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2 2 la culture d’origine et l’accompagnement autour de la vie scolaire

Si les parents n’ont jamais été scolarisés, comment peuvent-ils assurer leur rôle d’accompagnement auprès de leurs enfants dans tout ce qui touche à la vie scolaire (devoirs, rangement du sac d’école, déroulement de la journée) ? Ce travail est pourtant nécessaire pour la réussite des enfants car il complète celui de l’école. Les parents ne sont pas toujours conscients de l’importance de leurs rôles dans la réussite scolaire de leurs enfants. Cela ne fait pas partie de leurs habitudes et leurs cultures d’origines : « pour les parents étrangers l’école

est tellement puissante, elle est au-dessus de tout. Ils ont une telle confiance en l’école, ils

n’imaginent même pas que leurs enfants puissent être en situation d’échec scolaire. Ils considèrent que c’est une chance pour eux d’aller à l’école. Mais le problème est qu’ils pensent que l’école s’occupe de tout, que l’enfant réussit et qu’il pourra faire tout ce qu’il

veut dans la vie. Ils font confiance au système éducatif qui ne peut pourtant rien faire sans eux.»65. Malgré toutes les difficultés liées à la scolarité des enfants d’origine étrangère, nous ne pouvons pas dire que leurs parents sont démissionnaires. Ils souhaitent tous que leurs

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ibid.

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Entretien, président du club de football du quartier des 3Cités.

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Entretien, habitante du quartier des 3Cités, membre du conseil d’administration des CSC, du conseil de classe au collège du quartier (Ronsard), et du conseil de l’école primaire (Tony Lainé).

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enfants aient une vie meilleure que la leur. Ils considérèrent toujours que c’est une chance

d’aller à l’école, et que la réussite est une évidence.

Ces propos confortent les écrits de Lahire (1995), au sujet du rôle essentiel de

l’attention des familles issues d’un milieu populaire, particulièrement des familles d’origine étrangère, entièrement dirigée vers l’éducation des enfants. Ces familles souhaitent que leurs enfants vivent et connaissent ce qu’ils avaient eux-mêmes espéré vivre, ou qu’ils sortent des

conditions sociales et économiques difficiles. Certaines familles se sentent handicapées vis-à-

vis l’éducation de leurs enfants surtout quand elles ne parlent pas la langue du pays d’accueil et n’ont pas pratiqué les mêmes méthodes d’apprentissage pédagogique scolaire. De plus, le

rapport du Haut Conseil à l'intégration de 2010 " Les défis de l'intégration à l'école " constate que le système éducatif est peu compréhensible pour des parents qui ne maîtrisent ni la langue

ni les codes de l'école. Entre les familles et l’institution scolaire « l’incompréhension est

totale, renforcée par des codes et des procédures complexes qui rendent le système éducatif français opaque ». (2010, p. 53). Pour une grand majorité, les parents issus de l’immigration ne sont pas démissionnaires mais, ils sont « en réelle difficulté par rapport à un système qui ne satisfait pas leurs attentes, voire les a déçus, et dont les objectifs et les rouages ne sont pas lisibles. La fracture est particulièrement forte pour les familles nouvellement arrivées sur le territoire ou pour celles paupérisées ou en voie de précarisation ». (2010, p. 54)

III.3. La barrière de la langue

Nous avons précédemment relaté l’incompréhension entre parents et enfants, des

enfants habités par un sentiment de honte quand le parent éprouve des difficultés linguistiques. Nous avons également signalé que les enfants sont conduits à traduire parfois le message des enseignants à leurs parents qui ne maîtrisent pas la langue française. De plus, il existe toujours une parcelle de doute quant à la véracité de la traduction du contenu du

message de l’enseignant à destination des parents. Pareille situation se rencontre ainsi dans le club, où l’enfant peut nuancer, amender, tronquer, travestir le message de l’éducateur sportif. C’est ce que pensent notamment les dirigeants du club de football. Ce n’est donc pas un moyen idéal mais plutôt un motif d’insatisfaction qui n’aide ni les entraîneurs, ni les

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dirigeants, à entretenir des liens de confiance avec les parents, surtout ceux qui ne passent

jamais au club. En d’autres occasions, le comité de direction du club insère dans son

calendrier annuel une lettre aux parents des joueurs (Annexe 6). Celle-ci voudrait associer les parents à la vie sociale et sportive du club et faire passer un message éducatif à travers le sport. Malheureusement, ce message n’arrive pas toujours aux parents, soit parce qu’ils ne

maîtrisent pas suffisamment la langue française, soit parce qu’ils ne savent pas lire. De même, en dehors de la structure sportive, nous avons pu observer qu’après avoir discuté avec

certaines mères de familles d’origine étrangère, celles-ci ne parlant pas parfaitement la langue française, arrivent quand même à engager et tenir une conversation. Pourtant, nous ne pouvons pas être sûrs que ces mères de familles aient bien compris le message que nous voulions leur transmettre : « généralement, avec certaines femmes africaines qui sont arrivées

récemment en France, nous avons l’impression qu’elles ont intégré les informations que nous leur passons, alors que souvent elles n’ont pas compris »66

.

