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Mis en place au moment de la révolution de 1848, l’enseignement agricole est un dispositif de formation relativement récent. Les MFR, émergeant à la veille de la seconde guerre mondiale, représentent la branche la plus récente des trois principales familles que compte le dispositif. Elles accueillent 27 % des lycéens et étudiants relevant du ministère de l’agriculture.

Ce premier chapitre a porté sur l’étude de deux dispositifs de formation de l’institution des MFR. Pour le premier, le dispositif de formation professionnalisée, deux grilles de lecture sont mobili- sées. La première contribue à identifier et à caractériser sept moyens agencés au service d’une double ambition : le développement de la personne, son insertion et son évolution dans son environnement, la contribution au développement du territoire dans lequel est implantée chaque MFR. Une structure associative postulant la responsabilisation des parents, des établis- sements de taille modérée, une conduite des formations et un accompagnement des alternants

145 Les trois autres sont l’intérêt pour les élèves d’être confrontés à des professionnels, la nécessité de l’implication des

parents dans une pédagogie de l’alternance et enfin le fait de favoriser la mise en problème et le questionnement à partir du terrain (L-M BOUGES, 2012, p. 142).

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confiés à une équipe éducative, une pédagogie de l’alternance spécifique sont les principaux moyens qui singularisent ce dispositif. L’étude de l’offre de formation des MFR repose sur l’analyse de cinq règles fonctionnelles à partir d’une documentation exposant le projet de l’institution et les principes pédagogiques de son dispositif de formation. Chaque règle fait l’objet d’une présentation variable. Les lieux de formation, le processus d’accompagnement et les ressources mobilisables sont clairement exposés et se traduisent par plusieurs engagements institutionnels. En revanche, deux règles fonctionnelles d’un dispositif de formation profession- nalisée, à savoir l’amorce de la formation et l’activité intégratrice, gagneraient à être précisées. Qu’est-ce qui contribue à véritablement amorcer le processus de formation ? Postuler que le travail en situation réelle est source de réussite et d’apprentissage ne suffit pas forcément. Il convient de repérer les tâches à confier, les missions à proposer, les projets à développer… De même, la documentation n’indique pas explicitement un ou des activités intégratrices outre l’invitation faite à chaque alternant de construire un « portefeuille de compétences ». Cette ob- servation questionne la propriété fondatrice de la pédagogie de l’alternance des MFR : une al- ternance à visée intégrative. Au-delà, donner la possibilité à chaque alternant de repérer et d’apprécier des savoirs développés au fil du processus de formation, l’aider à les mettre en rela- tion et/ou en tension et à les associer à des compétences s’avère crucial dans une perspective d’insertion socioprofessionnelle et/ou de poursuite de formation.

La deuxième grille d’analyse convoquée vise à caractériser et à catégoriser l’alternance des MFR. La typologie de P. MEIRIEU nous permet de la qualifier d’alternance interactive à visée intégra- tive avant de repérer et d’analyser six éléments porteurs et/ou vecteurs d’interactions. Seul l’apprenant/alternant est en capacité d’intégrer des savoirs issus de l’expérience personnelle, émergeant de l’exploration d’un contexte socioprofessionnel ou construits dans des situations de formation formelle. Seul l’apprenant/alternant peut prendre conscience et apprécier le déve- loppement de compétences sociales, professionnelles dans les différents temps et lieux de for- mation. Seul, l’apprenant/alternant choisit d’adhérer aux intentions et aux valeurs éducatives qu’incarnent les situations de formation. Les trois acteurs associés à un tel processus - les pa- rents, le maître de stage/d’apprentissage et l’équipe éducative – sont quant à eux essentielle- ment des vecteurs d’interactions. L’activation et l’efficience de chaque interaction dépendent de la capacité des acteurs à s’engager, à instaurer et à inscrire dans le temps une relation partena- riale. Dans l’outillage pédagogique de l’institution, le « thème d’alternance » et la démarche du « huit » de l’alternance (C. GERARD, 2006) concourt par le questionnement à l’activation, à l’exploitation et au renforcement des interactions.

