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I.9. Jeunes de quartiers sensibles : refugiés dans leurs cités, exclus de la société ?

I.9.2. Jeunes, jeunesse et banlieues

Souvent, l’image et les discours des médias traitent les jeunes des banlieues comme menaces de paix sociale dans la société, comme coupables et sources de déstabilisation de la vie sociale. Les définitions de la jeunesse délinquante, droguée, exclue du marché de travail, occupant une place marginale dans la société, sont entendues dans les discours courants vis-à- vis les jeunes. De ce fait, des interventions publiques et des programmes sociaux en direction

des jeunes sont destinés à lutter contre l’exclusion sociale et professionnelle des jeunes. La

question de la jeunesse est omniprésente dans la société. Loncle-Moriceau (2001, p. 81) écrit que « les jeunes représentent l’une des catégories les plus durement touchées par la crise économique et sociale des deux dernières décennies à l’échelle européenneet que, à ce titre,

ils apparaissent comme les destinataires naturels de l’attention des politiques sociales

européennes ». L’auteur ajoute que cette catégorie peut « le plus aisément favoriser l’idée

d’intégration, de citoyenneté européenne », (2001, p. 81).

Alain Vulbeau (2002, 2003), Bordes (2007) ont réalisé de nombreuses études sociologiques en Ile de France sur la place des jeunes dans les cités, montrant que les jeunes peuvent être acteurs de leur vie et les conflits des maux nécessaires. La jeunesse, explique Vulbeau, tient « un rôle actif dans les résolutions de ses propres problèmes » (2001, p. 10). Elle constitue « un modèle de ressource…dans la construction d’une place qui n’est plus

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donnée à l’avance ». L’auteur indique que ce modèle de ressource a fait flores à un autre

modèle de « la jeunesse-menace » qui « repose sur l’idée que cet âge, déjà biologiquement

troublé par les tourments de l’adolescence, ne peut être que socialement troublé par les affres

de la crise socio-économique ». Selon Vulbeau (2001), les cités sont apparues, telle qu’un lieu idéal pour créer et conserver le modèle de « la jeunesse-menace ». Les cités se résument à des bâtiments construits sur un espace, regroupant des gens, rejetés et abandonnés par la société, présentant un symbole de crainte et de peur, portant des noms gravés dans la mémoire tels que les cités des Courtillières situées dans la ville de Pantin, ou encore le Franc-Moisin à Saint- Denis, dans la région parisienne. La contradiction est apparue lorsque ces cités, souvent

abandonnées par l’Etat, n’ont pas été abandonnées par les jeunes qui occupent aujourd’hui

encore ces cités devenues de véritables territoires.

Chantelat et al., (1998, p. 41) ont aussi montré que dans le milieu sportif, les jeunes issus des banlieues lyonnaises et qui pratiquent le sport en libre accès, sont considérés comme des « acteurs sociaux » qui participent selon l’auteur « à la construction des modes de sociabilité qui les concernent, qu’ils ne font pas qu’adopter passivement des modèles produits ailleurs (intériorisation de normes)… ».

Dans ce sens, Peyrat (2001, p. 100) a travaillé sur le fonctionnement social de la cité, il a montré que « la cité s’est fabriqué un modèle social destiné à la protéger et à protéger ses

membres. S’il y a modèle social, il y a règles sociales ». L’auteur a expliqué que « les jeunes occupent et représentent l’espace moral de la cité » (2001, p. 99). Cette dernière permet à un

jeune de vivre une liberté, une justice et une égalité, qui constituent les valeurs d’une nation ressemblant à celle de la France. La cité, indique Peyrat, est la carapace qui protège ses jeunes et qui eux-mêmes à leur tour doivent la protéger, en mettant des règles propres au lieu de

règles qui n’existent pas nécessairement en dehors de leur territoire. Les jeunes considèrent que leur cité doit garder une image forte selon l’auteur et pour cela ils se sentent responsables

de son existence en maintenant une cohésion entre les membres d’un ou plusieurs groupes.

