’apportent rien au public étranger. Les instits passent

les informations aux parents mais ils ne savent jamais si les parents ont compris et intégré les

informations qu’on leur a données. Les réunions d’école ne servent à rien : les parents ne viennent pas, ce n’est pas claire ni simple ce qu’on y raconte. Ce sont les explications simples

qui nous manquent dans le quartier et pas un truc compliqué pour noyer les parents.»56.

Nous pouvons considérer que la population étrangère a besoin d’un temps supplémentaire

donné par les encadrants, enseignants ou autres. Ce temps serait une sorte d’accompagnement

et d’orientation pour expliquer clairement ce que les parents doivent faire et comment il faut le faire. Réellement ce n’est pas le cas, cette démarche est notée nulle part : « personne n’a

pris le temps d’expliquer ce qu’on attend de vous en tant que parents ? Est ce que tu as déjà

vu ça quelque part ? Moi, depuis le temps que mes enfants sont à l’école, celle-ci ne m’a

jamais dit ce qu’elle attend de moi. Par contre, l’école m’a convoqué pour dire que mon

enfant se tenait mal en classe, chahutait, bavardait. On ne nous convoque pas pour nous présenter ce que nous devrions faire en tant que parents, surtout dans les réunions de rentrée

scolaire. ? […] On entend les enseignants dire que chaque soir il faut que l’enfant fasse ses

devoirs. Cette parole est adressée à tous les parents, de tous publics, quelle que soit leur origine, étrangère ou autre. Il se trouve dans la classe des parents qui parlent peu le français

et qui n’ont jamais fait d’études. Dans un cas pareil, je vois toute suite les parents rentrer dans une situation d’échec dès le premier jour de l’année »57

.

55

« Aux yeux de l’institution, les parents parfaits sont les parents qui ont du boulot, qui rentrent suffisamment tôt pour s’occuper de leurs enfants, qui ont plus d’instruction, donc qui peuvent faire travailler leurs enfants, qui ont de l’argent donc qui peuvent leur offrir des sorties culturelles etc. » (Entretien, habitante dans le quartier des 3Cités, membre du conseil d’administration du CSC, du conseil de classe au collège du quartier (Ronsard), et du

conseil de l’école primaire). 56

ibid.

57

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Néanmoins, le travail d’accompagnement doit se faire hors temps scolaire. Alors, par

qui doit-il être encadré ? L’école, les parents d’origine locale, les bénévoles, les éducateurs des CSC ? L’orientation vers une action pareille n’est pas toujours évidente. Elle peut dépendre des projets socio-éducatifs visant le public des quartiers populaires. Au cours de

l’année 2009, les Centre Socio-Culturels des 3Cités et la ville de Poitiers ont été retenus comme site expérimental dans le cadre de l’appel à projet58

"en associant leurs parents, tous

les enfants peuvent réussir". Aux 3Cités, ce projet porte principalement sur l’implication des

parents dans la vie scolaire des enfants entre six et douze ans : encadrement du goûter, aide aux devoirs, ateliers et animations, sorties et accompagnement du trajet école-CSC. Environ quinze parents qui ont été intégrés dans le projet, chacun selon sa compétence. Des mamans de nationalité guinéennes ainsi que des marocaines animent l’atelier cuisine des CSC, d’autres

mamans françaises encadrent l’aide aux devoirs. En 2011, et pour favoriser la réussite du

projet, la ville de Poitiers et le CSC ont organisé un séminaire autour de la scolarité des enfants avec des conférences animées par des sociologues ou des philosophes spécialisés.

Malheureusement, aucun des parents d’origine étrangère et locale du quartier n’a assisté à la conférence organisée en collaboration avec l’université de Poitiers ; il n’y avait seulement qu’une partie des parents semi-professionnels, qui ont déjà une activité liée aux CSC ou à l’école primaire (bénévole, membre de l’association des parents d’élèves). Il nous semble que ce type d’intervention n’est pas adapté à la majorité des familles du quartier. Le langage est

très professionnel et les parents ne comprennent pas le discours. Selon le directeur des CSC,

le problème est une difficulté d’organisation : « la présence des habitants des tours est très

particulière dans ce genre du séminaire. C’est une opération très compliquée que d’associer

à la fois des partenaires et du grand public du quartier. En terme de temporalité ce n’est pas évident d’avoir tout le monde dans un seul temps. Des dizaines d’habitants ont participé à la

fin de la journée, ce qui est bien» (Entretien, directeur des CSC du quartier des 3Cités). Si le

but est d’impliquer les parents dans la réussite de leurs enfants, dans ce cas les parents étrangers doivent faire l’objet de plus d’attention afin de les toucher réellement. Certains parents d’origine étrangère sont avides de connaître ce qu’il convient de faire pour s’intégrer, avides d’en savoir plus sur le système éducatif de la société dans laquelle ils vivent. Ils sont

très intéressés par tout ce qui concerne la vie de leurs enfants59. C’est-à-dire, que la population

58

Cet appel à projet a été lancé par le chantier national de l’Inter-réseaux des professionnels du Développement

Social Urbain (IRDSU) et ATD Quart Monde. 59

Un temps de discussion avec Indo, résidante dans le quartier des 3Cités avec son mari. Maman de trois enfants, d’origine indienne.

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étrangère est plutôt favorable à une intégration totale, qui n’est pas concevable sans avoir de

préparation étudiée et bien définie.

A titre d’exemple, le collège Pierre Ronsard du quartier des 3Cités a accueilli des ateliers appelés "ateliers linguistiques", qui ont été mis en place pour des parents d’origine étrangère volontaires, estimés en difficulté d’intégration. Le but est de leur apprendre la

manière de réaliser certaines démarches administratives de la vie de tous les jours (comment rédiger une lettre recommandée à la poste ? comment remplir des dossiers d’EDF ou de la CAF ? etc…). Finalement, ce genre d’atelier n’a pas fonctionné. Pourtant, de nombreux parents auraient eu besoin d’aide. Le choix du lieu de l’atelier a vraisemblablement freiné certains parents qui ont leurs enfants scolarisés au collège. En effet, les enfants ont eu honte de leurs parents non francophones, en particulier dans les familles où le père est absent, la mère se retrouvant alors confrontée à des difficultés linguistiques qui entravent sa compréhension de la situation avec comme conséquence une mise à distance de la sphère

scolaire, une non participation aux ateliers qui l’auraient aidée à mieux comprendre les

attendus intégrateurs visés par le collège Ronsard. Les enfants eux-mêmes semblent avoir été

les acteurs de cette situation, refusant de partager leur espace scolaire à des fins d’une

meilleure intégration de leur(s) parent(s).

En conclusion, nous pouvons dire que le problème de l’intégration dépend plus des méthodes

et des outils d’accompagnement, du type de fonctionnement et d’organisation, que du fait d’être issu d’une origine étrangère ou non.