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Quand je suis arrivée à Poitiers dans le cadre de mes recherches portant sur les activités sportives et culturelles, pratiquées et développées dans un milieu urbain, le choix porté sur le quartier des 3Cités « quartiers défavorisés » est un choix guidé par une intuition méthodologique. La configuration de ce quartier offre un cadre permanent de concertation et d’observation avec les acteurs du monde sportif et social. Mon statut d’animatrice au centre socio-culturel du quartier des 3Cités a été d’un apport considérable dans le processus d’acquisition d’éléments empiriques pour notre enquête, notamment en méthodologie. Mais je n’habite pas ce quartier. Mon logement se trouve en centre ville de Poitiers.

Au niveau géographique, le quartier 3Cités est à quelques minutes du centre de la Communauté d’Agglomération de Poitiers. Son emplacement offre une dynamique de circulation pour les populations. Le transport est assuré par une ligne de bus qui fait le tour de

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la commune du Poitiers très régulièrement. Il arrive parfois que le bus ne circule pas pour des raisons corporatistes (grève par exemple) ou météorologiques. Dans ce cas le déplacement peut se faire à pied. Cela peut prendre de 20 à 25 minutes de marche pour arriver au quartier si on arrive du centre ville de Poitiers. Il est donc en périphérie du centre ville.

La facilité d’accès à notre terrain de recherche me semble être une chose d’une importance capitale pour la bonne marche d’une enquête de terrain. Car le rapport de l’enquêteur à son terrain peut avoir une influence sur la production et le recueil des données aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. D’ailleurs c’est le sens de tout le débat qui a occupé les anthropologues sur la production du matériel qui doit faire l’objet d’une analyse objective. Le travail sur le terrain consiste en une relation directe avec les individus, et cette relation me semble déterminante. C’est, sans doute, ce qui a poussé Georges Condominas à partir sur le terrain, en Indochine, sur les hauts plateaux, auprès d’une tribu que nous appelons les Mnong Gar. La représentation d’un lieu, dans le sens de Condominas15, ne peut pas uniquement être

géographique mais c’est un ensemble de dimensions que peut prendre le social : l’échange, l’environnement, la parenté, la communication, l’espace et le temps. Ces dimensions, selon l’auteur, font de ce lieu un espace social en termes de relations. Ce sont ces multiples

dimensions que nous entendons saisir par notre immersion distanciée sur le terrain.

Au niveau associatif, le centre m’a permis de créer un réseau de relations avec les

acteurs locaux du quartier, animateurs, éducateurs et responsables. En plus de cela, mon

travail m’a permis, d’une part, d’être en contact direct avec les familles résidantes de ce

quartier (pères, mères), des enfants fréquentant l’établissement après une journée scolaire à

l’école, d’autre part, avec les bénévoles issus du quartier des 3Cités et d’autres quartiers de la

ville. L’impact de ces relations sur mon enquête met en évidence le concept de capital social théorisé par Pierre Bourdieu et qui me servira dans l’effort compréhensif constitué par le travail de thèse.

Une place en tant qu’acteur de terrain est alors occupée, en dedans et en dehors de la

structure, entre la rue, « espace de l’extérieur » et l’institution, « espace de l’intérieur ». Mes fonctions auprès du public fréquentant le centre socio-culturel des 3Cités sont multiples et diversifiées. Je me considère animatrice débutante dans le secteur enfance du centre socio-

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culturel. Je m’occupe d’aller chercher les enfants à leur sortie de l’école, de les aider à faire

leurs devoirs, de leur proposer des activités de loisirs, sportives et culturelles. Ensuite, c’est au

secteur jeune que je me retrouve, prenant en charge le déroulement des activités de loisirs

auprès d’un public préadolescent, adolescent et jeune. En parallèle, pendant les grandes vacances d’été, je suis une animatrice de rue qui se déplace à vélo, dans des endroits variés du

quartier : au pied des immeubles, des terrains en libre accès tels que les city-stades, les places publiques et les rues du quartier.

Je suis intégrée dans un équipe de quatre animateurs vacataires, porteurs de sac à dos, remplis de matériel, ballons de football, de basketball et de volleyball, raquettes de badminton, de tennis de table, de jeux de société, de coloriages, etc…. Le but est de proposer des activités et

de créer des moments d’échanges, de rencontres et de discussions avec les enfants, les

adolescents et les adultes qui ne partent pas en vacances et qui pour la plupart ne fréquentent pas le centre socio-culturel. Mon statut professionnel a construit une première étape

méthodologique basée sur l’observation du quotidien et du lieu. L’observation a nourri ma réflexion et mon analyse, permettant une description générale de l’enquête car, « le premier témoin auquel nous pouvons toujours faire appel, c’est nous-mêmes », écrit Halbwachs (1968,

p. 1). Mais, il faut toujours penser que, « la méthode d’observation et la participation à la vie

d’un groupe social suppose à la fois un engagement et une distinction avec l’objet de

recherche » (LeBreton, 2012, p. 246).

Le fait d’habiter au centre ville de Poitiers me permet d’avoir un regard extérieur par rapport à mon terrain de recherche. Je suis l’enquêteur qui passe la majorité du temps sur le

lieu de l’enquête. Cela pourrait avoir des inconvénients, car on pourrait être très influencé par les problématiques ressenties auprès du public et enfermé dans le quartier sans prêter attention à ce qui se passe autour. Il est donc nécessaire de prendre ses distances entre soi-même et son objet d’étude. Dans la théorie sociologique de Norbert Elias (1983, éd. traduit 1993, p. 4), celui-ci montre que c’est « seulement en objectivant sa propre position que le chercheur peut instituer une distance par rapport aux dépendances qui le contraignent sans qu’il le sache, et, ainsi, pratiquer le « désenchantement émotionnel » qui sépare le savoir « scientifique » des représentations immédiates, des préjugés spontanés ». Une capacité de distanciation est favorisée par la connaissance du sujet, le chercheur fait partie de son objet d’étude et

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« jongle » entre distance et connaissance du « dedans » liée à l’implication dans l’objet de la recherche.