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INTRODUCTION PARTIELLE

1. L’INSTITUTION DES MFR : UN DISPOSITIF DU SYSTEME EDUCATIF FRANÇAIS

1.1. Une histoire singulière

Il arrive que l’on attribue abusivement à l’institution des MFR l’invention de l’alternance. Comme nous le rappellerons plus loin, cette institution n’est pas à l’origine des pédagogies de l’alternance. En revanche, la réponse d’un petit groupe d’agriculteurs et du curé d’un village du Lot et Garonne, au refus de l’un des enfants des protagonistes d’aller poursuivre ses études dans une école d’agriculture, s’est très vite avérée d’une inventivité féconde. Elle s’est révélée être une nouvelle conception d’un dispositif de formation par alternance et une nouvelle méthode pédagogique. C’est pourquoi, il nous semble nécessaire de consacrer une section de ce premier chapitre à l’histoire singulière des Maisons Familiales. Avant d’exposer l’essentiel de cette ge- nèse, nous rappellerons l’évolution et les caractéristiques de l’enseignement agricole sur une centaine d’années à partir notamment de l’ouvrage de T. CHARMASSON (1999).

1.1.1. L’enseignement agricole de 1850 à 1940 : émergence d’un système public et d’institutions privées

Un décret publié au moment de la révolution de 1848 constitue le premier texte législatif organi- sant l’enseignement professionnel agricole. Cet enseignement est reconnu comme un élément essentiel de la politique agricole et fait l’objet d’un schéma cohérent devant couvrir l’ensemble du système éducatif comme l’ensemble du territoire. Il comprend trois niveaux :

 un institut national agronomique pour la formation des cadres et le développement de la recherche,

 des écoles régionales visant à former les cadres intermédiaires et à mener des expéri- mentations techniques sur l’ensemble des territoires,

 les fermes écoles destinées aux enfants d’agriculteurs privilégiant une formation pra- tique34.

34 Ce dispositif prévoit deux heures de cours par jour, le matin de 5h00 à 6h00 et le soir de 19h00 à 20h00. Le reste de la

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L’application du décret n’est pas immédiate. Des écoles régionales sont supprimées ou devien- nent sous Napoléon III des écoles impériales ; l’Institut National Agronomique est également fermé alors que les fermes écoles peinent à se développer. Sur cette même période se créent des colonies agricoles qui accueillent à la campagne des enfants sans famille jugés le plus sou- vent comme difficiles ou sous le coup de condamnations. La plupart de ces colonies sont fondées et gérées par des œuvres et des congrégations religieuses. Ces institutions sont devenues, pour nombre d’entre elles, des établissements agricoles privés en adhérant encore aujourd’hui au CNEAP ou pour quelques-unes à l’UNREP35. Au cours de Second Empire, l’enseignement profes- sionnel agricole ne connaît pas d’essor. Au contraire, il est introduit dans l’enseignement général et tout particulièrement à l’école primaire.

La fin du dix-neuvième siècle voit la création de plusieurs écoles nationales d’agriculture spéciali- sées : les écoles de l’horticulture, de l’industrie laitière, forestière… et la réhabilitation de l’institut national agronomique. En 1886, est fondée la première école d’enseignement agricole dans le domaine de l’industrie laitière destinée aux filles. Au-delà, il existe nombre d’écoles mé- nagères équivalentes, dans leur conception, aux fermes écoles des garçons. Elles sont également nommées écoles temporaires car elles ne fonctionnent que sur la période hivernale.

En 1918, une loi clarifie la typologie des établissements ; il existe dorénavant des écoles pour garçons et d’autres pour les filles. De plus, les écoles ambulantes bénéficient d’un cadre légal. La loi prévoit aussi de dispenser un enseignement postscolaire, agricole ou ménager, dans les écoles publiques des communes à des jeunes gens, âgés de plus de treize ans ou à des jeunes filles de plus de douze ans, par des professeurs titulaires du certificat d’aptitude à l’enseignement agricole. Il faut attendre 1938 et une obligation législative pour que cet ensei- gnement post scolaire se développe durablement.