Néanmoins, Kokoreff, (2007, p. 90) explique que les jugements portés par les jeunes sur leur quartier sont ambivalents. Celui-ci est décrit, selon l’auteur, comme « ignoble et fraternel, stigmatisant et protecteur, enfermé et ouvert ». Le quartier présente également une

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« double face » selon Avenel (2006, p. 124), il « constitue un point d’ancrage essentiel de

l’identité de ces jeunes : objet de protection et d’une sociabilité intensive mais aussi c’est un

lieu d’enfermement ». Les jeunes des quartiers « défavorisés » construiraient ainsi leur

identité culturelle, mais aussi, vivraient une situation d’exclusion sociale et de stigmatisation

liées à leur lieu de résidence. Les jeunes créent dans leur quartier leur propre culture, ils portent souvent des vêtements dernier cri, de la casquette aux chaussures, la dimension emblématique de la marque étant systématiquement recherchée (Adidas, Nike, mais aussi

Diesel, etc…). L’importance de la « face », telle que Avenel (2006, p. 130) le souligne, « ne se mesure jamais aussi bien que dans l’obsession de la « marque » vestimentaire ». L’auteur

explique que les jeunes vivent consciemment la ségrégation spatiale de leur quartier. Suite

aux traits négatifs imposés de l’extérieur, les jeunes se regroupent à l’intérieur du quartier

créant « un mode positif de sociabilité à travers des comportements et un langage qu’ils vivent comme leur bien » (2006, p. 130). A titre d’exemple, les jeunes ont des expressions qui ressemblent à des signes connus dans toutes les cités telles que : Wéche, un mot prononcé à la

fin d’une phrase pour donner un sens de confirmation ou Ah le bâtard, une expression

entendue sur les terrains de sport en libre accès, qui se dit lorsque un jeune fait un geste sportif extraordinaire, magnifique et exceptionnel, les expressions des jeunes font partie de leur personnalité, de leur identité, de la culture de leurs cités.

Les jeunes habitants dans les quartiers sensibles ont une perception souvent déqualifiée dûe à leurs apparences culturelles, familiales, sociales, géographiques, etc. Les entretiens dans les banlieues parisiennes menés par Vulbeau (1995, p. 76), Bordes & Vulbeau (2004, p. 29), ont traduit la situation des jeunes considérés selon les auteurs en tant qu’ « une population à part ». Nous faisons référence au témoignage d’un jeune de ces banlieues, cité par les auteurs, et qui renvoie à ce que nous avons observé en réalisant les entretiens avec les jeunes du quartier des 3Cités dans la ville de Poitiers : « Le fait notamment d’habiter dans les

4000, ça mettait une grosse barrière car, dans les tête des gens, c’est un lieu où on a plus de prédisposition à devenir délinquant qu’ingénieur. Moi, par exemple, quand je suis arrivé à la fac, j’ai des collègues issus de différents quartiers qui ont eu plus tendance à me considérer

plus comme un délinquant que comme étudiant. Je me suis même entendu dire par des gens qui ne me connaissaient pas et qui se fiaient à mon apparence : « on croyait que tu étais

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comme ça, comme ça, comme ça. » en deux mots, que j’étais un délinquant, que j’allais les

racketter ou que j’allais les tabasser » (2004, p. 30).

La déqualification des jeunes issus des quartiers sensibles devient une habitude sociale incessante. Pour Kokoreff (2007), la situation des jeunes dans ces quartiers est apparue ambivalente. L’auteur démontre que les jeunes des quartiers sont « à la fois et indissociablement victimes de violences diverses (physiques, sexuelles, symboliques, institutionnelles) et coupables de délits (vols, agressions, usages et trafics de drogues) ou

d’inconduites. De même, ils sont trop exclus (du travail, de la ville, de la circulation…) et trop inclus (en matière de consommation, de médias…) » (2007, p. 90).

