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Raconter l’histoire de la réalisation de la thèse peut s’envisager de différentes manières. La lo- gique chronologique est souvent la première qui vient à l’esprit. Il est possible de la croiser avec d’autres : le cheminement personnel dans la recherche, le travail et le vécu du chercheur, l’amalgame des avancées, des doutes, des impasses… En cohérence avec le mode d’exposition de la partie précédente, je retiens comme fil conducteur mon cheminement nourri de lectures, d’investigations, de réflexions personnelles, de questionnements et d’échanges toujours féconds avec mon directeur de recherche.

L’objet de la thèse prend source dans le travail réalisé en master. De ce dernier émerge la notion de référentiel personnel. Au départ, le projet de thèse retient quatre axes de travail devant ali- menter le questionnement suivant : en quoi et comment le développement de la réflexivité, de et dans l’action pédagogique, contribue-t-il à l’élaboration par le sujet d’un référentiel personnel traduisant l’interprétation, l’appropriation des principaux fondements d’un système pédago- gique et permettant de discuter les éventuels écarts avec le référentiel métier ? Je souhaitais que le dispositif de recherche permette de poursuivre l’étude des processus réflexifs et de la pensée réflexive, de développer le concept de gestes professionnels, de comprendre l’articulation entre un référentiel personnel et un référentiel métier, d’observer les effets du

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développement de la réflexivité sur les pratiques pédagogiques des moniteurs. Si assez rapide- ment, plusieurs de ces axes ont été écartés et si le questionnement a évolué, le projet contient l’expression qui, je pense, a guidé les premières étapes du cheminement : un dispositif de re- cherche. L’expression, proposée par mon directeur de recherche au moment de l’écriture du projet, nécessite d’être définie, caractérisée et reliée au terrain retenu.

Rendre concret un objet abstrait

Deux dispositifs cohabitent durant la première année. Le premier, le dispositif de professionnali- sation des formateurs de MFR dont j’assure le co-pilotage, a déjà fait l’objet d’une étude et d’une analyse ingénierique. Je me dois de l’approfondir et de l’élargir afin de montrer sa place et sa fonction dans le dispositif de formation des MFR. Mais aussi et surtout je dois montrer que le contexte de la recherche revêt des caractéristiques partagées avec d’autres au point que ce qui est objet de recherche ici pourrait l’être ailleurs. Le second, le dispositif de recherche, est à cons- truire. L’appréhender s’avère difficile. Des ébauches tentent de penser la démarche méthodolo- gique et les investigations de terrain. Cependant l’activité principale des premières étapes de la thèse porte sur le besoin de définir et de caractériser la notion de référentiel personnel. Une investigation bibliographique sur le concept de référentiel (G. FIGARI, 1994 – CHAUVIGNE & Y. LENOIR, 2010 – F. MAILLARD, 2003) et une mise à l’épreuve du terrain permettent d’aboutir à une définition, à un inventaire de ses fonctions et à une proposition de modélisation. Des lec- tures amènent à questionner son statut : objet ? Outil ? Instrument ? Les écrits de début de deu- xième année avancent l’idée d’un instrument (L. VYGOTSKI, 1985 - P. RABARDEL, 1995). La prise en compte du premier recueil de données collectées auprès des usagers du dispositif de forma- tion et la préparation d’une communication réalisée au cours de la troisième année sont mises à profit pour approfondir ce point. Le référentiel peut être considéré, dans les processus de pro- fessionnalisation, comme un instrument de médiation. Avant cela, une question de mon direc- teur de recherche m’invite à préciser son appellation. Un sujet construit, reconfigure des réfé- rentiels personnels pour des domaines donnés comme autant de facettes d’un monde person- nel. Parler de référentiel personnel sans préciser le quoi et/ou le pour quoi peut paraître surpre- nant ! Le travail d’élaboration porte la réponse. Deux des quatre registres composant le référen- tiel personnel sont regroupés sous le terme d’agir pédagogique. Le référentiel personnel est depuis nommé référentiel personnel de l’agir professionnel (RPAP) et non pédagogique puisque l’agir du métier d’enseignant/formateur ne se limite pas à des actions pédagogiques. La question et l’échange qui en découlent me ramènent au concept de monde. Peut-on dire que l’émergence d’un référentiel personnel participe à l’élaboration d’un monde personnel ? Le concept de

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monde est appréhendé ; les travaux de P. BEGUIN (2004a) dans un premier temps, puis de F. VARELA (1996), N. GOODMAN (2010), J. HABERMAS (1987), L. BOLTENSKI & L. THEVENOT (1991) m’aident à repérer des similitudes entre les caractéristiques, les fonctions d’un monde et celles que j’attribue au RPAP. Pour autant, le RPAP reste une manière de lire le réel, d’appréhender une réalité et constitue sans doute un des éléments du monde personnel d’un sujet ensei- gnant/formateur.