Enfin, apparaissent en 1919, les premiers centres d’apprentissage agricoles souhaités par la loi Astier. Ces centres ont pour visée de former des enfants de douze à quinze ans, et tout particu- lièrement les pupilles de la nation, à la bonne exécution de tous les travaux agricoles. En 1929, une autre loi précise les principes et les modalités de l’apprentissage agricole. Tout exploitant agricole peut placer son enfant chez un agriculteur ou peut le prendre comme apprenti sur sa propre ferme. Il s’engage à lui faire suivre un enseignement professionnel dans des centres d’apprentissage comme il peut aussi le dispenser lui-même. A l’issue de cette période, l’apprenti doit se présenter à un examen, le Brevet d’Apprentissage et d’Aptitude Agricole (BAAA). La loi

35 Le CNEAP, Conseil National de l’Enseignement Agricole Privé, constitué par le regroupement de chefs d’établissement en

1934, représente aujourd’hui l’une des trois grandes familles de l’enseignement agricole. Il accueille chaque année 51.000 élèves et étudiants, 3000 apprentis, 4500 élèves ingénieurs et 11000 stagiaires adultes (in www.cneap.fr consulté le 12 février 2013). L’UNREP, Union Nationale Rurale d’Education et de Promotion est fondée en 1925 et compte aujourd’hui une centaine d’établissements (in www.maformationagricole.com consulté le 12 février 2013).

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sur l’apprentissage instaure aussi le principe de cours par correspondance placés sous la respon- sabilité du ministère de l’agriculture. Comme nous allons le voir dans la section suivante, la loi Astier est porteuse d’un double point d’appui, l’apprentissage et les cours par correspondance, que les pionniers des Maisons Familiales Rurales ont su mettre à profit.

1.1.2. Un problème à résoudre et une rencontre

Nous sommes en 1935, Yves PEYRAT fils d’agriculteur et titulaire du certificat d’études, refuse de poursuivre sa formation dans une école où, selon lui, on ne prépare pas de vrais paysans. Son père fait alors part de cette résistance à l’Abbé GRANEREAU36 curé à Sérignac Péboudou un vil- lage du Tarn et Garonne. Sensible aux questions de formation et passionné de développement agricole, le prêtre propose de prendre en charge l’éducation d’Yves. Monsieur PEYRAT accepte de tenter l’expérience à condition qu’elle associe d’autres jeunes du village. C’est ainsi qu’en septembre 1935, trois agriculteurs du Lot et Garonne et un prêtre jettent les bases d’un nouveau système de formation par alternance. Au cours de la rencontre, les protagonistes tracent les contours d’une nouvelle formule pédagogique et ébauchent un programme de formation com- posé de trois volets. Tout d’abord, la formation technique est basée sur le constat que, d’une part, le paysan a besoin de son fils pour l’aider dans les travaux de la ferme et que, d’autre part, la complexité croissante du métier nécessite un long apprentissage pratique. Le temps passé sur l’exploitation familiale se doit donc d’être plus long que celui passé à l’école. Cependant, le jeune37 doit aussi pouvoir comprendre les fondements, les raisons des gestes et des pratiques professionnels. Seules, des études théoriques dispensées par un professeur compétent peuvent

36 Fils de paysan et natif de la région, il consacre sa vie à la cause rurale et agricole. Né en 1885, il a cinquante ans quand il

se lance dans l’expérience d’une nouvelle école agricole. Il s’intéresse depuis plus de vingt ans aux questions de formation et développement. En 1911, il contribue à la création dans sa paroisse d’un syndicat agricole et estime déjà que le pro- blème des paysans est un problème scolaire nécessitant la mise en place d’écoles paysannes (P-J. GRANEREAU, 2007, pp. 30-31). A cette époque son projet n’aboutit pas. En 1937 il devient, après deux années d’expérimentation, le directeur de la première maison familiale. Il contribue à la création trois plus tard, dans le même village, d’une deuxième maison familiale destinée à accueillir des jeunes filles. Pendant une dizaine années, il s’investit très fortement dans le développement du mouvement en initiant, dès 1938, l’idée d’écoles de cadres, en étant l’un des artisans de la création de l’Union Nationale des Maisons Familiales et en participant à la diffusion du modèle au plan national. En 1945, le mouvement compte près d’une centaine de maisons familiales ; il est tiraillé entre différents courants et des risques de scission menacent; certains responsables le trouvent trop clérical, d’autres souhaitent une prise en charge par l’Etat. L’abbé GRANEREAU est contesté ; on lui reproche outre, son manque de rigueur dans la gestion financière de l’Union Nationale, son obstination pour tenter d’imposer sa «vision d’éducateur spécialisé par communautés spirituelles » (P.GUES, 2007b, p.235) et son projet d’école paysanne. Il quitte le mouvement des MFR en 1946 et cherche à mettre en place son idée d’école paysanne en créant un comité d’organisation et en proposant un projet de loi en 1947 visant à réformer via l’école paysanne tout l’enseignement public. Quelques années plus tard, il s’intéresse aux droits de l’enfant. Infatigable militant, il ouvre en 1952 la première école paysanne pour les jeunes de quatorze à seize ans. Mais si ce centre est reconnu par le ministère de l’Agriculture, il semble connaître très vite des difficultés financières (P. GUES, 2013, p. 45). Cette nouvelle expérience s’interrompt mais cela n’empêche pas l’abbé de poursuivre son action en proposant à nouveau en 1964, au gouvernement un plan complet de réforme de l’enseignement public par la mise en place d’écoles paysannes. Son idée n’étant pas retenue, il tente en vain de l’internationaliser et réalise à cette fin de nombreux voyages à l’étranger (ibid., pp. 46-47). Il décède en 2007.

