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DE L’OBJET FRONTIERE

1. LE CONCEPT DE REFERENTIEL

1.3. Dans le champ des sciences de l’Education

1.3.2. Un référentiel : définitions et fonctions

Au fil des trois dernières décennies, le terme de référentiel a donc très largement investi les écrits et les propos relatifs à la formation. Dans le champ de la formation professionnelle, il s’est petit à petit substitué à la notion de programme pour faire « l’inventaire d’actes, de perfor-

mances observables détaillant un ensemble de capacités, le référentiel de formation, liées aux référentiels de métier, de fonctions » (F. DANVERS, 2003, p. 387). Le terme générique peut dé-

crire un emploi ou un métier, la formation et l’évaluation et/ou la certification. Il participe, au départ, à l’application d’une pédagogie par objectifs ; des objectifs généraux de formation dé- coulent du référentiel métier, des objectifs intermédiaires et opérationnels structurent le réfé- rentiel de formation (P. MAUBANT, 2005, p. 11). Aujourd’hui, les référentiels représentent un support construit par autrui auquel on peut se rapporter pour concevoir, conduire, analyser, évaluer… une action ou un dispositif de formation.

1.3.2.1. De l’emploi à la formation

Le référentiel des activités professionnelles présente généralement le contexte d’exercice du ou des métiers correspondants. Elaboré avec des professionnels, il définit les principales fonctions et les tâches associées soit les activités d’une cible professionnelle. Pour chacune, il peut fournir des indications sur les résultats attendus. L’entrée par les activités et non par un emploi ou un métier évite une conception trop réductrice ou cloisonnée aux spécificités d’un métier et parti- cipe à la prévention d’une rapide obsolescence. Le référentiel d’activités professionnelles sert également de base à l’élaboration du référentiel de diplôme ou de certification. Ce dernier, dont l’écriture est confiée à un groupe d’inspecteurs et d’enseignants, constitue l’outil de référence d’une formation en recensant les compétences et les savoirs associés nécessaires à leur déve- loppement et leur mobilisation. Enfin, le référentiel de formation est élaboré à partir de référen- tiel de compétences. Il traduit ces dernières en objectifs de formation et en capacités néces- saires à l’exercice de l’activité avant d’inventorier les savoirs associés à intégrer et à maîtriser. Il peut être accompagné d’un guide repères ou de recommandations pédagogiques devant aider à le lire et à l’interpréter.

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1.3.2.2. Ses fonctions dans le contexte socio-économique actuel

En définissant et en caractérisant les emplois, les référentiels contribuent à « identifier des

proximités entre emplois et des passages possibles de l’un à l’autre » (F. CROS & C. RAISKY, 2010,

p. 113). En ce sens, Ils facilitent l’élaboration des projets de mobilité et/ou de mutation profes- sionnelle et aident à trouver le ou les parcours de formation correspondants. Dans le domaine de la gestion des ressources humaines, les référentiels permettent :

 d’adopter un ensemble de définitions et d’appellations homogènes pour désigner les fonctions des opérateurs et intégrer cette information dans la rémunération et leur his- torique de carrière,

 d’accompagner et de préparer l’évolution des emplois par des actions de formation si ce- la s’avère nécessaire,

 de faciliter la rédaction des profils de poste notamment lors de recrutements,

 une évaluation et une autoévaluation dans la mesure où l’opérateur peut se situer par rapport aux activités attendues dans l’emploi et où les responsables peuvent mener une évaluation plus homogène.

1.3.2.3. L’exemple du baccalauréat professionnel ARCU

Il s’agit d’un diplôme récemment rénové (juillet 2010) que proposent plusieurs Maisons Fami- liales Rurales de la région dans laquelle nous travaillons. Le baccalauréat professionnel Accueil Relation Clients Usagers (ARCU) se compose de trois référentiels.

a) Le référentiel métier ou d’emploi

Un inventaire d’activités dans un contexte donné

Le référentiel d’activités professionnelles correspond à un référentiel métier ou d’emploi. Il pré- cise tout d’abord le champ d’application soit les principales catégories d’activités (en l’occurrence ici l’accueil en entreprise, dans les administrations, dans les transports…) avant de recenser les emplois auxquels peut prétendre le titulaire de ce diplôme. La première partie s’achève par une présentation du contexte et des conditions de réalisation. La deuxième partie expose les cinq catégories d’activités relatives aux emplois identifiés (l’accueil téléphonique par exemple). Pour chacune, le référentiel énonce les tâches correspondantes (la prise de rendez- vous, le conseil aux appelants…) en indiquant les conditions d’exercice (ressources matérielles, données et informations disponibles…) et le ou les résultats attendus (répondre éventuellement en langues étrangères aux demandes des appelants, les renseigner, les orienter – veiller à main- tenir une qualité de services…)

