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Entre Dire et Faire : transformations de l’habitat des ZUS et mixité sociale réussie ?

sociale réussie ?

Ce n’est qu’au début des années quatre-vingt-dix que la problématique de mixité sociale est apparue, essentiellement dans les textes législatifs tels que la Loi d’Orientation de

la Ville (LOV) du 13 juillet 1991 et la Loi Relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain. La mixité est alors considérée comme un outil politique d’anti-discrimination,

favorisant l’égalité et diminuant les maux des quartiers dits « défavorisés ». Ainsi, le terme

« mixité » est entré progressivement dans la politique urbaine, la mixité résidentielle étant considérée comme la clé de la cohésion sociale et territoriale. Pour mémoire, le terme mixité vient du latin miscrere, c’est-à-dire, mélanger, or il ne suffit pas de faire cohabiter des

populations pour réussir l’intégration de ces mêmes populations dans le quartier.

Marchal & Stébé (2008, p. 88) proposent en effet une vision de la mixité qui n’est plus seulement traitée comme le mélange de genre : hommes et femmes, mais est aussi abordée comme « un brassage de composantes physiques (mixité urbaine) et de groupes sociaux différents (mixité sociale) dans la ville ». La mixité sociale est même envisagée «comme

l’antidote à la ségrégation et à la « ghettoïsation » des quartiers selon Blanc & Bidou-

Zachariasen (2010, p. 11). Cette ségrégation risque de revêtir des effets pervers selon Charmes (2009, p. 1-2), car elle « menace les vertus politiques de la vie urbaine, les villes

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social ». En terme général, l’auteur observe que l’idée de la mixité est soutenue par les acteurs

politiques notamment dans les quartiers d’habitation populaire, car « la mixité permettrait en effet l’intégration citoyenne et tiendrait à l’écart les tensions communautarisme » (2009, p. 1-

2).

De plus, de nombreux sociologues de la ville considèrent en effet aujourd’hui que la mixité résidentielle est intimement liée à une commande politique de mixité sociale du fait de

la dégradation des quartiers d’habitat social, la rénovation et la diversification de ceux-ci

semblant constituer une amélioration du lien social favorisant le mieux vivre ensemble ? Pour Kirszbaum (2008), la mixité sociale reste un argument favorisant la modification du peuplement des « cités » en agissant sur leur composition résidentielle.

Ainsi d’une manière générale, pour réussir la mixité sociale, il a fallu entreprendre une transformation urbaine des quartiers d’habitat social pour qu’ils deviennent des lieux

prêts à accueillir des catégories sociales mixtes. Nous faisons référence à Baudin & Genestier (2006) qui expliquent que la préoccupation des pouvoirs politiques, tant nationaux que

locaux, est d’éviter la concentration des pauvres dans certains lieux car cela ne pourrait être

que socialement préjudiciable et moralement inacceptable. Les auteurs indiquent que « c’est au nom de « la mixité sociale » et de « la dignité rendue aux quartiers » et donc de la

revalorisation de leur image, que l’on dynamite des immeubles ou que l’on épure des quartiers

pour y attirer des ménages plus solvables » (2006, p. 210).

En parallèle, un travail sur la redistribution de la population précarisée pour éviter les poches de pauvreté a été nécessaire (Marchal & Stébé, 2008, p. 91). Ainsi, le fait de démolir

certains immeubles dégradés a servi, d’une part, à transformer l’image des quartiers populaires, mais aussi à reloger la population qui s’est trouvée sans logement dans d’autres lieux habités par diverses classes sociales. Cependant, les familles issues déjà d’une situation précaire n’avaient pas forcément les moyens leur permettant de respecter les conditions de

locations telles que : contrat de travail d’une durée indéterminée à plein-temps, personne pour

se porter caution etc... De ce fait, une grande partie de ces familles s’est retrouvée dans

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ressemblait socialement et économiquement, autrement dit, dans des quartiers de la même nature. Selon Lelévrier (2010), le fait d’associer les enjeux de la mixité à l’idée de parcours résidentiel, met en évidence des effets paradoxaux des opérations de démolition et de

relogement, à l’envers des effets de rénovation urbaine. Nous assistons alors, indique

Lelévrier, à une opération de re-concentration des familles les plus pauvres, plutôt qu’à une opération de dispersion dans les zones sensibles, et à une opération du départ des familles plus « aisées » vers des secteurs plus valorisés, dans et hors des zones sensibles.

