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La population résidant dans le quartier des 3Cités peut être classée en trois catégories :

la population d’origine locale, la population française d’origine étrangère et la population

étrangère.

Pour ce qui est de la population d’origine locale, elle se compose de deux types d'individus

ayant vécu des trajectoires sociales opposées. Le premier type concerne des personnes arrivées dans le quartier suite à une promotion sociale, elles constituent la classe la plus aisée des 3Cités. Elles habitent le quartier depuis sa création et elles sont principalement composées de personnes âgées. Pour elles, le fait de venir habiter dans le quartier était le signe d'une réussite sociale. Ce sont des propriétaires, la majorité réside dans la partie pavillonnaire du quartier. Ces retraités ont travaillé une grande partie de leur vie.

Le deuxième type de population locale est constitué de personnes plus jeunes. Pour la

plupart d’entre elles c’est une trajectoire socio-économique descendante qu’elles ont subi. Ce sont des gens au chômage ou qui n’ont jamais travaillé. Ils ne se trouvent pas dans le quartier par choix, ils y demeurent car ils ne disposent d’alternative de mobilité géographique.

I.1. Le concept de logement social change selon le temps et la catégorie de la population

Habiter dans les quartiers populaires n’a pas toujours été perçu de la même façon, tout dépend de l’époque où ces quartiers ont été créés. L’existence des quartiers périphériques est due à l’expansion de la ville de Poitiers. Au début, les immeubles d’Habitation à Loyer Modéré (HLM) sont les premières tours construites et habitées par diverses classes sociales. Ils étaient une solution rapide pour une population vivant dans des conditions précaires. Ce fut le cas des gens rapatriés de l’Algérie qui n’avaient pas beaucoup de choix pour se loger

comme le rapporte l’Adjoint au Maire chargé des sports, (1996-2009). Les HLM ont

également apporté une réponse aux familles bourgeoises qui habitaient le centre ville. Elles cherchaient le bien-être et le confort en les logeant dans de grands appartements à la place des

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petits situés au centre ville, souvent dépourvus de confort en particulier sur le plan de

l’isolation et des sanitaires. À l’époque, les quartiers populaires n’étaient pas considérés comme des lieux défavorisés. Pour cette catégorie de la population, le fait d’habiter dans des immeubles était perçu comme une étape, le but étant souvent l’accès à la propriété.

Aujourd’hui des gens aux situations économiques et sociales fragiles s’installent dans les

immeubles HLM et y restent le plus longtemps possible. Derrière le mot HLM se cache une pauvreté intellectuelle, sociale, et économique. C’est le cas des personnes déshéritées qui sont en situation de chômage, de séparation conjugale ou familiale, sans formation, sans diplôme

et sans aucune vision de l’avenir. Sans entrer dans une approche misérabiliste, observons que

la personne entre alors dans un processus de repli sur soi, en s’enfermant chez elle, elle

s’éloigne de tout ce qui peut lui rappeler sa situation précaire. Elle reste entourée par ses

quatre murs à l’intérieur desquels elle a installé le minimum de bien-être. Elle trouve à

travers son logement un lieu de sécurité et de protection, un espace d’intimité, une barrière qui

la sépare du reste de la société, qui la protège peut-être et qui ne dérange pas les autres.

Plusieurs études ont été réalisées sur les quartiers marqués par des difficultés spatiales, économiques et sociales, notamment avant le phénomène des « émeutes » qui a frappé la

France en novembre 2005. L’ouvrage de Kokoreff, publié en (2003), La force des quartiers.

De la délinquance à l’engagement politique, nous intéresse dans le sens où l’auteur a conduit

une analyse profonde sur la vie des jeunes en particulier, mais aussi sur les modes de vie, les

relations sociales et les rapports au quartier. Il s’agit de résultats émanant de plusieurs

recherches réalisées entre 1993 et 2002, dans différents quartiers « difficiles » de la région parisienne principalement : les quartiers nord d’Asnières, à Gennevilliers, Nanterre, Palaiseau.

Selon l’auteur le quartier s’apparente à «une prison dont les murs sont invisibles ». Le terme «

invisible » peut désigner selon Lochak (2006, p. 499) « ceux qu’on ne voit pas parce que’ ils sont trop marginaux et donc, au sens propre, invisibles pour les autres membres du corps social ; ceux qu’on ne veut pas voir et qu’on rejette aux marges de la société ; ceux dont la visibilité dérange et qu’on réprime ».

S’agit-il alors d’un sentiment d’enfermement, de marginalisation, de ghettoïsation, éprouvé

par les habitants du quartier des 3Cités ? Perçoivent-ils leur quartier en tant qu’espace clos et sur quel plan, social, économique, ethnique, spatial, et selon quelle combinatoire ? N’est-ce

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(2008) : difficultés pour accéder à l’emploi, situation familiale handicapante, typologie de loisirs, origine étrangère ? Ces éléments de ségrégation urbaine s’actualisent-ils comme éléments de fermeture avec les classes moyennes et supérieures, cette prison invisible nourrit- elle un clivage au plan des relations sociales des habitants des 3Cités avec les autres quartiers

de la ville de Poitiers … ?