37 Dans l’institution des MFR, le terme « jeune » est très souvent retenu pour nommer les élèves. Cela explique qu’on le

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y contribuer (D. CHARTIER, 1986, pp. 65-68). Ensuite, une formation générale vise à ouvrir le champ des connaissances et à ne pas se limiter aux seuls apprentissages techniques. Des sciences, de l’histoire, de la géographie… « doivent aider le jeune à situer dans l’espace et dans le

temps » (ibid., p. 66). Enfin, l’abbé GRANEREAU insiste pour que soit intégrée une formation

humaine et chrétienne. L’invention de cette nouvelle forme d’alternance (trois semaines dans le milieu socioprofessionnel et une semaine à l’école) relève comme l’indique D. CHARTIER du bon sens pratique. C’est ainsi que quatre jeunes sont déclarés apprentis de l’exploitation familiale et inscrits à des cours par correspondance. Tout en travaillant dans leurs fermes respectives, ils passent une semaine par mois au presbytère où l’Abbé GRANEREAU prend en charge leur éduca- tion citoyenne et morale ; Monsieur PAYRAT, quant à lui, assure quelques enseignements de pratiques agricoles. L’un et l’autre inventent et assument alors une autre façon d’enseigner. Pendant un an, l’abbé GRANEREAU38 et les parents initient une alternance que l’on qualifie au- jourd’hui de type intégratif. Très vite, le prête perçoit les effets positifs de ce dispositif qui vise à relier et à articuler les deux lieux de formation. Par ailleurs, il va intuitivement développer une méthode pédagogique dont l’essentiel est encore aujourd’hui présent. A partir des travaux réali- sés par les jeunes pendant le séjour à la ferme, l’abbé aide et accompagne les élèves dans divers apprentissages : un manuel scolaire devient un des supports pédagogiques ; il est lu et commen- té de façon à ce que tout le monde comprenne et progresse. De plus, le lien avec le terrain est renforcé par les interventions techniques de l’un des parents et par des visites d’études organi- sées chaque semaine dans des fermes du contexte local. En fin d’année la méthode s’étoffe ; chaque jeune communique une de ses expériences personnelles au groupe. Cette initiative s’avère fructueuse et constitue aujourd’hui une des activités clés de la pédagogie des MFR.

1.1.3. 1937 : la première MFR

Deux ans plus tard, en 1937, la première Maison Familiale voit le jour à Lauzun (Tarn et Ga- ronne). Réunis en assemblée générale constitutive, onze agriculteurs et l’abbé GRANEREAU dé- cident d’acheter les locaux de leur centre de formation. Un emprunt est contracté auprès des membres de l’association de la section régionale du syndicat central d’initiative rural (SCIR) nou-

38 Dans son ouvrage, Le livre de Lauzun, l’Abbé GRANEREAU (2007, pp. 48-49) indique avoir tenté une synthèse d’outils et

de démarches empruntés aux différents niveaux de l’instruction publique et à d’autres institutions de formation. Il s’est inspiré de l’école primaire pour l’enseignement des disciplines générales. Il a pris aux collèges et aux lycées l’idée de l’internat qu’il met en place sur des périodes courtes faisant émerger ainsi une nouvelle forme d’alternance ; forme inté- grant l’alternance entre un travail intellectuel et un travail manuel que pratiquent les écoles d’agriculture. Des cours par correspondance, il retient le travail à la maison devant habituer les jeunes à réaliser chez eux un travail intellectuel. Enfin, la formation religieuse et humaine, dispensée, dans les écoles chrétiennes ne peut être confiée ni à un professeur ni à un aumônier qui se limiterait à des enseignements strictement religieux. Il convient de pouvoir aussi traiter les problèmes de l’adolescence et de préparer les jeunes à leur future vie d’adultes. Ainsi, sa conception d’une école paysanne repose en partie sur « les maîtres enseignants, pour l'instruction; les maîtres éducateurs, pour l'éducation ».