En définitive, le cheminement a développé un processus de concrétisation d’un objet. Au départ abstrait, il s’est petit à petit concrétisé (G. SIMONDON, 2012) par notamment la définition de son rôle et de ses fonctions dans l’exercice du métier. Des questionnements subsistent. La défi- nition proposée mentionne que le RPAP est à la fois issu et alimenté par des processus de réfé- rentialisation inconscients. Cette caractéristique est précisée en retenant l’idée d’un inconscient cognitif (F. VARELA, 1993) faisant qu’un sujet ne prend pas forcément conscience des processus mentaux pilotant l’action et l’activité consciemment assumées. Cependant la recherche, en questionnant l’émergence, la mobilisation et l’emploi du RPAP, invite les usagers du dispositif à prendre conscience de son existence, de son utilisation. Est-ce bénéfique ? Que gagne-t-on à mettre en évidence un objet qui jusque-là travaille dans l’ombre ?

Penser et développer la démarche de recherche

En fin de première année, une séance de travail avec mon directeur de recherche m’oblige à travailler plus en profondeur la démarche de la recherche et m’invite, à ma grande surprise, à penser le plan du mémoire de la thèse. De mon côté, la démarche en cours est floue et incer- taine. Ma balise principale est un double questionnement. Le premier « comment des forma-

teurs d’un dispositif de formation se professionnalisent-ils ? » pour lequel je retiens, parmi les

réponses possibles, qu’ils construisent et emploient un référentiel personnel. De là émerge le second questionnement que la recherche entend alimenter « en quoi et comment la fréquenta-

tion d’un dispositif de formation, qui invite à se former tout en travaillant, contribue-t-elle à la genèse, la mobilisation et l’usage d’un référentiel personnel de l’agir pédagogique ? ».

G. LECLERCQ considère qu’en associant à un dispositif de professionnalisation un dispositif de recherche, je conduis une recherche dans l’action. La proposition est éclairante mais il s’agit d’une démarche singulière sur laquelle les écrits semblent peu nombreux. Il est nécessaire de construire et de caractériser ce type de recherche tout en poursuivant le développement de la méthodologie. J’essaie de tracer les contours d’une recherche dans l’action en prenant appui sur les fondements, les caractéristiques et les modalités de mise en œuvre d’une recherche-action. Dans la démarche, le RPAP, objet concrétisé est pendant quelque temps, considéré comme un

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idéal-type (M. WEBER, 1913). La recherche dans l’action s’inscrit dans une approche compréhen- sive où le RPAP a une fonction de point de repère pour saisir et questionner le sens de ce qui est construit par les usagers. J’adopte cette conception et la mets au travail dans l’écriture de deux communications. À l’issue de la présentation de la seconde, mon directeur de recherche m’indique, qu’en fait, la démarche ne relève pas d’une recherche dans l’action mais d’une re- cherche en cours d’action. Il me précise également que cette clarification allait changer le plan de la thèse ; plan que je pensais stabilisé. Ce moment, comme de nombreux autres ayant ponc- tué le processus de recherche, illustre fort bien la posture d’accompagnement de G. LECLERCQ. Outre le fait de ne jamais décider à la place de l’autre, de suggérer sans imposer, j’ai fréquem- ment constaté pendant ou à l’issue de nos échanges, à la lecture de ses commentaires sur mes écrits qu’il avait choisi de s’engager dans le processus de recherche et de se mettre, vis-à-vis de mon objet de travail, lui-même en situation de recherche.