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En définitive, Les conceptions et les conduites pédagogiques développées dans le dispositif de formation des MFR sont fondées sur des théories personnalistes ou humanistes fondées sur l’idée que former vise à développer le potentiel que recèle une personne (G. LECLERCQ, 2001, p. 126) et des théories auto-inter-constructives ou sociocognitives. Leurs finalités visent à favoriser le changement des personnes, leur adaptation, leur insertion, leur bien-être, leur épanouisse- ment, et plus globalement leur émancipation… Les processus d’inter-construction privilégient notamment l’échange, la coopération, le conflit sociocognitif. Ces processus dominants se com- binent avec des processus d’auto-construction, soit le développement par l’individu lui-même de son potentiel d’apprentissage, et d’hétéro-construction c’est-à-dire piloté ou, pour le moins, influencé par autrui (ibid., p. 132). Dans une telle approche, une théorie de la formation doit, pour être efficace et pertinente, être centrée sur l’apprenant et se confondre avec une théorie de l’apprentissage. Sur le terrain, cette imbrication des deux théories n’est pas toujours forcé- ment facile à tenir au regard notamment de l’évolution du contexte depuis une vingtaine d’années. Sur cette période et à l’échelle de la région Rhône-Alpes, l’effectif d’élèves moyen par établissement est passé de quatre-vingt-dix à deux cent-dix. De plus, toutes les MFR gèrent au- jourd’hui au moins trois niveaux de formation (six - cinq - quatre)146. Dans les années 90, la plu- part des établissements se limitait aux niveaux six et cinq. Une telle évolution n’est pas sans con- séquence. Un questionnement me semble pouvoir résumer l’enjeu auquel sont confrontées les MFR : en quoi et comment un planning de semaine/de session réussit à tenir les choix, les exi- gences, les modalités éducatives et pédagogiques exposés dans ce premier chapitre pour chaque groupe-classe présent ?

La deuxième section du chapitre porte sur le dispositif de professionnalisation des enseignants des MFR, les moniteurs. Ce métier, défini et encadré par une convention collective, entend en- glober trois missions à accomplir individuellement et en équipe : former, animer et éduquer. La professionnalisation des moniteurs repose sur un dispositif initié un an après la création de la première MFR. Il s’agissait de renforcer les compétences techniques et générales des moniteurs tout en leur proposant de contribuer à la conception, à l’expérimentation des démarches et des outils pédagogiques. Aujourd’hui, la formation pédagogique est une obligation conventionnelle et relève d’un dispositif de formation professionnalisée. Son étude a reposé sur une triple ana- lyse. La première, l’approche fonctionnelle, a repéré les moyens mobilisés et leur agencement. L’action, l’accompagnement et l’écriture constituent trois socles pour le développement des compétences et tenter de répondre à un double questionnement : comment former et accom- pagner des moniteurs qui à l’embauche ne possèdent pas, pour une forte majorité d’entre eux,