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vellement constituée. La plupart des parents acceptent et se portent caution solidaire. Avec un tel acte, la responsabilité des parents est posée. La première Maison Familiale Rurale est créée. L’année suivante Jean CAMBON, jeune ingénieur, est embauché par le syndicat agricole pour assurer des cours à la MFR et apporter un appui technique aux agriculteurs : il initie le métier de moniteur.

Malgré quelques tentatives avortées, la deuxième MFR de garçons est créée trois ans plus tard à Vétraz Monthoud en Haute Savoie, région très éloignée du Périgord39. En 1941, les responsables ressentent le besoin de mettre en place une organisation devant assurer l’unité et la cohérence du mouvement. L’abbé GRANEREAU alerte les présidents régionaux du SCIR et provoque une rencontre nationale officialisant la constitution d’une Union Nationale des Syndicats Maisons Familiales de France présidée par Jean PEYRAT. Jean CAMBON, premier moniteur, en est le se- crétaire adjoint, marquant ainsi un fonctionnement associant aux responsabilités les salariés encore en vigueur actuellement. Lors de l’assemblée constitutive est décidée la préservation de l’autonomie de chaque MFR. Chacune doit pouvoir choisir d’adhérer librement à l’union natio- nale. S’ensuit une période de structuration et de développement débouchant, en une vingtaine d’années, sur l’élaboration de statuts identiques pour les associations, une formation commune pour l’ensemble des moniteurs, une convention collective, une imprimerie nationale, la mise en place de fédérations départementales visant l’accompagnement des associations sur le terrain et assurant le relais de la mission de représentation et de développement de l’union nationale. Dans les années soixante-dix, l’union nationale impulse la création de fédérations régionales devant répondre aux évolutions politiques et administratives et met en place un fonds d’assurance formation. En 1990, elle propose le premier logo et un slogan institutionnel.

Ancrées historiquement dans les formations agricoles, plusieurs initiatives contribuent à la diver- sification de l’offre de formation. Dans les années 1950-1960, la formation générale des moni- teurs, les mutations agricoles comme les besoins de techniciens dans le secteur para-agricole entraînent la multiplication de centres de formation continue. Deux décennies plus tard, ils poursuivent une activité de préformation, de formation professionnelle de niveau 4 et investis- sent les formations de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, ils sont moins nombreux. Certains sont devenus statutairement des MFR, d’autres maintiennent une activité de formation conti- nue, d’autres encore ont fermés.

Sur la même période, des maisons familiales ouvrières, de garçons et de filles, portées par des associations familiales ouvrières rurales se constituent dans le bassin parisien et dans le nord de la France. En parallèle sont créées, entre 1962 et 1964, dans des MFR agricoles en Savoie et en

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Haute Savoie, des sections artisanales dans les métiers du bâtiment, prémices de formations par apprentissage. Après une période expérimentale et malgré les réserves des responsables natio- naux, des fédérations mettent à profit la loi sur l’apprentissage de 1971 et créent les premiers centres de formation d’apprentis. La première création est portée par la région Rhône-Alpes. Terminons ce bref historique en soulignant le rôle et l’impact de Loi Rocard votée en 1984. Ce texte législatif définit la mission, les spécificités et le financement des MFR relevant du ministère de l’agriculture. Tout en reconnaissant l’association de parents et l’alternance, les MFR sont con- sidérées comme un partenaire et une famille de l’enseignement agricole. De plus, les relations avec l’Etat font l’objet d’une contractualisation. L’alternance est définie comme une formation à temps plein, en conjuguant selon un rythme approprié, les enseignements théoriques et pra- tiques, dispensés d’une part dans l’établissement même et d’autre part dans le milieu agricole et rural40. A la même période, les MFR développent les formations de niveau quatre et de niveau trois sous les statuts scolaire ou de l’apprentissage.