Dans l’action ou en cours d’action la différence aurait pu m’apparaître subtile s’elle n’avait pas été accompagnée d’une définition précise. Ce type de recherche est spécifique au domaine de la formation. Elle consiste à associer à un dispositif de formation un dispositif de recherche. Ce dernier vise à introduire un objet frontière dans le dispositif de formation en vue d’en étudier son influence sur toute ou partie des propriétés du dispositif sans pour autant changer son po- tentiel de développement. L’objet frontière (S. LEIGH STAR, 2010 - D. VINK, 2009), dans mon cas le RPAP, devient la zone commune aux deux dispositifs. La recherche en cours d’action31 telle que pensée par l’équipe du laboratoire Trigone CIREL32 correspond pleinement à ma démarche. Après avoir appréhendé le concept d’objet frontière, j’essaie de caractériser ce type de re- cherche et d’en faire l’assise du processus de recherche. Je repère deux règles fonctionnelles du dispositif de formation porteuses d’une propriété pouvant être influencée par l’objet frontière et je précise les objectifs, la méthode de l’étude à conduire. La recherche en cours d’action con- serve la visée compréhensive retenue au moment où le cheminement tentait de penser plus clairement la démarche de recherche. Le développement et la mobilisation d’un RPAP aident à agir et à comprendre dans l’action, hors de l’action et sur l’action. Dans les deux premiers cas, le processus correspond à une boucle réflexive courte centrée sur l’analyse, l’évaluation, l’orientation de l’action et sur l’ajustement de l’activité. Dans le dernier, le processus relève d’une boucle réflexive, centrée sur le sujet, plus longue (P. PASTRE, 2012). Le sens (P. PHARO, 1985 – Y. BAREL, 1987 - J-M. BARBIER, & O. GALATANU, 2000 - G. LERBET, 2003) est en jeu dans

31 L’appellation ressemble à celle de la méthode « le cours d’action » développée par J. THEUREAU (2006). Elle n’a pas le

même objet et repose sur d’autres principes. Cependant, j’ai exploité certains des outils conceptuels de cette méthode.

32 L’idée revient à A.DERICKE ; elle a été expérimentée dans le cadre de projets de recherche, auxquels a contribué mon

directeur de recherche, consacrés à la place, aux fonctions et aux effets d’environnements numériques dans des dispositifs de formation (G. LECLERCQ & R. VARGA, 2010).

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l’un et l’autre des processus. Dans le premier, il s’agit de donner un sens et du sens à l’action. Dans le second, le sujet construit un sens sur son action, sur sa vie professionnelle. De plus, ap- profondir la visée compréhensive (M. WEBER, 1913 – R. ARON, 1967 – D. SCHNAPPER, 1999) de la démarche m’a amené à approfondir le concept d’action (J-M. BARBIER, A. SCHULTZ, 1987 – J. HABERMAS, 1987 – J. THEUREAU, 2006) et à affiner la fonction principale et la finalité du RPAP. La démarche de recherche est clarifiée et étayée ; elle semble faciliter la formalisation de la thèse défendue qui, jusque-là, me posait problème. Cette observation illustre et rappelle que l’écriture d’un mémoire de thèse relève d’un processus de recherche combinant nombre d’activités dont le sens n’est pas d’emblée donné ou perceptible. Il fait, au contraire, l’objet d’un travail personnel de construction de sens nécessitant comme l’indique J-M. BARBIER (2000, pp.69-70) des opérations de transformation des représentations et des opérations de mises en relation de ces représentations émergentes avec d’autres déjà existantes. A cela s’ajoute un deuxième niveau de mises en relation portant sur les images de soi en tant que sujet agissant dans les expériences, antérieures et nouvelles, génératrices des représentations en jeu. Le tout induit de l’affect et des émotions orientant et influençant les activités.

Elaborer et mettre en œuvre une méthode d’investigation et d’interprétation des données

En dehors d’un recueil quantitatif, visant à recueillir dans le temps les représentations des usa- gers des notions de référentiel et de référentiel personnel, je choisis dès le départ une méthode qualitative. Elle est, tout d’abord, mobilisée pour la concrétisation de l’objet référentiel person- nel avec des entretiens semi-directifs réalisés auprès de formateurs expérimentés. Ensuite, elle occupe une place centrale pour traiter le questionnement exposé plus haut. Assez rapidement, je postule que la mobilisation et l’emploi du RPAP relèvent d’une activité réflexive dans ou hors de l’action. Ne pouvant interrompre l’action ou n’étant pas présent au moment où elle se dé- roule, il convient de se doter d’un outillage permettant de mettre en mots le vécu d’un faire face immédiat ou différé à partir d’une trace de l’activité. Les travaux et les recherches dans ce do- maine ont développé la technique de l’entretien d’auto-confrontation (J. THEUREAU, 2006, 2010 – Y. CLOT, 2008) qui répond bien à cette intention. Il est, en effet, impossible de recueillir « à chaud » les traces d’analyses hors de l’action – des écrits professionnels qu’exige le dispositif – et dans l’action – les gestes d’ajustements (A. JORRO, 2006 – D. BUCHETON, 2009) repérés lors d’observations de séances pédagogiques. Il restait à trouver une grille de traitement et d’interprétation des données. J’ai considéré, pour cela, que l’activité réflexive relève d’un schème d’action (J. PIAGET, 1967 - G. VERGNAUD, 1991, 1996). Ses composantes constituent