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de qualification pédagogique en général ni à la pédagogie de l’alternance en particulier ? Com- ment apprendre un métier et développer des compétences tout en le pratiquant depuis quelques semaines et parfois depuis quelques années ? Parmi les cinq règles fonctionnelles permettant de repérer et d’expliciter l’offre de significations, deux visent le développement de la capacité d’analyse réflexive : l’amorce de la formation et l’activité intégratrice. Les situations de formation correspondantes serviront d’assise à notre recueil de données. L’approche dispositive s’est intéressée prioritairement à deux éléments. Tout d’abord, la rencontre d’une disposition avec des dispositions concourt à ce que la conception du dispositif se poursuive dans l’usage (M. G. LECLERCQ et al., 2011, 2015). Ainsi, les activités productives réalisées dans les temps profes- sionnel et de formation formelle servent de creuset à des activités constructives source d’apprentissages, de développement des compétences et de construction de modèles opératifs (P. PASTRE, 2008). Cette construction nécessite, d’une part, que l’usager soit interpelé, ques- tionné et que, d’autre part, les pratiques de l’espace professionnel ne soient trop éloignées ni trop en décalage avec les modèles théoriques exposés dans l’espace de formation formelle. Les usagers étant eux-mêmes des concepteurs et des conducteurs de dispositifs de formation, la poursuite de la conception peut aussi prendre la forme d’un transfert d’éléments vers le ou les dispositifs dans lesquels les usagers interviennent. De plus, l’étude dispositive a apprécié la pro- priété réflexive du dispositif de professionnalisation à l’aide d’une grille d’analyse de P. CHAUBET (2010). Si les moyens pédagogiques mobilisés peuvent alimenter un cycle réflexif, l’enjeu – l’adaptation du sujet à un contexte – et l’une des visées – le renouvellement de l’action – ne relèvent pas d’une intention explicite. L’approche ingénierique clôt l’analyse. L’ingénierie sociale est sous la responsabilité de l’Union Nationale des MFR et englobe les dimensions juridiques et financières. Les responsables n’ont pas choisi de se doter d’un référentiel métier déclinant les compétences à construire et pouvant orienter les processus de professionnalisation et de certifi- cation. Cependant, depuis la rentrée 2014, la formation pédagogique fait l’objet d’une rénova- tion. Cette dernière retient six champs de compétences constituant potentiellement la base d’un référentiel métier. De plus, l’outillage de la certification, en cours de construction, repose sur l’appréciation de leur développement. Enfin deux points émergent de la ligne de décisions des niveaux ingénieriques. L’ingénierie sociale insiste sur la mission éducative des acteurs alors qu’elle n’est pas une visée explicite de l’ingénierie pédagogique. De même, les ingénieries, so- ciale et de formation soulignent la nécessité d’un travail en équipe. Le plan de formation réserve à cette dimension une place très limitée. Savoir travailler en équipe s’apprend et relève d’une compétence pouvant faire l’objet d’actions de formation spécifiques.

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Une présentation de la promotion interrégionale 2011-2013, associée à la recherche, contribue à définir le profil des usagers. Les moniteurs entrant en formation ont en moyenne trente-trois ans. Ce sont majoritairement des femmes. Six sur dix possèdent un diplôme de formation géné- rale et un tiers d’entre eux ont été usagers d’un dispositif de formation par alternance. De plus, près de la moitié du groupe a déjà enseigné avant d’entrer dans l’institution. Devenir moniteur est les plus souvent un deuxième voire un troisième métier. La plupart des moniteurs – huit sur dix – ont exercé, pendant au moins un an, un métier de la formation ou de la relation humaine. Ces différents critères ont une influence sur l’exercice du métier de moniteur et sur le processus de professionnalisation. Enfin, le choix du métier repose essentiellement sur deux raisons. Les moniteurs souhaitent principalement accompagner des jeunes, travailler avec eux et trans- mettre un savoir. Dans une moindre mesure, les usagers le choisissent aussi pour deux de ses spécificités : exercer plusieurs fonctions, mettre en œuvre un dispositif de formation par alter- nance.

Bien que l’institution des MFR présente de nombreuses spécificités, les similitudes observées lors de la comparaison avec les dispositifs de professionnalisation des lycées professionnels pu- blics des ministères de l’Agriculture et de l’Education Nationale tendent à monter que l’objet de recherche pourrait s’inscrire dans d’autres contextes où le métier d’enseignant/formateur, sans couvrir toutes les fonctions du métier de moniteur, s’apprend par un processus de professionna- lisation pouvant participer à l’émergence et à la mobilisation d’un référentiel personnel.

CHAPITRE DEUX : UNE RECHERCHE EN COURS