I.2. L’isolement est-il un choix ? Dépend-il de la précarité, de l’espace

défavorisé, et, ou, de la politique municipale ?

L’isolement est une réalité dans la vie des habitants du quartier des 3Cités. Comment

cet événement est-il expliqué par les acteurs de terrain ? A quoi est-il dû ? À la trajectoire sociale des habitants ? Au fait d’habiter dans un lieu réputé défavorisé ? Quelle réponse apporte la politique municipale ?

Les entretiens nous invitent à des analyses apparaissant contradictoires pour expliquer

les raisons de l’isolement. Tout d'abord, il est compris comme une conséquence évidente de la

précarité des habitants : « les conditions de précarité sociale et économique isolent naturellement les habitants ». (Entretien, directeur des CSC du quartier des 3Cités).

L’isolement devient involontaire quand il est lié à la pression sociale dans son ensemble. À titre d’exemple : « une femme divorcée qui a des enfants et qui a perdu son travail se trouve

facilement dans une situation d’isolement. De plus, perdre son boulot conduit forcément à

perdre ses collègues et à rester ensuite sans amis. Cependant, nous ne pensons pas que

l’espace du quartier est un facteur d’isolement, c’est plutôt le réceptacle de gens qui se trouvent dans une situation d’isolement liée à d'autres facteurs dépassant l’espace du

quartier »44. Dans ce cas, l’enfermement est dû à des raisons non imputables au quartier d’un point de vue géo-spatial, mais davantage aux difficultés sociales et économiques découlant de la vie des habitants.

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Dans une étude anthropologique Kokoreff (2003, p. 337) explique l’attachement ambivalent des habitants à leur quartier, attachement dû à la proximité de compatriotes de même ethnie, de même culture mais attachement également parce que leurs ressources limitent leur choix d’habitat aux seuls quartiers populaires. Ainsi pour les jeunes le

resserrement sur le quartier renverrait à l’investissement du territoire de la cité, considérée

alors comme refuge. La population jeune se trouve en effet dépourvue de ressources économiques, linguistiques, culturelles, par opposition aux jeunes issus des classes moyennes

et supérieures qui bénéficient eux de divers moyens et ressources pour s’amuser : argent de

poche, parents ayant une voiture permettant à leurs enfants de se déplacer facilement et

d’avoir accès aux équipements culturels et de loisir avec une moindre contrainte.

Par ailleurs, l’isolement peut aussi être attaché au mode d’habitation. Le fait d’être entouré par des gens est un choix en soi, ce n’est pas une obligation. Suite aux manifestations

récréatives organisées par le centre socio-culturel des 3Cités nous nous sommes aperçus que dans le même immeuble nous pouvons trouver des gens créant des liens avec une partie non négligeable des habitants du quartier. En même temps, nous observons également des gens qui ne se connaissent pas alors qu'ils habitent dans le même immeuble45. L’isolement, estime le directeur des CSC des 3Cités « est lié à la vie sociale des personnes et à leur réseau social ».

D’un autre point de vue, l’aménagement du quartier, tel qu’il est réalisé par la politique municipale de la ville de Poitiers, n’est-il pas susceptible de créer des conditions d’isolement ? C’est l’autre vision opposée, invisible du quartier des 3Cités. Selon l’ancien

président des CSC des 3Cités (2007-2010) la politique municipale favorise l’isolement et

participe à l’individualisme des habitants. Il explique que : « la politique municipale est une

politique de ségrégation indirecte qui n’apparait pas dans les discours. Les autorités de la ville ne vont pas dire qu’on fait de la ségrégation. En réalité, c'est le cas si on observe la

façon dont on construit les immeubles, la façon de réprimer les jeunes qui ne peuvent pas

trouver du boulot et qu'on pousse à s’isoler ». Ainsi, l’aménagement des immeubles appelés

généralement « tours » est organisé d’une manière qui sépare cette partie du quartier du reste de la ville : « regardons nous comment le quartier a été aménagé par rapport au reste de la

45L’exemple du festival Ecouter-Voire qui est organisé chaque année dans le quartier des 3Cités, par le centre

socio-culturel des 3Cités et en partenariat avec le Conservatoire à Rayonnement Régional. Des spectacles sont donnés chez des particuliers habitant dans les immeubles ainsi que dans la partie pavillonnaire du quartier. Des spectacles de danse, de chant, de musique etc... sont offerts gratuitement au public du quartier.

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ville ? D’un côté il y a le centre ville puis il y a des pavillons habités par des propriétaires (les petits bourgeois), qui entourent par la suite les cités « les Tours ». La ville a été construite de cette manière pour isoler la couche populaire. » (Entretien, ancien président des CSC des 3Cités (2007-2010). Les classes populaires ont été regroupées dans des lieux se composant uniquement de tours dispersées dans tous les quartiers périphériques de la ville. Cependant : « c’est une politique municipale de division et d’atomisation. Diviser pour mieux régner »46.