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une grille opérante. Le travail d’élaboration de la démarche de recherche m’a permis également de mieux cerner les deux objets théoriques en jeu dans la méthode. Un moment de l’activité – dans la recherche l’analyse d’une activité pédagogique ou un geste d’ajustement - constitue un « cours d’action » et la mise en mots émanant de l’entretien d’auto confrontation un « cours d’expérience » (J. THEUREAU, 2006). Ce dernier correspond à la compréhension d’un vécu et concourt à la construction du sens de l’activité.

Alors que je pensais limiter l’investigation à des moniteurs usagers du dispositif de formation pédagogique, le cheminement de la recherche et des réflexions – partagées avec mon directeur de recherche - sur l’usage dans le temps du RPAP, sur la relativité de l’expertise et sur l’idée d’un processus de professionnalisation continue aboutit à un élargissement de l’investigation en pre- nant en compte le statut des sujets. Le programme de recherche comporte dorénavant un volet pour des formateurs dits « novices » et un second pour des formateurs dits « expérimentés ». L’histoire figée, ici, n’a pas atteint son épilogue. Elle retrace avec subjectivité la réalisation d’un parcours et laisse dans l’ombre des activités, des moments qui ont sans doute influencé le che- minement. Elle s’est cantonnée à relater l’histoire d’une recherche sans montrer comment le chercheur a organisé et géré le processus. En répondant à la proposition de mon directeur de recherche, je n’avais pas perçu la fonction intégratrice que revêt une telle activité.

L

E CONTEXTE DE LA RECHERCHE

Dispositif de formation professionnalisé, la formation pédagogique proposée par les MFR est une exigence conventionnelle s’adressant à tout moniteur travaillant au minimum à mi-temps. Tout en exerçant le métier en grandeur réelle, les moniteurs se forment et découvrent, pour une majorité d’entre eux, le statut d’alternant. Durant deux années scolaires, ils alternent entre des situations professionnelles et des temps de formation formelle. Le dispositif de formation péda- gogique tente de répondre à un problème récurrent : comment apprendre un métier et déve- lopper des compétences tout en le pratiquant ? Comment adapter l’intention générale - comprendre et mettre en œuvre les démarches pédagogiques inhérentes à la formation par al-

ternance – afin que la formation permette aux moniteurs de mieux appréhender la diversité, la

variété des pratiques et des contextes ou encore tenter de réduire les écarts au regard d’un ré- férentiel métier et/ou d’une théorie d’apprentissage : l’alternance dite intégrative (D. CHARTIER, 1986 - J. CLENET, 1998, - J-C. GIMONET, 1996, 2008) ?

- 37 - LE DISPOSITIF DE FORMATION DES MFR

La présente recherche s’inscrit dans notre contexte professionnel. Soucieux d’objectiver la re- cherche et de nous distancier de notre cadre professionnel, il convient de replacer l’institution des MFR et le dispositif de formation proposé dans le système éducatif français. S’ensuit une présentation du dispositif de formation sur plusieurs dimensions : son histoire, sa conception et sa mise en œuvre d’une pédagogie de l’alternance, sa conception et sa gestion du métier de moniteur. Quelle alternance développent les MFR ? Quelles sont ses principales caractéris- tiques ? Sur quels fondements et quelles modalités didactiques cette alternance repose-t-elle ? Comment ce dispositif de formation est-il perçu par les représentants régionaux des autorités rectorales des ministères de l’Education Nationale et de l’Agriculture? Quelles représentations en ont-ils ? Comment est défini, par l’institution et par l’Etat, le métier de moniteur ?... Autant de questionnements qui guident notre étude.