Par conséquent, la langue française constitue une barrière entre la population étrangère

qui ne la maîtrise pas et les acteurs du quartier (entraineur, éducateur, enseignant, etc…). Elle

est considérée comme un handicap linguistique qui empêche l’intégration des familles

étrangères dans les structures locales. Cette situation explique en partie l’absence des familles dans le club et aussi à l’école. Un rapprochement avec des structures socio-éducatives comme les CSC n’autoriserait-il pas l’entrée dans une synergie de moyens nouveaux pour intégrer, plus que partiellement, les familles d’origine étrangère ?

III.4. Les précarités socio-économiques

Les conditions difficiles des habitants sur le plan socio-économique ne favorisent pas

l’accompagnement parental des enfants, ce qui explique en partie le désengagement des

familles issues du quartier au sein du club de football. Le comité de direction de ce dernier

déclare que l’absence des parents est sûrement liée au milieu social défavorisé67

: « c’est un problème matériel : les parents des enfants issus d’un quartier populaire n’ont pas de moyens

66

Un temps de discutions avec Solange BAIKOUA, une médiatrice sociale et culturelle dans l’association

SANZA : association a le but d’intégrer la population africaine en France. 67

Entretien, le vice président, responsable de la sélection masculine du club de foot des 3Cités (20 ans d’ancienneté).

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financiers pour pouvoir prendre en charge l’accompagnement de leurs enfants. Ils n’ont pas

de voiture et pas de permis de conduire. Nous ne trouvons pas ce problème chez les sportives qui appartiennent elles à une classe sociale plus aisée »68. La particularité des habitants des

quartiers populaires s’explique de la façon suivante : « si la mère ne travaille pas, qu’elle

élève toute seule ses enfants suite à une absence permanente du père, qu’elle est au chômage,

qu’elle ne parle pas la langue française, et bien, c’est tout à fait normal qu’elle ne se présente

pas le samedi et le dimanche au club. Dans des conditions précaires et quelque soit la couleur des parents, ils ont autre chose à faire que de venir au club »69. De ce fait, la précarité sociale

et la difficulté financière freinent l’intégration des parents dans la vie du club. C’est un problème constant dans l’histoire du club. Jusqu’à présent, la présence des parents est un

souhait difficilement réalisable, leur place actuelle ne constitue pas un levier pour le club. Depuis la naissance du sport institutionnel dans la ville de Poitiers, les conditions défavorisées ont marqué les équipes sportives des quartiers populaires : « nous nous sommes aperçus que les quartiers sont habités par des gens en difficulté et en précarité. Ils ne peuvent donc pas payer la licence de leurs enfants, ou avoir une voiture pour les ramener. Cela a été la grosse difficulté de la ville de Poitiers. C’est là où nous avons commencé à travailler avec les maisons de quartier pour apporter des solutions, entre autre acheter un minibus pour

ramener les joueurs lors des matchs à l’extérieur »70

.

L’époque des années quatre-vingts a marqué le début d’un travail coopératif entre les

centres socio-culturels et le club sportif du quartier. Les deux structures se sont alors engagées dans un projet de partenariat avec la mairie de Poitiers qui propose des aides financières et matérielles. Suite à ce partenariat, le club bénéficie des minibus qui lui permettent de

transporter les joueurs lors des matchs à l’extérieur du quartier. C’est une demi-solution pour

le club de football car rien ne peut remplacer la place des parents : « nous ne pouvons nous en

sortir qu’avec les parents, ils sont le levier du club, ils nous permettent de mieux encadrer et organiser les matchs. Les tâches sont partagées entre les parents et les dirigeants d’un côté, les encadrants et les entraîneurs de l’autre. »71

. La politique du club dans le quartier des 3Cités est de pouvoir impliquer les habitants du quartier (enfants, jeunes, parents, bénévoles

et autres). En raison de cette politique, le club de football affiche le prix d’adhésion le moins

68

Entretien, des membres du comté de directeur : ancien vice président du club de foot des 3Cités (37 ans

d’ancienneté au sein du club).

69

Entretien, président du club de football du quartier des 3Cités (20 ans d’ancienneté).

70

Entretien, adjoint maire chargé aux sports, (1996-2009).

71

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cher de la ville de Poitiers. Le principe est de faciliter l’engagement des jeunes du quartier

sans faire de sélection par rapport à l’argent72

. Cependant, nos entretiens donnent des explications contradictoires à cette politique. Cette dernière est ressentie comme non- intégrante par les habitants du quartier des 3Cités, et notamment par le public féminin.

Depuis le début, nous voulons centrer notre travail sur l’action des deux structures principales

du quartier : d’un côté, le pôle associatif sportif représenté par le club sportif unique dans le

quartier (club de football), de l’autre, le pôle associatif social représenté par les centres socio

culturels du quartier des 3Cités.

L’objectif de notre travail est d’analyser comment la politique sportive ou sociale, telle qu’elle est appliquée, favorise ou non, une forme d’intégration et de désenclavement des

habitants du quartier populaire des 3Cités.