• Aucun résultat trouvé

DE L’OBJET FRONTIERE

4. LE REFERENTIEL PERSONNEL : UN OBJET MIS A L’EPREUVE

4.4. Que peut-on en retenir ?

4.4.3. Une appellation précisée

Le motif de mobilisation et d’usage du référentiel est présent dans la dénomination de deux des quatre registres. Il est repris afin de préciser l’appellation de l’objet. Le terme d’agir est préféré à celui d’agi, exprimant davantage une action achevée ou son résultat.

195 F. CAMPANALE (2007, p. 69) travaillant aussi sur l’analyse réflexive dans des processus de professionnalisation parle d’un

référentiel interne. Il se compose selon elle « des représentations de la situation, de la façon dont le sujet voulait procéder et a procédé, des effets qu’il en attendait » soit une conception plus réduite que celle proposée ici.

- 187 -

Le verbe agir, quant à lui, met l’accent sur une action au service d’une autre ou sur une action subordonnée à une autre. Agir, nous rappelle le dictionnaire, provient du latin « agere » signi- fiant produire ; il désigne un pouvoir propre à l’homme consistant à transformer ce qui est, de s’exprimer par des actes. Agir dans cette acception c’est savoir, vouloir, pouvoir agir. Agir, c’est aussi exercer une influence sur quelqu’un ou quelque chose. Dans les deux cas, agir nécessite d’observer, de juger, de décider196.

4.4.3.1. Faire et agir

Aristote est sans doute le premier philosophe à avoir discuté la notion d’agir197. C’est l’objet du livre trois de l’Ethique à Nicomaque (2004). Le philosophe expose sa pensée en différenciant les actions involontaires des actions volontaires. Les premières se réalisent par ignorance en raison d’un défaut d’informations dont on n’est pas responsable et pour une cause qui nous est exté- rieure, à laquelle nous n’avons pas contribué. Les secondes, les actions volontaires, reposent sur l’idée que le sujet connaît l’ensemble des circonstances dans lesquelles son action se déroule. Il agit par choix selon un souhait et une intention. Ces derniers correspondent à la fin recherchée alors que le choix exprime les moyens à mobiliser pour y parvenir. Le choix relève d’une délibé- ration, d’un raisonnement et d’une pensée discursive, car d’une part, il dépend du sujet et de ce qu’il peut réaliser par lui-même. D’autre part, le résultat de l’action n’est à la fois jamais iden- tique et plus ou moins incertain. Aristote associe à la notion d’agir une conduite plus ou moins vertueuse. Ainsi, « là où il est de notre pouvoir d’agir, il est aussi en notre pouvoir de ne pas agir,

et là où il y a de la place pour le « non », il y a aussi de la place pour le « oui ». De sorte que s’il tient à nous d’agir quand c’est beau, il tiendra également à nous de ne pas agir quand c’est laid. Et s’il tient à nous de ne pas agir quand c‘est beau, il tiendra également à nous d’agir quand c’est laid. » (2004, p. 152). En outre, il pense qu’un agir volontaire peut être perçu comme involon-

taire dès lors que le sujet agit dans l’ignorance d’une ou plusieurs des particularités (2004, p. 137) de l’acte et, en premier lieu, de l’acte lui-même et du résultat escompté.

Ainsi, agir est un acte accompli ou non d’autant plus volontaire qu’il dépend de la personne elle- même et qu’il tente de prendre en compte l’acte dans son intégralité. Il relève d’un processus de choix orienté par une fin dont les moyens et les actions correspondantes visent son atteinte. L’agir s’appuie sur des valeurs morales tout autant qu’il peut les véhiculer. Le résultat escompté reste incertain et ne sera jamais, pour une action donnée, semblable. L’agir pédagogique ré-

196 In site internet www.cntrl.fr consulté le 12 janvier 2013.

197 Aristote distingue l’agir ou l’action – la praxis - de la production – la poièsis – en considérant que, d’une part, l’état de ce

qui conduit à l’action est une chose différente de l’état de ce qui aboutit à la production. L’une n’est pas incluse dans l’autre « la production a sa fin hors d’elle-même mais l’action ne peut pas en avoir puisque c’est l’action réussie qui constitue en elle-même sa fin » (2004, pp. 299-304).

- 188 -

pond, me semble-t-il, à cette première définition et invite à opérer une différenciation entre agir et faire.

L’agir renvoie, en effet, au couple notionnel « agir » et « faire » (G. LECLERCQ, 2001, pp. 114- 115). Le faire correspond, pour cet auteur, au fait d’avoir un but et de développer les moyens appropriés pour l’atteindre. Il s’apprécie selon des critères d’efficacité ; l’appréciation de son déroulement et surtout son résultat relèvent d’une procédure de contrôle visant à mesurer l’écart éventuel entre le résultat obtenu et une norme. Tout en nécessitant la mobilisation et la gestion de moyens, l’agir se différencie par l’intégration dans l’action d’une recherche et/ou d’une production de finalités. Dans cette perspective, agir revient à «s’orienter dans l’existant en

situation d’incertitudes, effectuer des choix qui restreignent, enrichissent ou renouvellent la pa- noplie des possibles » (p. 114). Dépassant la seule dimension technique, l’agir invite à relier la