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Ici, le référentiel cherche à définir et à caractériser dans une approche dénotative un groupe de métiers (en l’occurrence les métiers de l’accueil et de la relation). En identifiant et en définissant les principales activités et les tâches associées, il précise le champ d’application en termes de tâches prescrites et fournit quelques indicateurs de réussite. Ainsi construit et renseigné, le réfé- rentiel métier contribue à choisir et à définir l’un des objectifs généraux d’un dispositif de forma- tion professionnelle pouvant se formuler comme une situation problème : quelles sont les stra- tégies et les situations de formation à privilégier afin que les apprenants puissent à terme conce- voir, réaliser, assumer les différentes activités quel que soit le contexte. Pour un secteur ou une branche professionnelle, élaborer un référentiel métier permet de formaliser, à un moment donné, sa représentation d’un métier et se doter ainsi d’un point d’appui dans la gestion des ressources humaines (recrutement, évolution des compétences du personnel…). Dans les deux cas, il joue essentiellement une fonction d’évaluation diagnostique et pronostique.

b) Une ébauche de référentiel de situations

De plus, il contient ce que les spécialistes de la didactique professionnelle nomment une ébauche de référentiel de situations. En effet, les cinq catégories d’activités peuvent être consi- dérées comme autant de classes de situations (P. MAYEN & J.-F. METRAL & C. TOURMEN, 2010, pp. 33-34). Pour ces auteurs, une situation de travail se caractérise par les points suivants :

 des buts, souvent imbriqués les uns dans les autres et de nature différente, de surcroît indissociables des objets de l’action : ce sur quoi il y a à agir,

 une action qui modifie, transforme les objets de l’action tout comme les modalités de la réalisation de l’action soit ce qui doit être pris en compte et ce sur quoi il y a à agir pour réguler l’action,

 un degré de complexité étroitement lié au nombre d’éléments à prendre en compte et à gérer comme le nombre de buts, la plus ou moins grande immédiateté des résultats et dépendant aussi de variables majeures à prendre en compte : sont-elles nombreuses, prévisibles, accessibles… ?

Ainsi, l’activité numéro deux du référentiel d’activités, l’accueil téléphonique, constitue une si- tuation de travail répondant bien aux trois caractéristiques. Répondre à l’appel d’un client ou d’un usager consiste bien évidemment à saisir l’objet ou les objets de son appel ce qui, en soi, représente déjà un ou plusieurs buts car les objets peuvent être de nature très différente. Par ailleurs, le sujet agissant doit satisfaire l’attente du client ou de l’usager tout en répondant éven- tuellement à un autre but que lui assigne sa hiérarchie comme par exemple proposer un nou- veau service. Dès les premiers échanges, il peut percevoir les effets de son action et, si néces- saire, la modifier ou l’ajuster. Enfin, la situation est plus ou moins complexe : le client ou l’usager

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a une ou plusieurs attentes, le résultat escompté est « mesurable à chaud » ou ne l’est pas, le poste de travail présente un contexte facilitant ou au contraire altère la qualité d’écoute, ou encore le client ne s’exprime pas en français, ou peut faire preuve d’agressivité…

Développer un référentiel de situations consiste donc à identifier « les éléments invariants de la

classe de situations et les variables les plus essentielles » (ibid., p. 34), c’est-à-dire, pour un sujet

ayant une activité efficace, repérer l’ensemble des concepts organisant l’action et servant à la guider. Un tel travail complète et prolonge l’analyse ingénierique exposée dans le premier cha- pitre en faisant des situations et des classes de situations un fil conducteur majeur d’un dispositif de formation par alternance ainsi qu’une base féconde pour construire des scénarios pédago- giques et des situations d’évaluations.