Pourtant, les jeunes constituent selon Dubet (2004) une modalité d’intégration, en

participant aux activités institutionnelles des différents dispositifs mis en place par l’Etat ou

les institutions sociales et sportives en direction de la jeunesse. Les jeunes se servent du milieu collectif, autrement dit institutionnel, pour « s’insérer socialement et devenir acteur » en développant « des compétences sociales », ce qui leur permet de trouver leur place dans le monde des adultes (Bordes & Vulbeau, 2004, p. 24). Les auteurs ajoutent qu’en règle

générale, les jeunes sont au cœur de la société, vivent en connaissant et en respectant ses

règles, construisant une catégorie ouverte aux autres et non isolée « comme une communauté qui serait faite uniquement par les jeunes » (2004, p. 24).

La jeunesse serait ainsi, selon Galland (2004, p. 145), « une génération » avec des caractéristiques distinctes de celles qui la précèdent ou qui vont la suivre. La jeunesse construit une période non définie, « elle reste un défi périlleux » (Bordes & Vulbeau, 2004, p. 21).

La jeunesse traditionnelle se rencontre encore observe Dubar (1987), mais aujourd’hui “une autre jeunesse” existe. La jeunesse traditionnelle, souligne Dubar, renvoie à la période

du cycle de vie comprise entre la fin des études secondaires-supérieures et l’installation dans

la vie adulte, elle est caractérisée par la double entrée : monde du travail et création d’une famille. Il se trouve qu’aujourd’hui, un jeune, dans la trentaine, accumule des caractéristiques

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vacation, à mi-temps, déterminé ou non, indépendant de la famille et sans forcement construire sa propre vie familiale.

L’intérêt de l’approche de Dubar est renforcé par la notion de « fracture sociale »

développée par Touraine (1994), la jeunesse serait en effet confrontée à un espace difficilement franchissable, espace qui sépare les exclus des insérés. Ici réside la notion de « fracture sociale » envisagée par Touraine (1994) et reprise aujourd’hui par ceux qui

considèrent que nous vivons une société duale, marquée par le passage d’une société structurée par l’opposition dominants/dominés à une société structurée par l’opposition

exclus/insérés. Dans la première, la lutte des classes, véritable combat collectif divisait mais

unifiait le monde salarial le long d’une même épine dorsale (Patrons et ouvriers se faisaient la guerre mais avec les mêmes repères). Dans la seconde, la guerre des “places” amène chacun à

se lancer dans un combat individuel contre le spectre de l’exclusion. Galland & Roudet (2005) confortent cette perspective, ils estiment que le chômage, les emplois précaires, les stages et

les diverses formations qualifiantes, constituent la première phase d’entrée dans la vie professionnelle notamment pour les jeunes qui ne poursuivent pas d’études supérieures. La période entre la fin de la scolarité et l’entrée dans la vie active, considérée souvent comme une phase définitive, stable et durable, n’est plus aujourd’hui qu’une période prolongée et non

déterminée pour cette catégorie des jeunes.

Mais, aujourd’hui, être titulaire d’un diplôme ne garantit pas l’accès à un emploi, la jeunesse qui apparait dans le sens de Dubet (2004, p. 281) « comme une expérience moderne

par excellence quand rien n’est donné et que tout est acquis par les acteurs eux-mêmes ».

Nous pouvons imaginer que le cas des jeunes non diplômés, issus des quartiers

défavorisés, il s’agit là en partie de notre terrain de recherche, est encore plus complexe car, ils ont moins de possibilité et moins de chance à s’insérer dans le marché du travail. Le chômage des jeunes diplômés des quartiers populaires est plus dramatique qu’ailleurs, car il est extrêmement visible et tend à conforter chez les générations suivantes l’idée que « l’école et les diplômes ne servent à rien, et qu’à tout faire, il vaut mieux se débrouiller autrement pour

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Dans notre partie empirique, nous présenterons la situation des jeunes résidant dans le quartier des 3Cités à Poitiers, en nous appuyant sur des chiffres statistiques, sur des entretiens semi-directifs et sur notre observation tout au long de notre recherche monographique dans ce quartier.

II. Partie théorique 2 : des problématiques autour des activités physiques et