théorie et la pratique plutôt que de les dissocier voire de les opposer. Contrairement au faire, l’agir relève d’un processus d’évaluation selon des critères de pertinence. Cette dichotomie entre les concepts de contrôle et d’évaluation, développée par plusieurs auteurs dans le champ de la formation et des apprentissages scolaires198 (J. ARDOINO & G. BERGER, 1989 – C. HADJI, 1989, 1997 – A. GEAY, 1998, notamment) étaye le choix. Agir et/ou comprendre dans, hors et sur l’action mobilise des processus réflexifs intégrant eux-mêmes des processus évaluatifs199 donnant lieu à évaluation. Il convient de dépasser la mesure des écarts et privilégier la recherche de sens, le questionnement de la valeur et des fins tout en postulant la subjectivité, la complexi- té, l’incertitude. Une telle présentation des deux notions ne doit pas évincer la relation les re- liant. G. LECLERCQ considère le faire comme « un moment de l’agir… déjà pensé, déjà stabilisé et

déjà expérimenté… en principe vécu sans surprise ». Il souligne en outre que lorsque le faire

s’avère défaillant voire inefficace, il est nécessaire de le reconsidérer dans des processus de l’agir.

Ce choix rejoint également l’un des quatre concepts de l’agir, l’agir téléologique, tel que l’expose la théorie de l’action de J. HABERMAS (1987, p. 101). Pour ce philosophe, un sujet agit pour « ré-

aliser un but ou pour obtenir l’apparition d’un état souhaité en choisissant et en utilisant de fa- çon appropriée les moyens qui dans une situation donnée, paraissent lui assurer le succès ». Dans

cette approche, l’essentiel repose sur la décision parmi la gamme d’actions possibles en fonction du but à atteindre, de l’interprétation de la situation et des principes de conduite convoqués. Le modèle devient stratégique lorsque l’acteur intègre dans sa conduite de l’action, dans sa ré- flexion l’attente de décisions d’au moins un acteur supplémentaire agissant lui aussi selon un

198 Elle a, pour notre part, fait l’objet d’une recherche universitaire dans le cadre d’un DUEPS (D. AMBLARD, 1995) 199 Cette notion fait l’objet d’un développement dans le point 4.5 de ce chapitre p. 190.

- 189 -

objectif visé. Dans les trois autres concepts200, le concept d’agir téléologique est présupposé puisque le plan d’action d’un acteur suppose la capacité à fixer un but selon un ou des objectifs et un intérêt pour sa mise en œuvre (ibid., p. 117).

4.4.3.2. L’agir professionnel

La mobilisation et l’emploi du référentiel personnel s’inscrivent pleinement dans cette concep- tion. Dans, hors ou sur l’action, l’enseignant/formateur agit pour analyser, évaluer, orienter, ajuster… son action. Hors de l’action, le sujet tente de reconsidérer ses choix, ses outils, ses dé- marches ou ses modalités d’animation… Il cherche à faire face en différé à une situation et/ou à un contexte sources de questionnement, de problèmes soit en se projetant dans l’action à venir soit en revisitant l’activité réalisée. Dans l’action, il doit faire face dans l’immédiat à une situation imprévue, inattendue, voire inédite et ajuster son action. Dans les deux cas, décider en fonction de la situation, de son identité professionnelle, du contexte institutionnel s’avère central. Hors de l’action, l’éventail des possibilités de méthodes, d’outils, de techniques est extrêmement ou- vert car les combinaisons des uns avec les autres sont multiples. Dans l’action, les indices à pré- lever et à interpréter, tout comme les possibilités d’action sont aussi nombreux mais la décision se doit d’être quasi instantanée et s’avère souvent irréversible. Dans les deux cas encore, agir est stratégique car la réflexion de l’enseignant/formateur ne peut occulter les attentes de plusieurs acteurs. Ce sont en tout premier lieu les apprenants mais aussi les autres usagers tels que les parents et les co-pilotes que sont les membres de l’équipe pédagogique et les maîtres de stage/d’apprentissage. L’institution, qu’incarne le responsable de l’établissement garant des pratiques pédagogiques et éducatives, est également en attente d’une pratique en adéquation avec son projet, ses orientations, ses principes et ses valeurs. Dans les deux cas, enfin, agir et ne pas se limiter à faire concourent sans doute à rendre possible un métier que l’on sait impossible. Précisons pour clore sur ce point que l’agir est qualifié de professionnel. Il comprend l’agir péda- gogique mais aussi l’agir éducatif, l’agir relationnel (avec les pairs, les partenaires…) qui, dans le contexte de la recherche comme dans d’autres systèmes de formation actuels, sont des formes d’agir en permanente interaction.

200 C’est tout d’abord, l’agir régi par des normes spécifiques à un groupe basant leurs actions sur des valeurs communes.

Dans une situation donnée, un individu respecte ou non une norme dès lors que sont remplies les conditions auxquelles elle s’applique. Ici, la norme exprime un accord existant dans un groupe social. Le troisième concept est nommé par J.HABERMAS l’agir dramaturgique. Il concerne les participants d’une interaction, qui constituent par réciprocité et pour eux même un public. Dans cet agir, un sujet donne à voir une certaine image de lui-même « en dévoilant plus ou moins inten- tionnellement sa subjectivité ». Les participants gèrent les interactions en régulant l’accès réciproque à la subjectivité propre de chacun. Le dernier concept, l’agir communicationnel, concerne l’interaction d’au moins deux sujets engageant une relation interpersonnelle par des moyens verbaux ou extra-verbaux «les acteurs recherchent une entente sur une situation d’action, afin de coordonner consensuellement leurs plans d’action et par là même leurs actions » (J.HABERMAS, 1987, pp. 101-111). Ces trois concepts d’agir correspondent, pour un sujet donné, à une modalité de gestion d’intentions et de buts portés par un agir téléologique.

- 190 -