La mixité sociale pour cette partie de la population est un échec total car elle quitte un lieu précaire pour un autre similaire. Dans ce sens, Kirszbaum (2010, p. 5) explique que le défaut de la politique de rénovation urbaine en France, comparée à celle réalisée à

l’internationale telle qu’aux USA, aux Pays-Bas et en Grande Bretagne, est de « ne pas savoir

ce que produisent la rénovation urbaine et les situations de mixité ou non mixité sociale, en particulier sur la condition des groupes les plus défavorisés ». À propos des habitants qui sont obligés de quitter leurs quartiers d’origine pour vivre dans d’autres, l’auteur explique que ces habitants « risquent de ne pas être accueillis à bras ouverts, de se trouver isolés de leurs réseaux familiaux et amicaux, de se couper enfin des services collectifs dont ils ont besoin ». Kirszbaum ajoute que dans ce cas, des difficultés supplémentaires surgissent suite à « l’insuffisante articulation entre la production de logements abordables dans les territoires

qui en ont peu et les filières d’accès à ces logements où les minorités pauvres se retrouvent

très peu. Organiser leur transfert exige non seulement de maîtriser les attributions, mais

nécessite aussi un travail fin d’accompagnement ».

D’autre part, Halbwachs (1968, p.137) montre que l’être humain crée un lien avec le lieu où il habite. L’auteur explique qu’ « […] il n’est pas aussi facile de modifier les rapports qui se sont établis entre les pierres et les hommes. Lorsqu’un groupe humain vit longtemps en

un emplacement adapté à ses habitudes, non seulement ses mouvements, mais ses pensées aussi se règlent sur la succession des images matérielles qui lui représentent les objets extérieurs ».

Cette réalité est bien présente lorsque les acteurs de la ville de Poitiers décident de

faire évoluer l’image urbaine du quartier des 3Cités, en démolissant ses tours. Les transformations d’un lieu peuvent troubler certains individus ; tels habitants laissent sur les vieux murs d’anciens appartements des souvenirs rattachés à des images, maintenant à jamais

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effacées. Dans ce sens, Lacaze (1996, p. 17) écrit que « l’obligation de changer de résidence

est en effet source d’anxiété en multipliant les petits problèmes d’organisation de la vie quotidienne qu’il faut régler simultanément ». L’auteur se réfère aux routines de la vie privée et publique des habitants envisagées par l’anthropologue Pierre Sansot (1996) dans le processus de leur appropriation de l’espace. Il explique que les individus s’approprient, petit à petit, les espaces de l’extérieur du logement et ceux de l’intérieurs, par la répétition inlassable

des petites gestes du quotidien, « le matin, humer l’air sur le pas de sa porte, aller prendre son

autobus ou sa voiture, s’arrêter pour boire un café ou acheter son journal ; le soir, poser son

parapluie, sortir son chien….Tous ces gestes ne sont insignifiants qu’en apparence ; en réalité, par leur répétition, ils construisent le territoire du quotidien » (1996, p. 16-17). Ainsi, les

habitants des immeubles, même s’ils sont pour la plupart locataires, s’approprient leur lieu d’habitation.

Il n’est jamais facile de se retrouver dans un nouvel environnement qui ne nous ressemble pas, ni dans nos habitudes, ni dans nos traditions et dans lequel nous n’avons aucun

repère, ce qui fait que nous devons créer de nouveaux liens. Les résultats de l’enquête, menée par Faure (2006, p. 192), dans un quartier de grands ensembles de la ville de Saint-Étienne, montrent que « les démolitions et la question du relogement qui en découle constituent des contraintes objectives pesant fortement sur les parcours de vie et d’avenir des habitants issus

des milieux populaires, et encore plus sur les catégories pour lesquelles l’espace résidentiel

est une ressource, matérielle et relationnelle, essentielle ». Suite aux entretiens réalisés avec

les habitants du quartier, l’auteur explique, que les habitants regrettent la disparition de solidarité, de convivialité et du mode de vie entre voisins de l’immeuble démoli. Douma, une

jeune enquêtée, montre que dans le nouveau quartier où elle habite avec sa famille, « les gens sont seuls, se disent à peine bonjour et sont parfois « intolérants » vis-à-vis les jeunes » (2006, p. 197)