c) Le référentiel de certification

Dans le cas du Baccalauréat Professionnel ARCU, ce document développe pour chaque tâche les différentes activités, la ou les compétences à mobiliser et le ou les savoirs cognitifs associés. Chaque tâche est également définie en termes de comportements professionnels attendus et de critères de performance. Une synthèse permet d’affecter les compétences identifiées pour chaque activité à une unité d’épreuves afin de donner à ces dernières un socle de référence. Comme son nom le précise, le référentiel de certification consiste à identifier et à caractériser les compétences nécessaires à la réalisation des tâches énumérées dans le référentiel métier. Il permet ainsi la création d’unités de certification en vue de la définition des épreuves de l’examen ou la mise en correspondance des activités professionnelles et des unités de certifica- tion dans le cadre d’un dispositif de validation des acquis de l’expérience. Sa fonction première est par conséquent une fonction de contrôle sommatif et/ou certificatif. Il fournit également un recensement des compétences à développer pouvant alimenter utilement la situation problème que pose l’exploitation d’un référentiel métier aux pilotes d’un dispositif de formation profes- sionnelle. Force est de constater que le référentiel de ce baccalauréat professionnel comme nombreux autres diplômes du ministère de l’Education Nationale privilégie une structuration analytique se limitant à relier une liste de compétences à des savoirs. Au-delà du fait que cer- taines compétences voire la plupart relèvent davantage de tâches161 et de savoir-faire, il semble que cette conception se fasse au détriment d’un repérage des compétences clés, plus transver-

161 Le référentiel de certification du baccalauréat professionnel ARCU liste plus de 120 compétences dont la plupart corres-

pond davantage à des tâches comme «retranscrire une commande verbale», « prendre congés », « compléter le registre de départ ». Cela semble illustrer ce que P. ASTIER (2006b, p. 140) présente comme la tentative, voire la tentation, de vouloir rendre compréhensible le travail au risque d’obtenir des textes volumineux où « le sens des actions et leurs organisations se perdent sous l’accumulation des termes, la divisions des actes, l’allongement des listes ».

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sales162, c’est-à-dire régulièrement mobilisées pour faire face aux situations professionnelles habituelles, par exemple savoir répondre et/ou traiter une demande/une requête d’un client ou d’un usager. Elle occulte également le rôle et la place des méta-compétences163 aidant le sujet à devenir, à être et rester compétent. Dans le cas de ce diplôme, comme dans beaucoup d’autres, pourraient être retenues ici des compétences d’adaptation aux contextes, aux évolutions profes- sionnelles ou bien d’analyse des pratiques à des fins de renforcement et d’amélioration. En outre, cet exemple illustre l’effet de « mise à plat » du travail à réaliser ou attendu et occulte la « mise en relief », la recomposition que déclenchent l’activité et ses processus d’organisation, de choix, d’ajustements… (P. ASTIER, 2007, p. 7). Un référentiel ne peut tenir sa fonction de réfé- rence qu’à la condition d’être lu, interprété et complété par les acteurs de la formation nous rappelle cet auteur.

Ainsi pensés et construits, les référentiels visent essentiellement une professionnalisation étroite destinée à une certaine catégorie de jeunes (C. AGULHON, 1998, p. 122) plutôt qu’une formation complète et générale propice aux adaptations et aux changements socioprofessionnels. Il semble cependant que ce point évolue. Certains diplômes rénovés ou créés récemment font de la professionnalisation un axe majeur. C’est, par exemple, le cas du BTS « tourisme » publié en 2012. Ce diplôme164 propose un parcours permettant d’accompagner le processus de profes- sionnalisation par la réalisation de stages, la mise en place et l’animation par l’équipe pédago- gique d’ateliers de professionnalisation et par l’élaboration et la gestion d’un livret de profes- sionnalisation. Dans une optique interdisciplinaire, l’atelier de professionnalisation repose sur l’étude et/ou sur l’analyse de situations professionnelles, la réalisation de projets mobilisant plusieurs disciplines. Il a un triple objectif : mobiliser de façon intégrée les compétences et les savoirs associés, approfondir les compétences génériques en fonction de la spécialisation choisie par l’étudiant, suivre et si besoin ajuster le parcours de professionnalisation. Le livret recense l’ensemble des situations professionnelles vécues. Il accompagne l’étudiant tout au long du par- cours, de son positionnement en début de formation jusqu’à la certification des compétences dans le cadre de trois des épreuves de l’examen. Un tel choix vise sans doute à reconnaître et à valoriser la démarche et les productions qui en découlent ; il questionne peu la pertinence du

162 Elles permettent selon P. PERRENOUD (1997, p. 37) « de faire face à des familles de situations » Elles donnent au sujet la

capacité à adapter ses actions et ses activités selon la variété des situations et/ou la spécificité des événements qui se pré- sentent de par une double propriété : une puissance générative (B. REY, 1996, p. 46) propice à la recherche de solutions singulières et une transversalité visant à mobiliser les ressources dans divers contextes.

163 Une méta-compétence est, pour M. ALTET (1996, pp. 36-39), un savoir analyser favorisant la construction de nouvelles

compétences. C’est également le point de vue de P. CHAUBET & al. (2010, p.146) à propos de la notion de réflexion; ces auteurs la considèrent comme une compétence de « second niveau » facilitant le développement des autres compétences. R. WITTORSKI (1998, p. 68) la définit comme la faculté d’un sujet à avoir conscience de ses compétences et disposer de la capacité à les gérer. Le processus de production de méta-compétences vise à analyser sa propre action avant, pendant et après l’action.

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contrôle d’une compétence reposant sur l’appréciation d’une performance dans un contexte donné.

d) Le référentiel de formation

Selon les diplômes, le référentiel de formation165 fait l’objet d’un document spécifique souvent nommé pour les diplômes de l’Education Nationale « savoirs associés » ou peut être intégré au référentiel de certification. Cet outil liste les savoirs que les apprenants doivent intégrer pour en faire des ressources nécessaires à l’expression de telle ou telle compétence. Chaque savoir est généralement défini par une brève description ainsi que par des indications sur les limites de l’apprentissage correspondant. Isolé des autres référentiels, il ressemble à un programme listant les notions à étudier rendant plus délicate leur finalisation (C. AGULHON, 1998, p. 121).

Ici encore, le référentiel a une visée sommative voire presque normative. En amont d’une action de formation, il aide l’enseignant à organiser et à concevoir sa progression, ses séquences péda- gogiques. Il facilite aussi la définition des niveaux d’exigence en proposant des limites d’apprentissage évitant ainsi des choix personnels plus ou moins arbitraires. Cela garantit, par ailleurs, l’existence d’une progression - en termes de difficulté et de complexité - d’un niveau de formation à l’autre. En aval, il peut servir de repères à des fins d’analyse, de réflexion et/ou de contrôle.

Cette déclinaison d’exemples de référentiels d’un baccalauréat professionnel rejoint la définition générique élaborée précédemment. Une formation donnée peut se définir par un ensemble de référentiels. Chacun se compose de plusieurs référents. Un référentiel de métier indique généra- lement les visées, les finalités c’est-à-dire le sens, l’orientation à privilégier. Les compétences attendues et/ou à développer, les tâches et les activités à gérer, le contexte de réalisation, les savoirs à acquérir… sont autant d’éléments que véhiculent les référentiels de certification et de formation pouvant servir de repères, de points d’appui et d’aspiration à des fins de conceptions, de conduites ou d’analyses d’un dispositif de la formation considérée. Malgré les critiques aux- quelles ils sont régulièrement soumis du fait qu’il s’agit avant tout d’objets construits autour de

165 Si le ministère de l’Agriculture retient le terme de référentiel pour les enseignements techniques et professionnels

comme les disciplines générales, le ministère de l’Education Nationale conserve pour cette deuxième catégorie le terme de programme. Il a publié, en avril 2014, une charte des programmes. Cet outil rappelle ce que recouvre le terme de pro- gramme. Un programme d’enseignement est une prescription de ce qui doit être enseigné à l’école. Il constitue une norme nationale constituant la référence « centrale à l’éducation et à la garantie d’une ambition et d’une culture communes » (Charte des programmes, 2014, p. 5). Cette norme présente le projet d’enseignement et les finalités du parcours en termes d’acquis des élèves. Chaque programme expose ce qui doit être enseigné à un niveau donné en mettant notamment en synergie plusieurs disciplines. Il explicite les choix et les finalités qui en constituent son assise ; il définit aussi les objectifs en matière de connaissances et des compétences attendues. La charte indique également ce que représentent les pro- grammes pour les élèves (p. 9). Ils doivent faire sens et représentent pour eux un important facteur de motivation. Ils con- tribuent à ce que les élèves prennent plaisir à apprendre, à mobiliser leurs compétences. Ils permettent de montrer que les savoirs et les compétences développés à l’école ne sont pas exclusifs au champ scolaire et doivent s’articuler avec les sa- voirs et les pratiques de la vie sociale.

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mots polysémiques (compétences, capacités, savoirs…) dont la lecture croisée de quelques réfé- rentiels montre que, manifestement, les concepteurs n’ont pas en leur possession une définition partagée. Il en va de même pour la distance maintenue avec l’activité réelle du travail ou encore l’empilement des compétences avec l’élévation des niveaux de formation faisant que du CAP au BTS les compétences à atteindre sont décuplées… Les référentiels restent comme le rappelle F. MAILLARD (2003, p. 74) un outil dont on ne peut contester pas la valeur pratique et symbolique, un repère « stable, commun et plutôt riche si on le compare aux autres documents de présenta-

tion des certifications professionnelles ».